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Roland HUREAUX

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31 août 2006 4 31 /08 /août /2006 21:27

 

Jean Roux, La grande braderie du patrimoine public des Français  - Une OPA géante sur la France , François-Xavier de Guibert , 2006, 327 pages

 

Ce que nous rapporte Jean Roux est   si effarant qu’on a peine le croire. Les privatisations opérées en France depuis 1987 auraient  été faites, en moyenne  à la moitié de la valeur des entreprises: la plus grande spoliation du patrimoine public depuis la vente des biens nationaux. Elles ont rapporté  de 1984 à 2002 au total 90  milliards € à l’Etat ; elles auraient dû lui  en rapporter deux fois plus.

Tout cela est énorme. Que faut-il en penser ?  Jean Roux est un  homme sérieux : commissaire aux comptes, financier international et historien, lauréat du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, il a  dépouillé pendant cinq ans toutes les informations et commentaires de  la presse économique  et les rapports officiels sur les privatisations. Ses sources sont donc publiques. Il  n’a pas de préjugés politiques apparent et en tous les cas ne remet jamais en cause les privatisations dans leur principe. C’est un homme simplement soucieux de la gestion du patrimoine public, de notre patrimoine.

On est d’ailleurs loin en la matière d’un clivage gauche droite : la gauche entre 1997 et 2002  ( gouvernement Jospin) a privatisé davantage ( 50 milliards d’€)  en cinq ans que  les trois gouvernements de droite  qui l’avaient précédée en dix ans ( 40 milliards € ), et dans des conditions généralement plus douteuses.

En 1980, le secteur productif public représentait 1 088 000 salariés ;  en 1984, soit après la grande vague des nationalisations Mitterrand, il passe à 1 762 000 salariés ( 16 % du secteur productif, 17 % du CA,  40 % des immobilisations). Après ce  pic historique  vient la décrue : il  ne représente plus que  1 132 000 salariés en 2003, moins encore aujourd’hui.   Il  est passé de 10,5 % de  l ‘emploi productif en 1984, à   5, 3 % en 2000.

L’estimation d’un rabais global de 50 % est une moyenne entre des opérations relativement convenables et des cessions d’actifs publics particulièrement scabreuses. Parmi celles-ci ,  on citera le cas du   BRGM  qui vend en 1993   pour 788 millions de F un patrimoine minier estimé ultérieurement  à 12 milliards de F  ou encore celui de  la SFP cédée pour 4,5 milliards € en 2001 , un montant que la profession cinématographique française dans sa totalité qualifia de scandaleuse, une opération intervenue après que l’Etat,  obligeant  les chaînes de télévision à acheter les programmes hors du secteur public, lui eut coupé les ailes. Comment ne pas évoquer aussi  la cession en 2001 des Autoroutes du Sud de la France qui permettent à l’acheteur final de réaliser en 2005, et cela sans le moindre risque, une marge brute d’exploitation de 65 % ! L’Aérospatiale elle-même a été cédée à un prix que l’on   estime généralement très sous-évalué.

Aux privatisations d’entreprises proprement dites, s’ajoutent  la cession du patrimoine immobilier de l’Etat ou des entreprises publiques, souvent en « bloc » , c'est-à-dire avec des rabais de 50 % :  appartements ou bureaux  de la Banque de France, de la SNCF , d’EDF, du Crédit lyonnais ou encore la cession d’une partie du stock d’or de la banque de France ,  « fausse bonne idée de Nicolas Sarkozy  » ( La Tribune 18 /11/04) , à un moment où   tout laisse supposer que l’or est durablement à la hausse. 

A cela s’ajoutent différentes techniques dont l’effet est aussi la réduction du patrimoine public : externalisation ( on en a vu les effets fâcheux  dans l’affaire du Clémenceau) , titrisation etc.  

Au chapitre  de la gabegie de l’Etat et de la légèreté de sa gestion au cours des dernières années, Jean Roux décrit aussi   les effets dévastateurs de l’affaire du Crédit lyonnais ( 1 milliard € au moins pour la seule affaire Executive Life : on dira à juste titre que ces erreurs là sont l’effet de la nationalisation, mais cela ne justifie pas que l’on privatise n’importe comment ),  la légèreté de la gestion de France-Télécom , qui a fait cadeau de 11 milliards  € à sa filiale allemande Mobicom ( dont 8 milliards sont revenus à  l’Etat allemand par le biais de la vente d’une licence  finalement inutile !).

Malgré les recettes des privatisations, les années 1980, 1990 et 2000 voient l’endettement public français croître de manière considérable. La dette publique était en 1969 de 15 milliards € , soit 14 % du PIB, en 1981 de 75 milliards (20 % du PIB ),  en 1986 de 180 milliards  (30 % du PIB ) , fin 2003 de  1000 milliards €  (60 %du PIB ) , début 2006 de 1120 milliards €  (66, 4 %du PIB) , soit 18000 € par habitant et bien davantage par famille, dont  plus de 50 % sont détenus par des institutions étrangères. Et rien ne laisse à ce jour prévoir que la dérive de la dépense publique  ( 5 milliards € par mois de déficit ) puisse être enrayée.

Non seulement l’Etat s’est appauvri  ( 807 milliards d’actifs en 1980, 290 milliards en 2002 selon le rapport Pébereau ) sans que cela ait un véritable impact sur les finances publiques  mais la politique menée a largement favorisé la mainmise de capitaux étrangers sur  l’ économie  française. On connaît la malheureuse prise de contrôle de Péchiney  par Alcan, prélude à son démantèlement : il a été donné à l’auteur de cet article d’assister au spectacle obscène de la remise, sous les applaudissements  de la fine fleur  de la finance française, du « prix de la meilleure fusion-acquisition de l’année » au PDG d’Alcan. Mais qui sait  que la politique fiscale a pour effet de favoriser   cette prise de contrôle ?  Un décret de 1993 pris par Nicolas Sarkozy,  ministre du budget, exonère de tout impôt  les dividendes versés à des fonds de pension étrangers  tout en leur maintenant l’ avoir fiscal  ( dispositif auquel un accord franco-britannique ajoute des avantages supplémentaires). Selon une estimation du Conseil national des impôts, là où le dividende versé est de 100, l’investisseur national reçoit 54, le fonds de pension 100 et s’il est anglais, 145 !

Mais de quoi faut-il encore s’étonner quand on voit  fin 2005  le gouvernement français  appuyer une action d’une mystérieuse société basée à Jersey  contre Etamet dont  le    principal actionnaire est l’Etat français, cette action conduisant à déposséder cette dernière au bénéfice de la  société étrangère d’un des  principaux gisements de nickel de Nouvelle Calédonie ! Ceux qui agissent ainsi  ne commettent pas seulement un crime vis-à-vis des intérêts français, ils ridiculisent notre pays face à la  communauté financière internationale !   

Les intérêts étrangers qui profitent des privatisations au rabais sont souvent des fonds de pension américains ( propriétaires par exemple  de 43 % d’EADS ) . Autrement dit , alors que  l’avenir des retraites n’est pas assuré en France, l’Etat français  subventionne  les retraités américains !  Cela n’est d’ailleurs pas propre à la France  : ce qui se passe dans notre pays s’inscrit dans une politique de prédation de dimension mondiale.

On sait comment la Commission européenne a systématiquement encouragé la politique de privatisation,  notamment en permettant cette aberration comptable :  prendre en compte les recettes de privatisations dans le budget  de fonctionnement de l’Etat, ce qui permet  une  réduction optique du déficit .

On sait moins comment, malgré le coup de semonce du 29 mai 2005, cette politique s’est aggravée, en particulier par la cession de ce qui restait d’ autoroutes publiques à vil prix. Le projet en cours de discussion de cession de GDF à Suez va dans le même sens. Les sociétés qui ne sont pas encore privatisées, les grands services publics comme EDF, GDF, SNCF, La Poste , sont en réalité les proies les plus juteuses   : jouissant d’un monopole durable , ils présentent une sécurité pour l’investisseur bien plus grande que les actifs proprement industriels, surtout s’ils sont acquis au rabais.

Ce panorama affligeant nous interdit désormais de considérer de haut des pays comme la Russie ou certains pays d’Amérique latine  où les privatisations ont été l’occasion d’un pillage généralisé du patrimoine public,  générant des fortunes aussi rapides qu’illégitimes : il n’est pas certain qu’en définitive,  nous ayons fait beaucoup mieux. Il est décidément bien difficile dans un pays comme la France de trouver les marques du vrai libéralisme  responsable, respectueux des deniers publics et par là distinct  de la recherche effrénée du profit , de la pure et simple corruption ( que l’on devine dans la pénombre des pratiques que dénonce Jean Roux ) et de l’irresponsabilité technocratique.

L’auteur  prédit à  la France une faillite à la mode argentine  pour les toutes prochaines années : cette prédiction est à rendre au sérieux. On lui reprochera en revanche d’entretenir quelques illusions sur les syndicats, seuls défenseurs à son gré du patrimoine public :   il semble ignorer que ceux-ci,    trop souvent serrés de près par les procédures judiciaires,  n’opèrent qu’une mobilisation de façade contre les pratiques qu’il dénonce : leur discrétion dans l’affaire Suez-GDF est stupéfiante. De même Jean Roux apparaît bien naïf quand il s’imagine que les élus locaux sont plus vertueux que les politiques nationaux ! Sur le plan formel,   on lui reprochera seulement  d’avoir exagérément élargi son sujet ( prédation de l’environnement, gaspillages sociaux,  exode des œuvres d’art etc.), ce qui peut affaiblir  la crédibilité de son ouvrage qui demeure néanmoins une mine de renseignements.

Voilà au total un travail sérieux et  courageux : sa large diffusion est souhaitable : que ces faits scabreux soient connus nous paraît  le préalable au redressement  des moeurs qui seul peut sauver notre pays du désastre  annoncé. 

 

Roland HUREAUX

 

 

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29 août 2006 2 29 /08 /août /2006 10:02
 

Après la guerre du Liban :


L’amertume de l’opinion israélienne à l’issue de la guerre de l’été 2006 n’est pas sans fondements. L’ objectif de cette guerre, la destruction du Hezbollah, n’est pas vraiment atteint. Même affaibli, le mouvement chiite se trouve auréolé de la gloire d’avoir résisté, plus qu’aucune force musulmane ne l’avait encore fait, à la toute puissante Tsahal. La partie la plus radicale de l’islam se trouve ainsi placée en position de leadership moral, non seulement au Liban mais dans tout le Proche-Orient. Ceux qui voudraient porter la guerre en Iran pour mettre fin à ses projets nucléaires sont avertis par une expérience en champ clos: la capacité de résistance des guerriers chiites est considérable. Surtout, les bombardements massifs opérés au Liban, qui ont causé plus de 1000 victimes civiles ont encore altéré l’image d’Israël : comment qualifier ses adversaires de « terroristes » alors que dans votre camp, les victimes sont principalement des soldats et dans le camp adverse principalement des civils ?

