S’il fallait un signe du déphasage extraordinaire qui existe entre la classe politique et le reste de la population, déphasage qui donne un aspect tellement irréel à l’actuelle campagne présidentielle, il suffit de constater que les trois candidats tenus aujourd’hui pour vainqueurs possibles promettent tous une hausse des impôts.
C’est vrai du candidat socialiste qui compte trouver 50 milliards, principalement en annulant toute une série de niches fiscales (heures supplémentaires, placements l'immobilier, TVA réduite dans la restauration, emploi d’aides à domicile, défiscalisation des investissements outre-mer etc.) mais aussi en rognant le quotient familial, un pont-aux-ânes des programmes de la gauche « bobo » depuis trente ans (il est loin le temps où ce quotient était voté à l’unanimité par l’assemblée, majoritairement socialiste et communiste, issue de la Résistance ! ) .
Ces cinquante milliards seraient consacrés pour moitié au financement de mesures nouvelles (300 000 emplois-jeunes, 60 000 recrutements à l’Education nationale, service public de la petite enfance) et pour moitié à la réduction du déficits, avec un objectif au demeurant modeste : passer au-dessous de 3% du PIB en 5 ans (ce qui signifie tout de même une augmentation d’encore 20 % du PIB de l’endettement pendant le même période) avec une hypothèse de croissance bien optimiste de 2,5 % par an. Ne sont pris en compte dans ces calculs ni l’abrogation partielle de la réforme des retraites, ni l’arrêt de la « RGPP », non remplacement d’un fonctionnaire sur deux.
La perspective d’alourdissement des impôts s’applique également au candidat centriste, plus ambitieux sur le papier puisque il propose de supprimer le déficit en 4 ans, ce qui exige 100 milliards d’euros, dont la moitié en impôts nouveaux, la moitié en économies budgétaires.
Quant au président sortant, il n’a pas attendu l’élection pour augmenter la TVA de 1,6 points, jouer sur les tranches de revenu pour alourdir l’IRPP ou aggraver certains impôts comme les droits sur les plus-values immobilières. En dépit de mesures spectaculaires comme le bouclier fiscal réservé aux très riches, tellement désastreux pour son image qu’il lui a fallu l’abroger , l’actuel président a créé au cours du quinquennat pas moins de 31 impôts nouveaux ( par exemple la cotisation spéciale sur les retraites, la taxe sur les mutuelles et assurances, les cotisations sur l’intéressement des salariés, sur les stock-options, sur le téléphone et internet, sur les chaînes privées, sur le malus auto, sur les compagnies pétrolières, sur les ordinateurs et clefs USB, sur les poissons vendus en grande surface, sur la distribution de matériel publicitaire etc.). Même s’il ne l’annonce pas, tout laisse supposer que, réélu, il alourdirait encore la pression fiscale.
Toutes ces promesses d’impôts nouveaux se font dans un concours de rigueur à la Churchill, passablement ridicule : « Je suis un véritable homme d’Etat puisque je n’hésite pas à promettre du sang et des larmes », comme si la France était sous les bombardements des stukas. Une grande partie de l’opinion a été convaincue que de toutes les façons on allait en baver et qu’il fallait en passer par là. A tort.
Cette rhétorique part du principe que plus le gouvernement chargera le pays d’impôts, plus il sera vertueux.
C’est oublier que le poids des prélèvements obligatoires n’est pas un signe de développement.
Un alourdissement excessif de la pression fiscale peut se traduire par une spirale récessive, telle que la Grèce est en train de la connaître et qui, de plan de rigueur en plan de rigueur, menace toute l’Europe.
A l’encontre de cette rhétorique, les observateurs soulignent le fait que la France est le pays au monde ( si l’on met de côtés quelques petits pays nordiques), où les prélèvements obligatoires sont les plus lourds et en augmentation : 43,2 % en 2010, 43,7 % en 2011, 44,5 % % prévus en 2012, sans perler du niveau des des dépenses publiques et des transferts sociaux qui s’établit à 54,9 %.
Ce taux élevé de prélèvements fiscaux et sociaux, tout le monde est d’accord pour dire quel est un des symptômes du « mal français ».
Cela est le sentiment des experts français ou internationaux pour qui ce niveau élevé décourage les talents et la créativité, encourage l’exode des cerveaux (plus grave que celui, purement fiscal, des footballers ou des chanteurs).
Mais c’est aussi le sentiment populaire : le ras-le bol fiscal est considérable, pas seulement dans la classe moyenne ou les professions indépendantes. Certes, l’alourdissement promis pèsera d’abord sur celles-ci : les très grandes fortunes, grâce aux facilités de la mondialisation, échappent largement à l’impôt et continueront d’y échapper, comme l’a montré l’affaire Bettencourt, les 4 millions de chômeurs ou assimilés ne pourront contribuer que faiblement ou pas du tout. La conclusion est claire : cette surcharge fiscale retombera sur les mêmes.