La contrepartie espérée de tous ces points négatifs, l’espoir que le plan de paix de l’ ONU permettra de neutraliser le Hezbollah, est pour le moment aléatoire .

Qu’Israël ait voulu éradiquer la menace permanente que faisait peser le « parti de Dieu »  sur sa frontière Nord est compréhensible. Mais sans être spécialiste des questions militaires, on peut s’interroger sur les moyens employés.

Quelle que soit sa rationalité militaire ( mais seul le succès permet de consacrer celle-ci), une stratégie qui consiste à démolir un pays pour neutraliser quelques centaines de miliciens opérant dans une bande frontalière de quinze kilomètres est difficilement compréhensible.

Comment ne pas y reconnaître la contagion des idées et des comportements du grand protecteur de l’Etat d’Israël : les Etats-Unis ?

Des bombardements massifs d’infrastructures pour isoler et démoraliser les combattants adverses ( au risque de « dommages collatéraux » considérables), le souci prioritaire d’économiser la vie de ses propres soldats : n’est-ce pas l’essentiel de la méthode américaine depuis longtemps ? Elle se résume à un principe : risque minimum pour nos soldats, risque maximum pour les civils du camp adverse. Conforme à la rationalité démocratique pour laquelle la vie des citoyens de son camp ( mais de ceux là seulement) est sacrée, elle va à l’encontre tant de la tradition chevaleresque que du droit de la guerre selon lesquels la guerre est d’abord une affaire de soldats . Qui doutera que cette dernière rationalité soit plus universelle – et en définitive plus civilisée – que l’autre qui pourtant se réclame de la démocratie ?

De manière cynique, on dira que de telles méthodes ont encore des chances d’être excusées si elles réussissent. Or du Vietnam à l’Irak en passant par l’Afghanistan, elles ont abouti au contraire à enliser la grande puissance yankee dans un bourbier sans gloire.

Risquées pour les Américains, ces méthodes le sont bien davantage pour Israël . Les ressources d’un Etat de 7 millions d’habitants ne sauraient être comparées à celles d’un Etat de 250 millions. Les Etats-Unis peuvent demeurer relativement indifférents à une guerre menée en leur nom par des soldats professionnels généralement recrutés aux marges de la société . Ils peuvent même se sentir peu concernés par un conflit lointain : qu’importe à l’Américain du Middle West qu’on le déteste à 15 000 km ( pourvu qu’il n’ y ait pas de nouveau 11 septembre ! ). Que lui importe même un lamentable enlisement qu’il ne percevra qu’à travers des media orientés ? Mais il est clair que telle n’est pas la position d’Israël : non seulement ses ressources ne sont pas illimitées, son armée repose sur la conscription, mais le peuple israélien se trouve dans la vicinité immédiate de ses adversaires ; il ne peut se permettre ni d’ alimenter chez eux une haine inexpiable, ni de donner l’impression de l’enlisement.

En voyant l’état-major israélien utiliser des méthodes aussi grossières que celles de l’armée américaine, on a peine à reconnaître l’infaillible intelligence tactique à laquelle Tsahal nous avaient autrefois habitués.

Il faut faire certes dans ces méthodes la part de l’impulsion politique et notamment de celle du premier ministre Ehud Olmert , un civil qui , à la différence de son prédécesseur , avait à faire la démonstration de sa virilité guerrière, ce qui confirme quand il s’agit de faire la guerre, les civils sont souvent plus dangereux que les militaires.

Mais il faut surtout faire la part de l’imprégnation générale d’une société qui depuis plusieurs années n’a d’autre interlocuteur, d’autre référent que le grand frère d’outre-Atlantique. Cela n’est pas seulement vrai en matière militaire : la manière dont un ultra-libéralisme ravageur mine l’héritage travailliste de la démocratie israélienne , contribuant sans nul doute à y affaiblir le sens de la citoyenneté, se trouve à l’avenant.

Même si le soutien américain lui sera longtemps nécessaire, il se peut que l’avenir de l’Etat d’Israël , qui passe de toutes les façons par la recherche patiente d’une cohabitation durable avec les autres peuples du Proche-Orient, implique une sérieuse remise en cause de l’influence et des méthodes d’Outre-Atlantique.


Roland HUREAUX

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29 août 2006 2 29 /08 /août /2006 09:57


Pierre Manent, La raison des nations – Réflexions sur l’avenir de la démocratie en Europe , Gallimard, 2006, 97 pages


Pierre Manent que ses ouvrages austères ont imposé dans le champ de la philosophie politique se libère du carcan universitaire dans un court essai, expressément subjectif ( le je y est de rigueur ) en trois chapitres vifs et concis : la démocratie, la nation , la religion . Ne nous y trompons pas : cette réflexion d’apparence abstraite ou distanciée est sous tendue par une passion, celle de la civilisation européenne, et une inquiétude, celle de l’avenir de l’Europe.

Sauf à le démarquer en moins bien, il est difficile de rendre compte en quelques lignes de cet ouvrage dense et intense.

Sans le citer, Pierre Manent fait, quoique avec des bases philosophiques très différentes, un constat analogue à celui de Robert Kagan : l’Europe est sortie de l’histoire ; elle a cessé d’y être un acteur par l’effet d’un dépassement de la démocratie vers sa forme extrême : l’abolition des différences et singulièrement des différences nationales et religieuses, par un souci de la douceur universelle, par le refus de toute conflictualité. « Au nom de la démocratie nous avons instauré la paralysie politique de la démocratie. »

Ce souci d’une démocratie accomplie fondée sur le refus de toute altérité conduit aux évolutions que l’on ne connaît que trop bien : l’Europe entraînée dans un processus de construction devenu « une finalité sans fin » ( l’auteur distingue à juste titre l’Europe des pères fondateurs qui voulaient rapprocher des nations aux antagonismes séculaires, de l’Europe de Maastricht qui veut au contraire abolir les nations), l’incapacité à se fixer des limites et donc à dire non à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne – et par là la course vers un universalisme sans détermination. Au nom de ce même refus de la différence « on enjoint à chaque peuple de se séparer de son passé impardonnable d’intolérance et d’oppression ». Tout ce qui distingue se trouve culpabilisé.

Ce refus de la différence est commun à l’Europe et aux Etats-Unis : « L’empire européen a ceci de commun avec l’empire américain qu’il est aimanté par la perspective d’un monde où aucune différence collective ne sera significative » Il est aussi , paradoxalement, partagé par les intégristes musulmans qui veulent instaurer le règne universel de la charia ( on regrette cependant que Pierre Manent donne un moment dans le poncif du « 11 septembre  tournant historique majeur » après lequel rien ne sera plus comme avant  : nous pensons pour notre part que l’on connaissait avant les sentiments des islamistes pour l’Occident, que l’évolution militariste des Etats-Unis est antérieure et que cet événement, en définitive contingent et qu’une meilleure efficacité policière eut prévenu, ne s’est pas à ce jour répété). Mais à la différence des Européens, Américains et islamistes fondent leur projet sur le recours à la force. Entre l’Europe et les Etats-Unis qui n’ont pas perdu de vue, eux, le fondement hobbesien de l’Etat moderne, l’attitude face à la peine de mort constitue une différence emblématique.

Ces développements sont certes en continuité avec l’histoire d’une Europe instauratrice de la démocratie et tendue depuis lors vers son accroissement. Mais ils sont aussi en rupture, avec cette histoire car à vouloir toujours plus de démocratie, ils en sapent les fondements. . L’originalité de l’Europe, dit justement Pierre Manent, est d’avoir su concilier la liberté et la civilisation. Il est des peuples libres et non civilisés : les « sauvages », bons ou mauvais, il est des civilisations qui sacrifient la liberté  : tous les grands empires. L’Europe est allée plus loin en inventant , après la cité grecque, l’Etat-nation ( dont la forme monarchique sacrifia d’abord elle aussi d’abord la liberté) puis, au sein de l’ Etat-nation, le gouvernement représentatif.

Le caractère consubstantiel de la démocratie et de la nation , le fait que l’expression démocratique n’a de sens que dans une communauté politique qui ne peut être qu’un Etat-nation est une des constantes de la pensée de Pierre Manent, en quoi il rejoint , quoique mezzo voce et avec une élaboration philosophique qui lui est propre , les différents courants « républicains. »

En se coupant de ses fondements nationaux et en voulant se radicaliser, la démocratie entre en crise. Certes la théorie de la représentation contient en elle-même sa propre crise : il est dans la nature du gouvernement représentatif que les mandants se sentent toujours mal représentés, mais avec l’Europe d’aujourd’hui , la crise atteint un sommet : «  l’Etat est de moins en moins souverain et le gouvernement de moins en moins représentatif » . Les coups de semonce du 25 avril 2002 et du 29 mai 2005, « jacqueries électorales », rappellent le malaise sous-jacent à la démocratie dite avancée – en contradiction paradoxale avec l’autosatisfaction que nous inspirent nos « valeurs démocratiques ». L’Etat lui-même est remis en cause  par la multiplication des droits-créances et aussi par le refus grandissant de toute contrainte : «  le niveleur est à son tour nivelé » . L’Etat contemporain a de plus en plus dans l’esprit public, pour reprendre une formule de Philippe Raynaud « le monopole de la violence illégitime » : toute expression revendicative a sa légitimité mais sa répression par l’Etat est vécue comme une entorse à la douceur démocratique. L’Eglise elle-même est toujours prête à critiquer toute répression un peu ferme  : faute de pouvoir , comme autrefois inspirer l’Etat, elle en sape les fondements.

Faute de communauté politique fondée sur la conscience d’une différence et l’amour de soi, la communication s’affaiblit car « la communication par elle-même ne produit pas la communauté politique ». L’absence de communauté hypothèque elle aussi la représentation : « à travers la colère de n’être pas représenté, se fait jour l’angoisse de ne plus être représentable ».

La laïcité elle-même est en crise. Elle ne s’était substitué au ciment religieux de l’Europe que parce que chaque nation en était venue à constituer une communauté sacrée . Mais si la nation n’est plus sacrée, quel est encore le sens de la laïcité ?

Pourtant aux portes de l’Europe s’observe un retour du national–religieux » avec le regain de l’islam et l’Etat d’Israël ( sorti non d’Egypte mais d’une Europe libérale incapable d’apporter une solution au « problème juif ») . On pourrait y ajouter les Etats-Unis de George Bush. Pour ces « autres », l’Europe a beau se prétendre universelle, refuser d’être un « club chrétien », se présenter comme une coquille vide apte à recevoir toute l’humanité, elle est à leurs yeux quelque chose et non pas rien. Si elle ne se considère pas comme chrétienne, les autres si. Pour l’auteur « quelque chose empêche de dire que l’Europe n’est pas chrétienne. » L’Europe n’échappe en tous les cas pas à sa condition historique : « Après la nation sacrée, après la classe, après la race, c’est au nom de l’Europe même que nous avons essayé d’échapper à la condition européenne. Nos gouvernements ont beau s’époumoner et nous morigéner ; il semble que cette fois encore ce soit en vain . Notre condition, plus forte que nos passions les plus fortes est en train de nous reprendre. »  « Rentrons donc dans cette Europe réelle que nous nous efforçons vainement de quitter » . Quelle Europe ? Pierre Manent ne le dit qu’à demi-mots : sinon une Euripe confessionnelle, ou raciale ou étroitement liée aux formes classiques de la démocratie, tout de même un projet fondamental  transversal à ces avatars : même s’ « il ne s’agit pas de mettre le nom chrétien sur tous les étendards », « il s’agit de continuer l’aventure européenne dont la longue phrase inachevée cherche à nouer le plus étroitement possible la liberté et la communion, à les nouer ensemble jusqu’à ce qu’elles se confondent ». Autre manière sans doute de dire que le destin de l’Europe est d’être trinitaire.


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29 août 2006 2 29 /08 /août /2006 09:50
 

Villepin aurait-il le goût de l’échec ? En faisant du projet de fusion GDF-Suez – et donc de la privatisation de GDF - , le dossier emblématique de la rentrée, le premier ministre commet la même erreur qu’avec le CPE.

Comme alors, il s’engage sur un dossier controversé sans bénéficier d’un appui franc de sa majorité. D’abord parce que beaucoup de députés ont des doutes sur l’utilité de l’opération. Ces doutes subsistent malgré la gigantesque opération de communication orchestrée dans le courant de l’été par les dirigeants des deux groupes. Les réticences exprimées par la commission européenne ne sont pas là pour les rassurer. Ensuite parce que, une fois encore, le parti majoritaire que dirige Nicolas Sarkozy ne fera, dans son appui au gouvernement, que le service minimum. Certes, le président de l’UMP a dit, après quelques tergiversations et de la manière la plus elliptique, qu’il soutiendrait le projet, mais on se doute qu’au moindre remous, il prendra ses distances, comme il l’avait fait pour le CPE. Si le projet avait été incontestable, un tel risque eut été négligeable.

La deuxième erreur de Dominique de Villepin touche à sa stratégie d’image : une fois de plus, il s’engage sur la voie libérale alors que le créneau est occupé par Sarkozy et il délaisse celui qu’il avait choisi lors de son entrée en fonctions et où il aurait pu exceller : la réaffirmation du rôle de l’Etat. A cette réaffirmation d’un Etat arbitre et référent, qui ne se résume évidemment pas au recrutement de policiers et de gendarmes ou à la pose de radars sur les routes, les Français aspirent profondément après deux décennies d’un libéralisme souvent brouillon, comme l’a montré le référendum du 29 mais 2005. C’est parce que beaucoup espéraient qu’il irait dans ce sens là que Villepin fut si populaire à l’été 2005. Or le premier ministre, au grand désespoir de ses soutiens, délaisse avec obstination ce terrain sur lequel il était attendu, pour courir sur les traces de libéraux qu’il ne rattrapera jamais. C’est une loi de la politique, en effet, qu’on ne rattrape jamais ceux qui, sur un créneau donné, sont partis en pole position ( tout comme Villiers ne rattrapera jamais Le Pen sur l’immigration ! ).

Au moins le projet du CPE partait-il de bonnes intentions : il se fondait sur une logique de libéralisation du marché du travail, telle que la préconise l’OCDE,   peut-être contestable ou au moins maladroitement appliquée, mais dont le but final était bien l’amélioration de la situation de l’emploi des jeunes.

On a du mal au contraire à percevoir l’intérêt de l’opération Suez-GDF. Suez n’a aucun caractère stratégique, GDF, déjà premier gazier européen, peut difficilement dire qu’il n’a pas la taille critique pour affronter le marché et rien ne dit que sa privatisation le rendrait plus efficace. Quoi que l’on fasse, on n’empêchera pas l’opinion d’associer cette opération à la hausse considérable et très impopulaire des tarifs de l’énergie depuis cinq ans.

Ainsi Villepin s’apprête t-il à engager avec des appuis incertains une bataille inutile et sur un mauvais terrain. Il risque de perdre en septembre le regain de popularité que lui ont valu pendant l’été son action au Liban aux côtés du président de la République et l’amélioration de la situation économique. Pour quoi faire donc ?

Il était pourtant aisé de transformer ce projet de loi controversé en un grand projet positif et consensuel : par exemple en le centrant sur les économies d’énergies, en ne se contentant pas à cet égard de mesurettes mais en « mettant le paquet » pour opérer une véritable révolution énergétique analogue à celle de 1974, et d’autant plus populaire que pour les Français, la hausse de l’énergie est ressentie comme le principal facteur de l’érosion de leur pouvoir d’achat. Peut-être n’est-il pas trop tard  pour donner cette inflexion au projet mais il faudrait alors renoncer à privatiser GDF, faute de quoi rien n’empêchera l’opinion de considérer que c’est là le cœur du projet et que le reste, pour innovant qu’il soit, n’est que de l’habillage.

Le moindre des paradoxes est qu’ayant voulu trancher avec la politique médiocre de son prédécesseur, centrée sur une calamiteuse décentralisation, Dominique de Villepin semble demeurer sous son influence. Les promoteurs les plus ardents de l’opération Suez-GDF, Thierry Breton et Jean-François Cirelli appartiennent tous les deux au clan Raffarin : tout se pesse comme si celui-ci tirait encore les ficelles.

On entend souvent à l’UMP que Villepin, ayant mis une croix sur ces chances propres, vise par des opérations qui ne pourront qu’accroître l’impopularité de la droite, à saper les chances du candidat de Sarkozy à l’élection présidentielle. Une telle mesquinerie n’est évidemment pas dans son tempérament. Il reste que les socialistes ont compris que le deuxième tour de celle-ci pourrait bien se jouer sur l’affaire GDF ; c’est pourquoi ils préparent une bruyante bataille de procédure lors de la session extraordinaire de septembre.

Villepin veut-il surmonter la mauvaise opinion qu’ont pu avoir de lui certains milieux d’affaires proaméricains – au moment où courant 2005 sa cote était au plus haut. Mais à quoi bon ? Les milieux d’affaires vont du côté du gagnant. Si le premier ministre remonte la pente dans l’opinion, ils finiront pas lui trouver des qualités. Or ce n’est pas le projet Suez-GDF qui la lui fera remonter.

Serait-il contraint à l’opération par Jacques Chirac ? Mais dans quel but ? Pour permettre au président de redorer son blason en demandant par exemple une nouvelle fois le retrait du projet s’il était trop violemment contesté et se poser en arbitre ?

On peut craindre plutôt que Villepin ne soit atteint du syndrome typiquement chiraquien de l’action pour l’action, qu’il soit animé par la conviction un peu simpliste que  plus on « bouge », mieux c’est : plus on a de chances de garder l’initiative, plus on donnera l’impression de gouverner, plus l’opinion vous en saura gré. Dangereuse illusion : la politique du XXIe siècle n’est pas la campagne d’Italie ; il vaut mieux, dans la guerre moderne, tirer un ou deux coups bien ajustés que vider les chargeurs n’importe où n’importe comment. Gouverner, ce n’est pas agir pour agir, c’est agir à bon escient. Dans l’affaire Suez-GDF, on est loin du compte.



Roland HUREAUX


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7 août 2006 1 07 /08 /août /2006 08:31

Rien de plus affligeant pour ceux qui aiment la véritable Espagne que l’image artificielle qu’on s’en fait  trop souvent de ce côté ci des Pyrénées.

Il y avait jadis l’Espagne des toreros et du fandango, de Carmen et des pénitents de Séville, terre implacable de la foi la plus ardente et des guerres sans merci.

Il y a aujourd’hui l’Espagne de Zapatero, qui a fait   récemment  la une du   Le Nouvel Observateur , grand hebdomadaire de gauche,  mais est aussi célébrée par les   organes de presse de tout  bord, même  The Economist,   comme le pays à la mode : une social-démocratie ouverte et respectueuse de l’économie libérale,  une croissance économique exemplaire,     une décentralisation radicale, l’adoption sans réserves de l’euro,  le oui à la Constitution européenne ( quoique avec 60 % d’abstentions),  le mariage des  homosexuels et leur  possibilité d’adoption , les régularisations massives d’immigrés  et,  fait déjà plus ancien dont les Espagnols sont en train de revenir, le cannabis en vente libre. Bref : le pays catholique et traditionnel  par excellence  est devenu en quelques années, sous les applaudissements des médias  internationaux, le pays le plus branché,  l’Eldorado du politically correct. Une nation    audacieuse  à faire  honte aux Français, toujours jacobins rétrogrades, xénophobes sournois, encore rétifs au mariage dit « gay », refusant hargneusement l’intégration européenne  et, c’est bien fait pour eux, à l’économie stagnante !

Il est vrai que la réussite, bien réelle, de Madrid devenue – ou redevenue après des siècles de léthargie – une grande métropole internationale  ouverte au monde, contribue à nourrir ces illusions. Cette réussite contraste avec le provincialisme où s’enfoncent les autres grandes villes de la péninsule, à commencer par Barcelone, plus soucieuses de cultiver leur particularisme ethnique que de s’ouvrir au monde.  

De cette nouvelle Espagne, Pedro Almodovar, metteur en scène talentueux  et homosexuel affiché, et Pénélope Cruz,   symbole de la nouvelle Espagnole pleinement libérée ( bien qu’au « au bord de la crise de nerfs »…), de pair avec le nouveau président du gouvernement socialiste, à l’allure juvénile et décontractée, sont les symboles emblématiques largement reproduits par les couvertures des magazines. 

Hélas, la véritable Espagne est loin de ces clichés où se complaisent   les ayatollahs de la pensée unique internationale

Sa prospérité est fragile : liée à la bulle immobilière et à une explosion des crédits aux particuliers, elle réserve, dès que la bulle percera, des lendemains qui déchantent ; le respect apparent du pacte de stabilité européen repose sur des statistiques encore plus douteuses  que les nôtres ( même s’il est vrai que les prélèvements  obligatoires sont beaucoup moins lourds en Espagne qu’en France ), le rapport entre le centre et la périphérie est  loin d’être stabilisé.  Surtout, donnée majeure,  la situation démographique du pays est catastrophique.  Le taux de fécondité est à 1,2  (  rappelons que ce taux est de 2,1 aux Etats-Unis, 1,9 en France, 1,7 au Royaume-Uni). L’Espagne est en train de dépérir à grande vitesse  ou plutôt elle « brûle la vie par les deux bouts » comme on dit ;  elle  est comme un immeuble  en flammes : tandis qu’il se consume, les gogos admirent l’éclat de la flamme  et croient qu’il  embellit. Cette situation est grave sur le plan biologique:  les générations espagnoles ne se remplaçant qu’à moitié,   le pays  est vouée à la disparition  à l’échéance d’un siècle ; elle l’est aussi sur un plan plus général : l’indice de fécondité est comme la synthèse du moral d’un peuple ; l’effondrement de la natalité – que l’on retrouve dans toute l’Europe méditerranéenne et de l’Est, mais sans que l’on chante autant de louanges des pays en cause  -  reflète de graves déséquilibres. L’imprudente  liquidation de la politique familiale  (assimilée de manière historiquement erronée  au franquisme) n’explique pas tout,  la crise de la famille ( si bien illustrée par Carlos Saura ) non plus  : c’est toute une société qui, ayant perdu ses repères,  prise de vertige, se laisse aspirer  par le néant.