Mais toutes les classes de la population sont concernées : à côté d'un impôt progressif, l’impôt sur le revenu, très altéré d’ailleurs par les exemptions de toutes sortes qui se sont multipliées, la TVA, les charges sociales, la taxe d’habitation sont des impôts en réalité dégressifs. La taxe foncière pèse lourd sur les petits propriétaires qui souvent ont épargné toute leur vie pour s’offrir un modeste pavillon et, la retraite venue, doivent le quitter faute de pouvoir en assumer les charges.
Quel aveuglement faut-il aux trois candidats dont nous parlons pour ne promettre autre chose qu’un nouvel alourdissement des impôts ?
Même si des transferts d’impôt à impôt sont nécessaires pour tenter de rendre un peu moins injuste notre système fiscal, la charge totale ne doit plus s’alourdir !
On dira naturellement : et que faites-vous du déficit, que faites-vous de l’endettement ?
Nous ne voulons pas ouvrir le débat, de nature différente, sur l’avenir l’euro. Il va de soi que ces mesures de rigueur ont du sens si l’on veut sauver coûte que coûte l’euro. Et comme l’euro fut dès le départ un habit taillé à la mesure de l’Allemagne, c’est une austérité à l’allemande que son sauvetage impose à tous les pays d’Europe, à commencer par les plus étrangers à cette culture comme la Grèce. Jusqu’à quand forcera-on ainsi le tempérament et les habitudes des peuples ? Plus très longtemps sans doute.
La rupture de l’euro n’empêchera sans doute pas qu’une politique de rigueur soit nécessaire mais dans des conditions de compétitivité différentes et avec, s’agissant de la France, une perspective de croissance plus forte.
Elle amènera en revanche à se poser la question de l’origine du déficit et de la dette accumulée par tous les pays d’Europe ( sachant, que, en valeur absolue, le pays le plus endetté, c’est l’Allemagne). Jusqu’en 1973, l’Etat empruntait, quand il en avait besoin, à la Banque de France à 0%. Ce qui veut dire qu’en sus des ressources fiscales il avait celles de la puissance régalienne de battre monnaie, dont il ne devait bien sûr pas abuser sous peine de créer de l’inflation. Depuis 1973, l’Etat est obligé de s’adresser aux banques à 3 ou 4 % (lesquelles peuvent se refinancer à taux inférieur à la Banque centrale !), ce qui veut dire que cette ressource régalienne a été transféré au système bancaire selon le modèle alors en vigueur aux Etats-Unis – mais sur lequel ces derniers sont revenus. Sait-on que, si on totalise les intérêts ainsi versé par l’Etat français depuis 28 ans et les intérêts de ces intérêts, on arrive à 1400 milliards d’euros (pour une dette publique de 1700 milliards d’euros) ? A quoi rime donc le discours moral si répandu sur les déficits ?
Bien entendu une monétisation de la dette en cours, la Banque centrale, libérée des contraintes de l’euro, reprenant les créances publiques à son compte, ressemblerait à une pratique inflationniste. Mais en réalité, elle ne ferait qu’officialiser une pratique déjà existante depuis plusieurs années : croit-on que la génération montante va accepter de suer sang et eau pour payer les dettes de l’antérieure ? Aprés 7 ans de vaches grasses, 7 ans de vaches maigres ? Cela ne s’est jamais vu. Or c’est sur cette perspective pénitentielle totalement irréaliste que se fonde la gouvernance économique européenne. Un schéma qu’aucun des « grands candidats » n’ose remettre en cause, ce qui les amène à proposer, de manière absurde, dans un pays qui a déjà les impôts et les charges les plus élevés du monde, de les alourdir encore
De la même manière, leurs programmes ne remettent nullement en question les logiques dépensières qui ont, de pair avec la politique bancaire, abouti à la situation actuelle. Nous connaissons les jérémiades des ultra-libéraux qui pensent qu’il n’ y a de solution à ces dépenses excessives que dans une remise en cause du supposé « modèle social français » : il faudrait, à les entendre, mettre à bas l’assurance maladie, les retraites par répartition, le statut de la fonction publique, le système public d’éducation ou d’hospitalisation etc. Mais tout cela existe depuis soixante ans. Le « modèle social français » tant décrié fonctionnait au sortir de la guerre avec 30 % de prélèvements obligatoires. Il a fonctionné sans déficit dans les années soixante. En 1981, la France avait en proportion le même nombre de fonctionnaires que l’ Allemagne ; depuis, elle en a embauché un million de plus ; l’Union de la gauche n’est pas seule en cause, mais un peu tout le monde. Pour se tenir à une seule source d’augmentation : la volonté de fusionner les communes (jugées trop nombres et dispendieuses) qui s’exprime depuis la Loi Joxe en 1972 dont la logique a été poursuivie par la droite, s’est traduite par le recrutement de 400 000 agents publics supplémentaires.
Nous retenons cet exemple pour montrer à quoi aboutissement les mauvaises réformes qui pullulent depuis trente ans.