Gageons qu’en fait,  c’est bien pour cela que l’Espagne est si populaire dans certains milieux  dont le goût de la modernité n’est que le vernis du  nihilisme :  parce que d’une manière plus radicale que le reste de l’Europe, ce pays , où la déchristianisation est presque aussi avancée  que chez nous,  liquide dans la fiesta  l’héritage judéo-chrétien que, plus audacieusement que d’autres poursuit sa course à l’abîme. Derrière les feux de la rampe du « miracle espagnol », l’instinct de mort.  On aime l’Espagne qui apostasie et transgresse mais aussi, sans le dire,  l’Espagne qui se suicide avec panache.

Par derrière la crise de la société,  se profile celle  du système politique espagnol. Le pays avait forcé l’admiration du monde par la sagesse avec laquelle il avait su gérer l’après-franquisme : trois hommes y avaient plus que d’autres contribué : le roi Juan Carlos qui, même si son étoile  commence à pâlir , a longtemps impressionné par son charisme et sa prudence,  Adolfo Suarez, premier chef de gouvernement de l’Espagne démocratique (1976-1980) , castillan jeune et grave, conscient de la difficulté de sa mission  et  menant la barque avec   discernement : l’un et l’autre vinrent à bout avec courage de la tentative de  coup d’Etat anachronique   de 1980 , Felipe Gonzalez (1980-1996) , représentant de la gauche dans ce qu’elle a de plus respectable : fils d’ouvrier agricole andalou arrivé au sommet ,   fier des valeurs populaires qu’il incarne   mais en même temps  prudent social-démocrate  ayant le sens de l’Etat. La transition fut fondée sur un triple équilibre  que chacun, de quelque bord qu’il soit, s’attacha à préserver :

-  entre  le pouvoir central et les autonomies ;

-  entre la tradition ( représentée d’abord par l’Eglise catholique) et la modernité , inspiratrice d’une laïcité tempérée ;

-  entre la mémoire franquiste et la mémoire républicaine, chacun convenant que l’Espagne nouvelle ne pouvait se fonder sur l’exclusion d’aucune.

Avec le néo-conservateur  José Maria Aznar (1995-2004), vint le temps de la droite américaine et ultralibérale ( l’intéressé n’est pas pour rien l’inspirateur de Nicolas Sarkozy ! ). Si l’Espagne de toujours y perdait ses couleurs, les équilibres de la transition n’étaient pas remis en cause.

Le bilan du socialiste José Luis Zapatero n’est pas nul : avoir obtenu que l’ETA dépose les armes est une réussite considérable. Mais à quel prix ?

Avec l’actuel premier ministre, on assiste, pour la première fois depuis 1975,  à la remise en cause   radicale du triple équilibre de la transition :

-  les concessions qui sont faites à la Généralité de Catalogne et celles qui vont l’être au gouvernement basque  vont si loin dans la décentralisation que l’on peut se demander combien de temps l’unité espagnole y survivra : après la Catalogne et le Pays basque, viendront sans doute  le tour de la Galice et de l’Andalousie et puis après ? Le fédéralisme espagnol, comme le fédéralisme  belge, qui son acclamés en   Europe,  vont aujourd’hui plus loin que l’allemand  ou l’américain : il n’est pas encore prouvé qu’ils  soient  une molécule stable, autre chose qu’une  phase de transition avant la rupture du pacte national ;

-  l’adoption du mariage homosexuel en juillet 2005, malgré le défilé d’un million de manifestants à Madrid,  a mis l’Eglise et l’opinion catholique en position de rupture ;

-  enfin le nouveau pouvoir s’attaque sur tout le territoire aux signes de  la mémoire franquiste (noms de rues, d’institutions, statues) : au compromis entre les deux Espagne, n’est pas  loin de substituer la revanche de l’ Espagne républicaine, tenue pour celle de la lumière sur l’ombre.

On peut craindre qu’à  terme, ces ruptures soient porteuses de nouveaux drames.

En contraste avec  le sérieux plébéien de Felipe Gonzalez,  Zapatero  représente sans doute ce que les communistes détestaient le plus dans une certaine social-démocratie :    la légèreté petite-bourgeoise, l’insouciance du  fils de famille  qui  brade allègrement l’héritage reçu.  

Est-il nécessaire de dire que dans un tel contexte, la monarchie, mal enracinée, risque de d’apparaître assez vite comme un symbole suranné  et en porte à faux ?

Si la France est le pays de la mesure ( bien qu’elle ne l’ait pas toujours été !) , l’Espagne est , c’est bien connu, celui de l’exagération : elle a exagéré jadis la chevalerie, le catholicisme  tridentin ; puis l’anarchisme et le communisme ;  notre Front populaire ne fut que l’ombre policée du Frente  popular. Depuis dix ans, elle se lance à fond dans le « libéral libertaire »  au point que les Français ont l’impression  de n’être que des « coincés ». Les Françaises ont fumé avant les Espagnoles mais  jamais dans la rue comme ces dernières. Les Français ont mis les premiers le holà aux excès de l’Europe ; ils conservent jalousement  une politique familiale et ne sont pas encore prêts d’adopter le mariage homosexuel ( plus de 20 000 maires ont fait savoir  qu’ils ne les célèbreraient pas ), ils ne régularisent les immigrés que honteusement . Sur tous ces sujets, l’Espagne semble, elle,  aller « jusqu’au bout » sans complexes ; c’est pourquoi à  chaque phase,  y  voyant  la projection grossie  de ce qu’ils  voudraient être, certains  Français admirent l’exagération espagnole : au XVIe siècle, les Ligueurs admiraient l’Espagne de Philippe II, au XXe siècle la gauche française admirait le courage de la République espagnole ( sans se décider pour autant à l’aider, en dehors  des volontaires des brigades internationales ) ; aujourd’hui les libéraux libertaires  admirent dans l’Espagne un pays apparemment  plus « libéré » qu’eux.

Jusqu’à quand durera le mirage ? Déjà la Constitution européenne a marqué un divorce – plus apparent que réel – de sensibilités ; la théorie des « chocs asymétriques »  fait craindre qu’au  premier orage  d’une certaine ampleur, l’Espagne , avant même  la  France , ne soit conduite  à s’interroger sur la pertinence de son adhésion   à  la zone euro qui oblige son économie à monter les cols avec le même braquet que l’économie allemande . 

Après l’euphorie factice d’aujourd’hui,  il n’est pas exclu  que quelque choc   salutaire vienne   sauver l’Espagne   de sa marche flamboyante au néant.

                                                                     Roland HUREAUX

 

 

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3 août 2006 4 03 /08 /août /2006 12:29

 

Vingt siècles d’un  christianisme  parfois trop mièvre, ont fait  perdre de vue ce que pouvait avoir de sage la maxime biblique « Œil pour œil , dent pour dent » (Exode 21, 25 ; Lévitique 24, 20 ).

Dans le contexte tragique de la guerre au Proche-Orient  où il est de bon ton de  dénoncer  la « loi du talion »,  cette affirmation pourrait passer pour une mauvaise plaisanterie  si on ne considérait combien  un tel  commandement a constitué  un progrès dans  une époque barbare où la pratique ordinaire était plutôt « deux yeux pour un oeil, trente-deux dents pour une dent ». D’autant que le livre du Lévitique ajoute  « la sentence sera la même, qu’il s’agisse d’un concitoyen ou d’un étranger, car je suis Yahvé, votre Dieu ».

Le même commandement  serait  aussi un progrès  en notre temps, qui se pense civilisé, mais  où peut-être à cause de cela,  les plus forts  ont pris l’habitude de représailles démesurées.

Le bilan provisoire  du conflit en cours s’établit à plus de  800 victimes libanaises , principalement civiles et 52 israéliens, 34 militaires et 18 civils : un rapport qui est déjà de un à quinze .

Même si l’on comprend l’exaspération des Israéliens face à cette écharde dans le pied  que constitue pour eux le Hezbollah, fallait-il tuer plusieurs centaines de personnes, civils pour l’essentiel,   pour libérer  ou venger  deux soldats enlevés ?  Faut-il détruire sous les bombes un pays entier  pour déloger quelques centaines de miliciens qui se trouvent  à peu de  distance de la frontière ?  

Dans le même esprit, on se souvient que la seconde Intifada ( à partir de septembre 2000)  avait causé la mort    de 4 907 personnes  dont 3 815 Palestiniens et 1 092 Israéliens , ce rapport de 1 à 3 ou 4 se retrouvant à peu près constant à chaque opération.

Israël n’est pas seul en cause. Son grand allié les Etats-Unis présente la même fâcheuse propension à sur-réagir. Quelle que soit l’horreur de l’attentat du World Trade Center , ses 3000 morts ont été largement dépassés – peut-être dans un rapport de 1 à 10 – par le nombre de victimes afghanes de la guerre de représailles menée en Afghanistan . Il en va de même en Irak où  malgré le nombre croissant de  victimes américaines –  plus de 2000 à ce jour,  on est encore loin des 100 000 victimes irakiennes  environ qu’a fait l’intervention américaine.    

On peut trouver à cette propension à la  sur-réaction  plusieurs motifs. L’ exaspération devant le terrorisme, bien sûr :   même s’il a toujours été la réponse du faible au fort, il bafoue toutes les règles,   est insaisissable et imprévisible.  La théorie du zéro mort ( largement  battue en brèche aujourd’hui à Bagdad) ou en tous les cas le souci de limiter au maximum les pertes dans son camp conduit à l’usage de bombardements massifs aux dommages collatéraux considérables.

Mais il  faut aussi faire sa part, tant dans l’attitude Israël  que dans celle des Américains, de ce qu’on appellera la volonté d’éradiquer le « mal ». En sur-réagissant aux agressions par  des représailles généralement disproportionnées,  Israël veut arracher  une paix durable avec ses voisins.  De manière encore plus manifeste, les Etats-Unis agissent avec le propos délibéré  - et parfaitement illusoire - de préparer la paix perpétuelle, en éliminant les fauteurs de trouble de la surface de la terre. Les uns et les autres veulent   faire comprendre une fois pour toutes  aux « méchants » qu’il faut qu’ils plient.

Le caractère impitoyable des foudres des Etats-Unis  est  inséparable de la théorie de la « fin de l’histoire » . Fin tenue pour imminente, déjà proclamée,  mais encore  retardée par les forces du mal . Plus on frappe fort, plus on espère hâter cette fin . Chaque guerre depuis 1918 est la der de der.

Cette idéologie ne connaît pas le combat entre égaux ; il ne connaît que la lutte du bien et du mal. Et pour cette raison aussi , cette lutte  ne peut être qu’impitoyable. Que l’enfer de la  terreur  soit pavé des bonnes intentions de l’utopie n’est pas nouveau. S’agissant des Etats-Unis ,  Henry Kissinger  (1)  a montré après d’autres combien leur mentalité  était depuis longtemps propice à une vision manichéenne de la guerre . Dix dents pour une dent , cent s’il faut : qu’importe  si la paix définitive , fondée sur l’avènement de la démocratie et du marché, est à ce prix.

Nous sommes ainsi loin du temps féodal où la guerre était acceptée comme une  donnée de la condition  humaine qu’il s’agissait non point d’abolir mais de régler au mieux: c’était le temps de la chevalerie , il est révolu.

Mais comment penser que les non-Occidentaux, spécialement les peuples directement frappés par ces impitoyables représailles, qui vont du double au décuple, parfois au centuple  , vont y voir la marque de l’idéalisme ?

Comment n’y verraient-ils pas   au contraire une forme de racisme ? Ma vie vaut trois , dix , cent, mille des tiennes. Poussé à l’extrême ; le raisonnement israélien ou américain    signifie « ma vie vaut tout , la tienne rien » .  

C’est  là que le vieux principe , où  les  esprits superficiels ne verront   qu’un esprit de vengeance archaïque , avait du bon. « Oeil pour œil , dent pour dent » signifie certes : « prends garde, je ne me laisserai pas faire » . Mais il signifie aussi : « nous sommes fondamentalement des égaux, ceci est une dispute  entre égaux : mon œil vaut le tien , ma vie vaut ta vie , pas moins mais pas plus .   

Au demeurant le principe est devenu universel . Le Koran lui-même ne dit-il pas : « Mois sacré contre mois sacré . Ce qui est sacré relève du talion. Quiconque transgresse contre vous , transgressez contre lui d’une manière égale » ( I, 190-191) ?

S’il est vrai que la rivalité mimétique , selon laquelle le sang appelle le sang , se trouve comme le dit René Girard , au cœur de l’aventure humaine , le commandement biblique invite à un premier degré de modération , prélude peut-être à des pourparlers en vue de quelque paix de compromis , d’autant plus accessible que la symétrie des représailles contient le message implicite d’une parité et donc, au moins potentiellement , d’une fraternité .

Certes, dira- t-on,  l’Evangile va plus loin : « si on te frappe la joue droite , tends la joue gauche » (Mathieu 5, 39) . Mais   on dit aussi que l’enfer est pavé de bonnes intentions. L’idéalisme christique , pour fondé qu’il soit dans l’absolu , a nourri toutes les formes de millénarisme , dont l’idéologie de la fin de l’histoire  est un des aboutissements .

Il faut que les combats cessent au Liban, spécialement après l’affreux massacre de Cana,  mais ne donnons pas dans l’utopie : la paix perpétuelle ne sera pas instaurée si vite  entre  Israël et ses voisins. Il faut peut-être que les partenaires , Israël en premier lieu,   prennent leur parti de l’état de guerre et , faute de pouvoir  l’abolir, songent d’abord à la contenir , cela par cette vieille vertu qu’est le  sens de la mesure . Dans cette région troublée l ’application du principe  « Oeil pour oeil, dent pour dent » mais rien de plus, ce ne serait déjà pas si mal.  

 

                                                 

Roland HUREAUX

 

 

 

1.                      Henry Kissinger, Diplomatie, traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra, Paris, Fayard, 1996

 

 

2.                      On oublie souvent de citer la suite : « Ainsi vous serez les fils de votre père qui est aux cieux car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes »  (Mt 6, 45) , autrement dit « vous serez des dieux ».

 

 

 

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3 août 2006 4 03 /08 /août /2006 12:08

 

 

Les grandes manœuvres qui se déploient depuis quelques années sur le marché européen de l’énergie donnent lieu dans la presse et les  débats politiques à une série de poncifs  que l’on pourrait résumer de la manière suivante :

-   l’avenir est à un grand marché européen intégré de l’énergie, spécialement du gaz et de l’électricité, tel que le  promeut la commission de Bruxelles ;

-   ce marché sera le lieu d’une concurrence bénéfique pour tous ;

-   entre autres effets favorables, cette concurrence doit faire baisser les prix de l’énergie pour le plus grand profit de l’industrie  et des particuliers;  

-   il s’accompagnera d’  une dérégulation à caractère libéral ;

-   la France, attachée aux privilèges surannés d’EDF et GDF  et craignant frileusement  la concurrence tend à refuser cette ouverture du marché ;

-   cette réticence provoque l’exaspération de nos partenaires ;

-   l’étatisme français coûte cher à notre pays: des entreprises peu compétitives ; une énergie plus chère ; il maintient  les  privilèges exorbitants du personnel et des syndicats ;

-   les entreprises françaises, singulièrement EDF, doivent se préparer à l’ouverture du marché en prenant pied  de manière agressive chez nos principaux partenaires.

La récente décision du gouvernement français de fusionner GDF et Suez, ce qui aboutit à privatiser GDF,  reflète parmi d’autres  une  telle conception.

Hélas, cette vision partagée peu ou prou par la plupart des journalistes et beaucoup d’hommes politiques est fausse de bout en bout.

On voudrait, pour l’établir combien,  démonter  les principales idées  reçues sur lesquelles elle repose en rappelant un certain nombre de faits.

 

 

 

1.                        Le marché européen de l’électricité est à ce jour un marché cloisonné,  peu susceptible pour des raisons physiques de s’ouvrir à court terme.

 

 

Le marché de l’électricité a été au cours du XXe siècle organisé sur une base nationale, voire régionale (Allemagne, Italie). Les échanges transfrontaliers supposent un réseau de  lignes à très haute tension  couvrant l’ensemble de l’Europe. Or à ce jour, ces lignes sont insuffisantes. Pendant longtemps, le Royaume-Uni a été isolé de la « plaque continentale ». L’installation en 1990 d’une liaison transmanche a réglé, mais en partie seulement,  la difficulté. Les  péninsules italienne et  ibérique demeurent des   marchés  relativement à part  faute de liaisons transalpines et transpyrénéennes suffisantes.

Ceci dit, rien n’empêche un opérateur situé en n’importe quel point de l’Europe de vendre au jour le jour de l’électricité à un  acheteur, voire un consommateur situé à l’autre extrémité. Compte tenu de l’obligation technique de maintenir un équilibre instantané entre production et consommation et donc  la même tension sur l’ensemble du réseau, cette transaction signifie qu’au moment où un consommateur « soutire » de l’énergie électrique en un point A du réseau, un autre opérateur en injecte  autant en un  point B.  Mais cela ne signifie nullement  que   les électrons introduits en A  vont aller en B. La circulation des flux électriques, tributaire de la mécanique quantique, dans un ensemble  comme le réseau européen est extrêmement complexe.  La seule  contrainte qui s’impose aux opérateurs est le maintien en équilibre du système.

Compte tenu de cette règle, le commerce transfrontalier de l’électricité  peut théoriquement se développer  sans limites. Mais la plupart de ces transactions, généralement opérées sur le marché de gros, s’annulent ; seuls les soldes font l’objet d’une transaction effective  d’un pays à l’autre. Or ces soldes sont soumis aux limitations physiques que l’on vient de voir.

En dépit de toute la rhétorique sur l’ouverture du grand marché européen, ces limites demeurent : il faudrait pour les   faire éclater que s’ouvrent de nombreuses lignes THT nouvelles entre les pays. Malgré des efforts récents de la commission européenne   dans ce sens, ce n’est pas le cas, d’abord parce que le besoin  n’est pas ressenti comme pressant, ensuite parce que les lobbies environnementaux qui bloquent ces projets sont de plus en plus forts, comme le montre le blocage de la ligne Cazaril- Aragon et de  la ligne Boutres-Carros, et, comme on le verra plus loin,  parce que ce n’est pas l’intérêt des opérateurs de réseaux.

Dans des pays à tradition fédérale comme l’Allemagne, c’est même entre les Länder que se rencontrent ces blocages physiques.

 

 

2.                        On peut tirer de là  que le bénéfice global  à attendre  d’une concurrence généralisée à l’échelle européenne, à supposer qu’elle soit possible, sans être nuls, sont limités.

 

Si  le commerce physique ne concerne que les soldes des transactions financières, on comprend que la marge de manoeuvre pour une meilleure allocation des ressources est réduite.

La concurrence sur les transactions qui s’exerce au travers du trading (  pour laquelle EDF s’est dotée en 1999 d’une filiale EDF Trading installée à Londres) porte davantage sur les marges des grossistes. Les clients dits « éligibles », c'est-à-dire les plus gros consommateurs  ( en France, le principal est la SNCF), qui peuvent  depuis déjà plusieurs  années changer de fournisseur  en ont sans doute bénéficié mais dans une proportion qui reste à déterminer.

Si l’on pouvait mesurer   les effets physiques  sur les flux réels des changements opérés par la libéralisation en cours des marchés européens, on les trouverait  sans doute insignifiants. Seule la répartition de la valeur ajoutée entre les opérateurs a dans certains cas changé au bénéfice d’intermédiaires qui ne produisent, ni ne transportent, ni n’organisent la distribution.

 

3.                        Le bénéfice global attendu de  la libéralisation est hypothétique dans la mesure où, tant pour des raisons exogènes qu’endogènes, les prix de l’énergie sont en  hausse partout en Europe.

 

 

Le marché du gaz est certes tributaire des cours mondiaux. Celui de l’électricité l’est  moins. Une des premières revendications d’EDF après son changement de statut de  2005 fut pourtant de demander une augmentation  des tarifs de près de 10 %. GDF revendique 16 %.

Cela est paradoxal dans la mesure où le principal avantage que le chancelier Kohl  et d’autres dirigeants européens attendaient de la libéralisation du marché de l’énergie en Europe était à l’origine une baisse des prix. Faute que l’Europe puisse s’adapter à la concurrence mondiale en baissant les salaires, elle devait, pensait-on, agir sur d’autres intrants à commencer par le prix  de l’énergie.

Or c’est le contraire que l’on observe. Il y a fort à craindre  que la libéralisation ( voire la privatisation) des entreprises, assortie d’un processus de concentration transnational,  dans un contexte physique qui limite sensiblement la concurrence effective, ne se  traduise par des ententes de type oligopolistique (1).

Le prix de l’énergie est  une  variable suffisamment essentielle de  la vie économique   pour que, longtemps, les gouvernements se soient souciés de le contrôler. Ils opéraient ainsi un arbitrage entre les intérêts de l’entreprise électrique ( qui sont aussi ceux de l’Etat actionnaire et de son personnel ) et ceux des consommateurs, industries et grand  public. Dans un contexte de  vraie concurrence, dont une des conditions serait la multiplication des intervenants à même d’opérer en n’importe quel point du territoire, on peut comprendre   que l’allocation libérale tire les prix à la baisse. Dans un contexte faussement libéral où l’Etat perd sa capacité d’arbitrage, il est à craindre que les intérêts des consommateurs ne soient sacrifiés (2).

 

 

4.                        La constitution de grandes unités transnationales privées n’est pas susceptible d’entraîner des progrès économiques substantiels.