Pour s’en tenir à la période la plus récente, celle de la présidence Sarkozy, fallait–il rapprocher ou fusionner tout une série de services (Impôts-Trésor, Police-Gendarmerie, Pole emploi) sans diminuer les effectifs et en versant des primes supplémentaires pour convaincre des services réticents? Fallait-il passer du RMI au RSA, sans véritable utilité sociale comme la suite l’a montré, au prix de quelques milliards supplémentaires, départementaliser Mayotte, créer les postes de députés pour les Français de l’étranger – après leur avoir assuré la gratuité scolaire), multiplier les offices, agences , hautes-autorités de toutes sortes ? Fallait-il refaire la carte judicaire pour abandonner de petits tribunaux invendables et entreprendre à grands frais l’agrandissement de ceux que l’on maintient ? Faut-il relâcher toujours un peu plus les disciplines scolaires, la baisse d’efficacité rendant nécessaire des recrutements supplémentaires ? Fallait-il pour un fallacieuse politique du chiffre multiplier les travaux statistiques le plus vains de haut en bas de l’échelle, ou sous prétexte de rationaliser la gestion du personnel, généraliser de stériles entretiens de carrière ? Fallait-il que Sarkozy, pour faire avaliser aux hauts fonctionnaires une politique qu'eux-mêmes trouvaient le plus souvent absurde, les gratifie des plus larges augmentations de traitement qui aient été jamais accordées ? On pourrait multiplier ainsi la liste affligeante des décisions dépensières prises à la petite semaine depuis des années.
L’accroissement des dépenses publiques, n’est plus depuis belle lurette, une option idéologique, ni même l’effet de la démagogie, mais, comme dans une entreprise, la sanction de l’incompétence.
Au contraire des officines libérales qui déplorent sans cesse le manque de courage de nos gouvernants devant un modèle social trop généraux ou les excès d’ un système « centralisé et jacobin » , c’est l’incompétence de ceux qui gouvernent qu’il faut mettre en cause. Et peut-être plus : la copie servile de modèles étrangers, souvent tenus, paradoxe suprême, pour « libéraux », voire une simplification abusive des approches qui est en réalité de l’idéologie.
N’hésiterons pas à le dire : si aucune réforme n’avait été entreprise depuis trente ans dans certains secteurs clef : collectivités locales, réforme de l’Etat, enseignement primaire et secondaire, si l’on avait trouvé un système plus économique et plus juste que la CMU et l’AME pour soigner toute la population, des dizaines de milliards auraient été économisés, sans remise en cause d’aucune sorte du « modèle social français ».
Que tous les candidats en vue proposent une augmentation des impôts après l’échéance présidentielle n’est que le revers de leur radicale inaptitude à remettre en cause le modèle réformateur dépensier et brouillon qui règne depuis au moins vingt ans.
Et la réforma fiscale, dira-t-on ? A vrai dire, on n’en parle aujourd’hui que parce qu’il faut trouver d’urgence des ressources supplémentaires, qu’il faut « presser un peu plus le citron ».
Revenons aux fondamentaux : tout système fiscal est peu ou prou injuste et il le sera d’autant plus qu’il sera lourd. En même temps, la fiscalité se trouve au cœur d’un équilibre social subtil et fragile : on ne joue pas avec elle sans précautions. Remettre à plat le système fiscal, cela s’appelle la Révolution française ! Elle n’est pas, que nous sachions, à l’ordre du jour. Non que, des mesures radicales ne soient pas nécessaires, mais peut-être pas dans ce domaine.
Répétons que la plus urgente de réformes, c’est de ne pas augmenter, voire d’alléger la charge fiscale. Qu’à partir de là des ajustements puissent être utiles, qui en disconviendra ? Mais dans un contexte si possible baissier : remplacer telle ou telle niche fiscale abusive par une réduction des taux moyens de l’impôt sur le revenu, contrôler assez les dépenses des collectivités locales pour que la taxe foncière ne soit pas confiscatoire pour les petits propriétaires, alléger les charges des artisans et commerçants, voire de certains salariés et des professions libérales, rapprocher la fiscalité de l’épargne de celle du travail, voilà des ajustements utiles. La TVA sociale, dont on parle depuis vingt ans et que le président vient de découvrir peut être la meilleure ou la pire de choses ; la pire : un transfert du prélèvement du capital vers le travail, vers les salariés consommateurs ; la meilleure : un protectionnisme déguisé, destiné à sauver des emplois. Mais l’éclatement de l’euro le rendrait moins nécessaire dans la mesure où un changement de parité monétaire aboutirait au même résultat.
De toutes ces considérations doit ressortir ceci : dans un pays qui est déjà un des plus imposés du monde (et le plus imposé des grands pays), ne plus augmenter la charge fiscale doit être un impératif catégorique. Comment faire ? Posons d’abord le principe, les gouvernements trouveront bien les moyens.
Roland HUREAUX*
* Auteur de La grande démolition – La France cassée par les réformes – Buchet-Chastel – janvier 2012
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