 

 

On peut attendre plusieurs avantages de la  constitution d’unités transnationales. Le premier est l’accroissement de la concurrence à l’intérieur des Etats : mais ces unités se construisent par l’acquisition, non point de parts de marché plus ou moins flexibles en  fonction de la compétitivité mais de « segments de marché »  constitués  de capacités de production et de réseaux de distribution localisés.

Les différents  opérateurs européens  suivent des méthodes analogues et sont à peu près à égalité sur le plan technique : il y a donc  peu à attendre des fusions en matière de   « bench-marking.» Ce n’est pas le cas des investissements dans le tiers monde ou les pays neufs où de sensibles progrès peuvent être introduits par les opérateurs européens.  Si EDF a perdu au cours des années récentes un milliard d’€  en Argentine et   autant au  Brésil, ce fut pour des raisons strictement monétaires: sur le plan technique et commercial, il s’agit d’opérations rentables et très bénéfiques pour les réseaux locaux remodelés à la française.

Enfin, tributaires de très lourds investissements et de  prix de vente jusqu’ici plus ou moins administrés, les entreprises électriques  européennes n’ont  pas à attendre une rentabilité très différente d’un pays à l’autre. Les investissements transnationaux constituent une intégration horizontale  aux bénéfices   plus limités que ne le serait par exemple une politique active de construction  de centrales à  technologie de pointe.

Une des règles d’or de la  fusions-acquisistion est qu’il ne faut pas les opérer dans des marchés en stagnation ou en faible croissance si on n’a pas l’espoir de s’y trouver en  position dominante. Le marché de l’électricité est  contraint par la lourdeur des investissements, une croissance lente et des prix  encore plus ou moins contrôlés. Si l’on espère une position dominante, pourquoi parler encore de libéralisation ? A fortiori, ces acquisitions sont-elles critiquables quand elles s’opèrent au prix fort, comme ce fut le cas des acquisitions d’EDF au cours des dernières années, hypothéquant la capacité d’investissements directement productifs.

 

5.                        La privatisation du marché entraîne paradoxalement un surcroît de régulation

 

 

Aussi longtemps qu’il n’y avait qu’un  seul opérateur contrôlé par l’Etat, la réglementation n’était pas nécessaire . Selon un processus que l’on retrouve dans d’autres domaines (télécommunications ou audiovisuel  par exemple), la création d’un marché dans un domaine technique complexe suppose l’établissement  de règles du jeu elles-mêmes complexes ( mais nécessaires compte tenu de la spécificité stratégique, technique et industrielle du secteur)  et la création d’administrations de régulation  plus ou moins lourdes pour les appliquer. Cela n’est pas une surprise : contrairement à ce qu’imaginent les théoriciens superficiels du libéralisme, en toutes matières  la libéralisation implique un surcroît de réglementation : l’Europe de la libre concurrence à l’anglo-saxonne et l’Europe hyperréglementée de Bruxelles, loin de s’opposer,  s’impliquent l’une l’autre !  

Encore faudrait-il  que cette réglementation soit de bonne qualité : fondée sur des concepts justes, claire et stable. Il semble qu’avec la directive européenne de 1996 et les textes subséquents,  l’on soit loin du compte. 

 

 

6.                        La manière particulière dont a été organisé le libre marché de l’électricité en Europe pourrait même contribuer   à freiner les échanges

 

 

L’organisation d’un libre marché de l’électricité implique l’ouverture à la concurrence de la production ( ou au moins du marché de gros), de l’exploitation du réseau et de la distribution, mais il est  en revanche difficile à moins d’installer au bord des routes  deux ou trois  lignes concurrentes comme, paraît-il, c’était autrefois le cas  au Far West,   d’introduire la concurrence dans la gestion des réseaux. Il en va de même en matière de réseaux ferrés et, jusqu’à un certain point de télécommunications.

Considérant que la gestion du réseau est un « monopole naturel », il a été confié dans chaque pays à un opérateur supposé indépendant,  ou en tous les cas autonome, en France RTE qui est une branche financièrement indépendante d’EDF ( comme Réseau ferré de France est en  théorie indépendant de la SNCF), dont le président est désigné par la Commission de régulation de l’électricité.

Il est probable que ce dispositif assure une certaine neutralité du gestionnaire de réseau par rapport aux opérateurs qui l’utilisent, une question qui ne se posait pas dans une situation d’intégration verticale. Il est certain qu’il est consommateur de personnel.  Mais surtout, on n’introduit pas impunément un monopole, fut-il inévitable et naturel, dans une chaîne concurrentielle. Compte tenu du mode opératoire du gestionnaire de réseau à l’international sous forme de  mise aux enchères des droits de transit, ce monopole a  un intérêt évident à entretenir la rareté qui lui permet de garder la part du lion  de la valeur ajoutée et d’ainsi construire et capturer une rente.  Surtout rien n’  incite les gestionnaires de réseaux à développer   les interconnexions internationales, d’autant que pour les développer il faut braver, on l’a dit, de fortes résistances écologiques. Seul l’Etat  peut imposer une stratégie de développement aux opérateurs de réseaux, mais en disant cela, on revient  au point de départ.

 

 

7.                         EDF et GDF ne sont pas des entreprises archaïques ;  les prix français sont dans la moyenne européenne ; les avantages  du personnel sont compensés  par la modernité de l’appareil de production et sa gestion centralisée génératrice d’une fort effet d’échelle.

 

 

Contrairement aux idées reçues, les prix de l’électricité n’étaient pas plus élevés en France que dans le reste de l’Europe. Ni moins élevés d’ailleurs. Répartis en de multiples catégories, ils se trouvaient vers 2000, selon ces  catégories, tantôt au-dessus de la moyenne européenne, tantôt au dessous.

Comment cela se fait-il, dira une certaine droite, si l’on considère  les privilèges considérables du personnel, des effectifs pléthoriques, le poids des retraites etc ?  Sans doute la rente  procurée par un investissement considérable dans le nucléaire réalisé au cours des années  70 et 80 compense-t-elle assez largement les effets d’une  politique sociale relativement généreuse. Il n’est pas certain non plus que les avantages du personnel soient beaucoup moins considérables chez certains de nos partenaires européens (3).

Au demeurant privatisation et statut du personnel sont deux choses différentes : la loi du 9 août 2004 prévoyant l’ouverture du capital d’EDF  a maintenu  certains privilèges, dont ceux du comité d’entreprise,  aux fins de faire accepter le changement de statut.

L’existence d’un prix administré tiré à la baisse a longtemps avantagé le  consommateur, ne serait-ce que par le souci de tenir  l’indice des prix. En contrepartie, EDF a, c’est bien connu,  mal provisionné le démantèlement de ses centrales ou le poids des retraites futures : financièrement, cette entreprise a  sans doute sacrifié le présent à l’avenir, les fonds correspondant aux provisions étant  mal sécurisés. Lui faire le même procès sur le plan technique, le seul qui importe en définitive, serait, est-il nécessaire de le dire ?  au vu des investissements considérables qu’elle a réalisés,  absurde.

Que les dirigeants des nouvelles  entreprises énergétiques, bénéficiaires d’un statut plus libéral, demandent immédiatement un relèvement de 10 à 15 % des prix de vente du gaz et de l’électricité, en vue notamment de satisfaire leurs nouveaux actionnaires, montre en tous cas qu’ils ne craignent guère  les effets de la concurrence du « grand marché » (4)!

 

8.                        Compte tenu des données physiques du marché de l’électricité, il y a peu de risques que la France cesse à court et moyen terme d’être exportatrice  nette d’électricité.

 

 

Bien entendu des opérateurs étrangers peuvent intervenir sur le marché de gros (comprenant  celui des grands consommateurs ) au détriment d’EDF. D’autant qu’à plusieurs reprises, la commission de Bruxelles, pour compenser les opérations hasardeuses d’EDF sur les  compagnies européennes, lui a imposé de vendre aux enchères une partie de l’électricité qu’elle produit en France. Le risque d’un bouleversement des positions demeure cependant faible, compte tenu du savoir faire de l’entreprise sur les marchés de gros, développé notamment grâce à un accord de coopération  avec Louis Dreyfus dans le cadre d’EDF Trading (5).

Fondé sur la concessions de l’exploitation d’un réseau possédé par les collectivités locales, le marché de détail semble, lui,  verrouillé pour un moment.

Il reste  la capacité de production. Suffisante et même excédentaire, elle est peu à même de se développer à court terme. Il y a peu de chances donc qu’une entreprise étrangère vienne construire une centrale en France, à supposer  que l’autorité de régulation lui en donne l’autorisation. Pour permettre  l’introduction effective d’un opérateur étranger en France, il faudrait qu’EDF vende une partie de son parc. Ce n’est pas une perspective immédiate.

On a vu que ce qui transitait effectivement sur les lignes électriques était  les soldes des transactions financières. Ces soldes sont tributaires d’un appareil productif qui ne se renouvellera pas du jour au lendemain, d’autant que la marché global n’est qu’ en croissance lente.

Le marché européen est globalement équilibré : comment en serait-il autrement ? Il n’y a pas bien évidemment d’échanges intercontinentaux en la matière. La France, en raison de son surinvestissement nucléaire est excédentaire d’environ 15 % de sa production, les autres pays sont en conséquence déficitaires d’un montant analogue. C’est une donnée lourde qui peut varier à la marge d’une année sur l’autre en raison  des aléas climatiques,  mais qui ne sera pas remise en cause  du jour au lendemain. D’autant que les principaux clients de la France, l’Allemagne et la Belgique  ne sont guère portés à construire aujourd’hui de nouvelles centrales ( l’Italie qui a repris les constructions est une exception). Même si EDF ne retire plus toute la plus-value des transactions, la production française d’électricité en tant que telle  est encore peu menacée par la concurrence (6).

 

 

9.                        Les prises de participations agressives d’EDF et GDF sur les marchés européens ne servent en rien à préparer une hypothétique ouverture des marchés.

 

 

Le contrat de plan d’EDF de 1998 entretient une savant ambiguïté sur ce chapitre. Il dit en substance que pour se préparer à l’ouverture du grand marché européen, il faut impérativement qu’EDF prenne des participations chez ses partenaires. C’est ainsi qu’EDF  a acquis  en 1998 London Electricity  qui, entre autres,  fournit l’électricité au 10, Downing  Street, qu’elle a pris une participation dans EnBW  en Allemagne et , dans des conditions très contestées et finalement peu glorieuses, a acquis une part d’Edison en Italie.

Ces prises de participation, souvent payées au  prix fort, ne son nullement assimilables à une pénétration du marché national assurées par le dynamisme commercial, comme ont pu le faire chez nous, à la marge et bien entendu gratuitement , certains opérateurs à l’occasion des ventes aux enchères imposées par Bruxelles.

Il est illusoire de penser que ces achats vont permette de vendre dans les pays concernés une électricité  d’origine EDF. Cela  parce que, en acquérant ces entreprises, on acquiert  en même temps l’appareil de production qui va avec ; et à supposer qu’il leur en manque, à l’occasion de telle ou telle pointe saisonnière de consommation, elles s’approvisionneront sur la marché et non pas à la maison mère.

Il est absurde enfin de croire ( sauf peut-être au Royaume-Uni) qu’en faisant ces acquisitions, on « prend pied » sur les marchés voisins. Certes, elles permettront de mieux se familiariser avec certaines réglementations ( mais la plupart de celles-ci  sont désormais européennes) ou certaines habitudes des consommateurs, mais les entreprises acquises  ne contrôlent qu’un segments du marché, celui que l’on a acheté, rien de plus. Par exemple, acheter 45% d’ EnBW, c’est   pour EDF étendre son territoire sur le Land frontalier de Bade Wurtemberg,  nullement sur la Rhénanie du Nord ou la Basse-Saxe.

 

   10. Ces prises de participation exaspèrent bien inutilement nos partenaires.

 

 

Il est inutile de dire que ces prises de participation ont provoqué, spécialement  en Italie, une grande exaspération à l’égard de la France.

Pour deux raisons : la première est que EDF n’a acquis une masse financière suffisante pour se livrer à ce jeu que grâce à un monopole territorial (dont on a vu cependant  qu’il n’avait pas que des avantages). Des entreprises de statut privé qui n’ont pas eu ces avantages (ou ne semblent pas les avoir)  peuvent se plaindre à bon droit d’être défavorisées dans un tel  jeu de monopoly.

C’est un fait cependant qu’EDF est la première entreprise électrique du monde et qu’elle a de ce fait quelques longueurs d’avance, notamment en matière nucléaire.  Elle ne doit d’ailleurs pas tout au monopole, elle est  redevable également du dynamisme de ses équipes techniques.

Mais, plus que ses interventions à l’étranger, ce  qui exaspère nos partenaires est que la position d’EDF en France leur interdit de nous rendre la pareille. Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs ? Il faudrait, pour cela,  que quelque société étrangère fasse une OPA sur notre entreprise nationale dans son ensemble, ce qui est, bien entendu, interdit aujourd’hui par son statut et le sera de toutes les façons longtemps par sa taille, ou que EDF ( et GDF) soient morcelés en entités territoriales : un opérateur étranger pourrait alors acheter l’une d’entre elles, par exemple une compagnie italienne acquerrait l’Electricité de Rhône-Alpes. Pourquoi pas ? Mais son avantage sur le reste du marché français ne   serait alors pas plus considérable que celui qu’EDF acquiert à l’étranger.

Comment imaginer que nos partenaires verront avec faveur le projet de fusion de GDF et de Suez , qui vise en principe à empêcher une prise de contrôle italienne de ce dernier – pourtant dans la logique du libéralisme – et à placer Electrabel, c'est-à-dire l’électricité belge, sous un contrôle français direct ?

D’autant que le prétendu nationalisme économique allégué dans cette affaire est un leurre : Suez dont les deux principaux fleurons sont l’électricité de Belgique et une part de marché des services aux collectivités locales en France peut, à la différence de la sidérurgie ou de l’aéronautique,  difficilement être qualifiée d’entreprise stratégique.

Compte tenu du faible avantage que l’on peut tirer de ce jeu d’acquisitions ( nous ne parlons ni d’investissements dans le tiers monde, ni d’acquisitions hors de la branche,  longtemps interdites par le  statut) , nos partenaires voient peut-être plus clairement que notre establishment,  ce qu’il signifie : une simple manifestation de volonté de puissance gratuite et outrecuidante. Nous pouvons, pour notre part,  penser qu’il ne s’agit que de la volonté de puissance des  dirigeants des entreprises concernées – ou leur souhait d’agrandir  leurs émoluments !  - , dans lesquels les citoyens français ont bien peu de part ;  mais comment empêcher  nos partenaires d’y voir  la volonté de puissance de la France elle-même (7).

 

 

Que conclure de  ces considérations ?

Il se peut, par un étonnant paradoxe que la science politique élucidera un jour, qu’un certain  libéralisme   aboutisse en matière énergétique  à une accumulation d’ « effets pervers », beaucoup moins graves certes  mais analogues dans leur principe, à ceux du système soviétique.  En cette matière comme en d’autres, la question n’est pas libéralisme ou non, elle est  d’appliquer au cas par cas des concepts adaptés à un objet donné. Cela suppose une vertu de plus en plus rare dans l’élaboration des  politiques publiques : le bon sens. Le refus du marché en matière de biens de consommation s’est avéré en d’autres temps désastreux. L’imposition de règles prétendues de marché, fondées sur l’esprit de système pour ne pas dire l’idéologie, dans une matière qui ne s’y  prête pas ou qui exige d’autres types de règles, peut également avoir des effets contraires à ceux que l’on escomptait : le plus frappant est que la libéralisation du marché électrique aboutisse à  une hausse générale des prix, soit l’inverse de ce qui était son  objectif  affiché.

On peut s’étonner de  la force des idées reçues et de la manière dont elles peuvent biaiser ( au bénéfice de quels intérêts ? cela reste à considérer ) la gestion d’intérêts pourtant essentiels.

Il convient  en tous les cas de revoir  un certain nombre de pratiques qui ont fleuri au cours des dernières années.

Faut-il revenir en arrière, à des opérateurs étatiques ou non, à caractère national ? Ou à l’inverse faut-il démanteler EDF en autant d’entités qu’il y a de régions ?

Il ne serait pas raisonnable de substituer un  esprit de système à un autre.

Même si le bénéfice collectif en est limité, la liberté du marché de gros est un acquis.  Celle de la distribution aux particuliers est une aventure qui peut être tentée. Mais il  est absurde d’imaginer que l’on mettra fin d’un trait de plume au cloisonnement à la fois historique et technique du marché européen ( comme le marché intercontinental est , lui, définitivement cloisonné pour des raisons  géographiques ). EDF  aurait déjà assez à faire  à défendre son territoire, ce qui n’implique aucun investissement lourd, seulement du savoir faire et du dynamisme  commercial , sans tenter d’imposer une domination symbolique  coûteuse, largement  inutile et sans rationalité économique chez nos partenaires. Si l’on n’espère pas    un véritable décloisonnement du marché européen, autant en prendre son parti et en tirer les conséquences : d’abord maintenir un minimum de régulation étatique,  notamment celle des prix, plus que jamais menacés par des pratiques oligopolistiques sournoises, ensuite  cesser de se laisser fasciner par des mécanos industriels qui ont peu d’intérêt dans ce secteur,   en  respectant vis-à-vis de nos partenaires européens et entre   opérateurs publics et privés une sorte de  gentlemen’s agreemnt qui dissuaderait   EDF ( ou GDF) d’abuser  à tort ou à travers de sa position  de force.

Surtout, il est urgent de revenir aux fondamentaux. Ce qui fait la  force d’un secteur comme le secteur électrique,  en France comme ailleurs, moins que ses structures juridiques et économiques c’est l’invest

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3 août 2006 4 03 /08 /août /2006 12:07

 

 

C’est un secret de polichinelle : dans les cercles où on suit de près les questions d’immigration, la loi Sarkozy , malgré tout le bruit qu’elle a fait , est tenue pour un coup d’épée dans l’eau  qui ne renforce nullement le contrôle des flux migratoires.

 

On a claironné que désormais l’immigration « choisie » se substituerait à l’immigration « voulue. » Mais on  n’a  fait qu’ajouter un modeste contingent de migrants  « choisis » ( environ 10 000 prévus,  à ce qui a été annoncé sans que ce chiffre figure dans la loi ) aux flux mal contrôlés de l’immigration familiale ( environ 100 000 par an, dont 65 000 par mariage avec un conjoint qu’on est allé chercher dans le pays d’origine,  sanitaire ( en croissance rapide ) , politique (réfugiés)  et naturellement des filières clandestines (impossible à chiffrer par définition) . Le total des entrées est sans doute supérieur à  200 000 par an.

 

La muraille est trouée de brèches ; on ne répare pas les brèches mais on ouvre une petite porte « officielle »  en plus !

Tel est sommairement résumé le bilan  de la « loi relative  à l'immigration et à l'intégration »  que vient d’adopter le Parlement.

La principale innovation, l’immigration « choisie »,  se traduit par l’instauration d’une carte «  compétences et talents » et d’une carte temporaire de trois ans pour certains salariés.

Le reste est constitué par une mise en cohérence des textes,  souvent de pure forme  ou alors de mises aux normes européennes en conformité avec le  traité d’Amsterdam : rien qui empêchera les bénéficiaires des   régularisations massives opérées récemment en Italie et en Espagne de venir s’ils le veulent en France, au contraire, rien qui permettra  non plus d’éviter in fine la régularisation de tous les parents d’enfants scolarisés  en situation irrégulière dont il a été question au début de l’été.

En matière d’intégration, malgré les avertissements d novembre 2005, la réponse est encore plus limitée : extension des cérémonies de remise des titres de nationalité – même pas obligatoires - ,  reprise de dispositions antérieures comme le contrat d’accueil et d’intégration : crée à l’initiative de  François Fillon, expérimenté à partir de juillet 2003,  il est maintenant généralisé à l’ensemble du territoire. Les mesures tendant à renforcer les contrôles sont   cosmétiques : plus de régularisation automatique au bout de dix ans de clandestinité (ce qui peut avoir un effet dissuasif,  mais peut être tenu aussi pour irréaliste), délai de naturalisation pour les conjoints repoussé de deux à quatre ans (ce qui ne changera  rien au courant en progression de mariages par lesquels  on va chercher  une fille « du pays » , supposée plus docile, signe manifeste dans certaines communautés rétrogrades d’un refus de l’intégration).    

Alors pourquoi tant de bruit ?

A  supposer qu’il faille le prendre   au sérieux ( ce qui , on vient de le montrer,  est douteux) , le principe de l’immigration choisie est certes peu élégant    et,  pensons-nous,  en rupture avec la tradition d’accueil à la française. Il implique une instrumentalisation des gens dont on ne  considérera  plus que l’ « utilité » ( sans aller jusqu’à des centres de triage !). On renonce ainsi de manière affichée   au grand principe de Kant selon lequel autrui  doit toujours être considéré comme une fin et non comme un moyen. Il vaut   mieux dire  sans doute  : «  nous sommes un pays hospitalier mais désolé, il nous est impossible d’admettre davantage de migrants – à l’impossible nul n’est tenu ! »  que   «  votre personne ne nous intéresse pas, ce qui compte, c’est ce que vous pourrez nous apporter ».  Bien entendu les principes sont en la matière quelque  peu hypocrites, mais s’agissant de relations interpersonnelles, ils ont leur importance

On peut aussi critiquer le principe de l’immigration choisie sous un autre rapport : il conduit   à vider un peu plus de leurs rares compétences nos partenaires africains et donc à entraver davantage encore leur développement. 

Campé sur ces deux idées  :  « vous ne nous intéressez que si vous nous êtes utiles » , « on vous prend les meilleurs », Nicolas Sarkozy ne devait pas s’étonner d’avoir été reçu plutôt froidement en  Afrique !   

Mais compte tenu   du caractère en définitive assez vide du dispositif,  pourquoi s’être engagé  là dedans (  contre les réticences de l’Elysée et Matignon)  ? On peut se le demander.

En prônant l’immigration choisie, le ministre de l’intérieur a-t-il voulu montrer qu’il n’était pas contre toute immigration et donc faire savoir une nouvelle fois qu’il n’était pas suspect de racisme ? A-t-il voulu  affirmer sa différence en s’inspirant d’un  pragmatisme « à l’anglo-saxonne », de fait étranger à nos mœurs  ? A-t-il cherché à   satisfaire la patronat qui souhaiterait  ouvrir à nouveau la porte à  une immigration  de travail pour satisfaire certaines branches qui connaissent la pénurie de main d’œuvre ( mais que fera-t-on avec de si petits contingents ? ). A-t-il eu le  souci de faciliter les démarches  au petit nombre de migrants hautement qualifiés et à leur famille qui doivent venir en France ( Américains venant travailler dans  une multinationale par exemple) : mais fallait-il une loi pour ça ? Ne s’agirait-il  surtout  de rodomontades démagogiques,  comme nos gouvernements en ont pris l’habitude depuis trop longtemps ,  le « faire savoir » se substituant face aux problèmes  au « faire » et au « savoir faire » ,  la « communication » tenant  lieu d’action   ? On peut le craindre.  Que l’on se contente de faire semblant, voilà qui, dans une   matière aussi grave est inquiétant.  Que ce soit,  à dix mois des élections présidentielles,  le seul moyen de   satisfaire l’opinion sans prendre trop   de risques du côté des belles âmes hostiles à tout contrôle des flux migratoires, n’est pas une circonstance atténuante.

Parmi ces belles âmes   figurent en bonne place  les évêques de France. On sait comment, consultés par le ministre de l’intérieur, ils ont marqué leur désaccord  vis-à-vis d’une politique de contrôle trop sévère de  l’immigration.  Mais pourquoi donc cet accrochage alors que la  loi  est, comme on vient de le montrer, aussi mince de contenu ? On n’échappe pas au soupçon que les dits évêques  aient  été instrumentalisés : le coup de crosse qu’ils ont donné était prévisible - il y a suffisamment de connaisseurs des cultes au ministère de l’intérieur pour savoir qu’ils n’aimeraient pas qu’on tente de le compromettre en recherchant leur aval  ( à l’encontre de  la tradition laïque française) sur un sujet aussi délicat. Mais les critiques de l’  épiscopat – quoi qu’on en pense sur le fond -  ont  permis de cautionner dans l’opinion  l’idée qu’il s’agissait d’un projet « dur », répressif . Si les évêques, dont  les bons sentiments en la  matière commencent à être connus, ne  sont pas contents, c’est que, a pu penser le    Français moyen, Nicolas Sarkozy  a vraiment la  volonté de lutter contre  l’immigration  illégale, une impression qui, on l’a vu, est largement démentie par la lecture de la loi. En définitive, il n’est pas exclu  que les évêques n’aient été dans cette affaire que les  faire-valoir de  la    propagande du ministre de l’intérieur.

 

 

Jean MARENSIN

 

 

 

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4 avril 2006 2 04 /04 /avril /2006 07:25

 

 

Les turbulences que  traverse  aujourd’hui la France se trouvent au croisement de trois  crises.

La crise dite des banlieues, qui a atteint son paroxysme en novembre dernier et qui risque d’être relancée par les événements actuels est le propre de très jeunes gens, originaires des cités dites « difficiles ». Elle n’a pas de véritable organisation  et se traduit par une extrême violence dont la principale cible est la police.

Les explications qui en sont données sont pour la plupart insatisfaisantes.  Le chômage ? Mais la majorité de ces jeunes sont des mineurs qui  ne sont pas encore en âge de travailler. L’immigration ? Mais il ne s’agit que d’une minorité des enfants d’immigrés, ceux que leurs parents ne contrôlent pas. L’islamisme ? Les mouvements islamistes ne  sont clairement pas derrière, même si, ultérieurement une récupération est possible ; les recrues européennes d’Al Kaida viennent plutôt de l’université que des lycées professionnels. Le racisme ?  Mais les  « casseurs » sont de toutes origines, y compris parfois indigènes.

La haine fantastique de ces  jeunes  pour  la police devrait nous mettre sur une autre piste : celle d’une éruption de violence « oedipienne » à l’égard d’un « principe de réalité » qui n’est plus incarné  par l’autorité parentale ( les jeunes les plus violents viennent de familles déstructurées),  ni par l’école ; l’instance paternelle haïe est « transférée » sur   l’Etat, symbolisé par la police. C’est pourquoi  la plupart de ces jeunes se rangent vers  25 ans.

Il reste qu’en amont, de tels événements ne se produiraient pas si la France n’avait accueilli au cours des dernières années un flux plus important d’immigrés que les autres pays d’Europe et si cette immigration ne revêtait  pas des caractères particuliers :  en majorité non seulement  musulmane , ce qui  n’est pas original, mais plus spécifiquement  arabe, ce qui l’est plus : la France est en Europe le premier pays d’accueil des Arabes  et donc la première caisse de résonance des événements du Proche-Orient . En outre, notre affirmation surprendra : cette  immigration   est  moins « communautaire »  que d’autres : les structures familiales des Arabes ou Africains de France sont plus vulnérables que celles des Asiatiques, bien sûr, mais aussi celles des Turcs d’Allemagne  ou des Pakistanais d’Angleterre ; malgré des réactions de crispation identitaire ( affaire du voile), l’encadrement des jeunes y est  plus déficient. 

L’autre crise est celle qui s’est exprimée dans le référendum du 29 mai 2005.  Même si l’on s’est attaché depuis à l’oublier, le rejet clair du projet de  constitution européenne par le corps électoral a témoigné d’un grave malaise de la société française, cette fois  dans son ensemble.   S’il n’est pas sûr que la construction européenne ait été rejetée dans son principe , elle l’a été certainement  dans ses modalités. Plus particulièrement  visée fut   la  politique menée par les différentes instances qui tiennent lieu de gouvernement européen  à Bruxelles, à Luxembourg et surtout à Francfort. A  été sans doute aussi  sanctionnée  la manière dont les gouvernements français successifs défendent ( ou ne défendent pas) les intérêts  de la France dans la grande mécanique européenne.

En tous les cas, les effets de ces politiques ont très clairement été perçus:  stagnation su pouvoir d’achat depuis environ quinze ans ( l’augmentation limitée donnée par les statistiques est   absorbée  par la hausse des prélèvement quasi-obligatoires : assurance maladie et  auto, mutuelles, redevances locales , électricité etc.), maintien d’un taux élevé de chômage, délitement du tissu agricole et industriel  et aussi – même si la responsabilité nationale, voire locale,  est pour le coup la principale – hausse des impôts et des charges.

Le discours officiel  est que tout cela est le prix à payer  pour s’adapter à la mondialisation. Mais la mondialisation étant supposée nous apporter un plus, comment faire admettre que dans l’immédiat, elle ne se traduise  pour la masse que par des sacrifices ? Retour à la « génération sacrifiée » de  Staline ? Mais qui peut encore y croire ?  

C’est ce deuxième malaise qu’expriment les syndicats classiques dont les membres ne sont ne principe  pas concernés par le CPE, mais qui craignent qu’il ne soit le prélude à un démantèlement du Code du travail. .

La troisième crise est celle, plus spécifique,  d’une partie de la jeunesse : ni celle des grandes écoles ( qui rêve de partir à Londres ou à New York et s’est remarquablement tenue hors des mouvements de contestation), ni celle des banlieues, mais entre les deux,  un mélange composite d’étudiants de filières déclassées, de jeunes chômeurs plus ou moins diplômés, mais aussi des  intermittents du spectacle, des sans-papiers etc. qui constituent , plus   que les étudiants eux-mêmes, majoritairement  exaspérés par les piquets de grève, les commandos qui bloquent les universités.  Chaque fois qu’a pu se tenir un vote régulier, seule une minorité des étudiants a voté la grève.

Il est bien vrai que notre société est dure à la jeunesse :  le taux de chômage des jeunes  semble plus élevé que chez nos partenaires, le  revenu relatif des jeunes salariés est nettement  moindre qu’il  y a trente ans, privilèges de l’ancienneté et des retraités aidant, il leur est  difficile  de trouver un logement indépendant ou  d’emprunter ; certains rencontrent des problèmes familiaux souvent graves qui leur font fuir le domincile. Comment faire comprendre à cette jeunesse que le CPE n’a pas été conçu  comme une brimade ou une discrimination supplémentaires mais en vue de  rétablir au bénéfice des moins de 26 ans une offre d’emploi abondante et donc d’en   sortir une partie de la « galère » ? 

Cette troisième crise n’est pas indépendante des deux autres : le chômage barre les perspectives des adolescents des cités, il pèse comme une menace sur toutes les catégories sociales. Les jeunes ( au moins une partie d’entre eux) sont le maillon faible sur qui pèse , beaucoup plus que sur les autres tranches d’âge, la crise économique et sociale.

Il se peut que ces trois « souffrances françaises » soient aggravées  par une donnée morale : le mépris de la France et des Français ( et  symboliquement  de la langue  française !) qui s’affiche de manière de plus en plus impudique dans une partie de notre élite. Celle-ci semble avoir perdu de vue le rôle multiséculaire de toutes les élites : être le defensor civitatis, le rempart qui assure la sécurité non seulement physique mais aussi sociale et économique de la masse, et    le producteur de symboles qui garantisse à cette dernière le respect d’elle-même  et donc le respect de la France. Si on leur ressasse  que l’histoire est une longue suite de crimes, que les  Français  sont plus  racistes que les autres ( alors que tout laisse penser qu’ils le sont plutôt moins), que la France n’est plus qu’une puissance de second rang , si on fête Trafalgar et pas Austerlitz, la réalité économique à laquelle se trouvent confrontés les jeunes , des banlieues comme  des facultés, est encore plus désespérante.  

Que faire ? Il va  de soi que le problème des banlieues n’a aucune solution à court terme. Un contrôle strict de la nouvelle immigration et un effort multiforme et patient d’assimilation peuvent seuls éviter que la question, suivant la  pente de la  démographie, ne s’aggrave.

Résoudre au fond le problème spécifique de l’emploi des  jeunes   implique que l’on s’attaque en même temps aux raisons de   la stagnation de l’économie française,   particulièrement des salaires. Même si  le carcan international dans lequel nous sommes enfermés semble impossible à desserrer,  les Français eussent  apprécié qu’au moins on  le tentât, par exemple en explorant la TVA sociale. Est-il nécessaire de dire que c’est le mandat implicite qu’ils ont donné à leurs gouvernants  en mai 2005 ? 

Améliorer l’emploi des jeunes  sans remettre en cause ce carcan, tel est précisément le sens du CPE ( et de quelques autres mesures  moins douloureuses). On en voit les limites politiques.

Que faire donc ?  Sans nul doute, dans la hiérarchie des missions de l’Etat , améliorer l’emploi de  jeunes est moins  essentiel que d’empêcher  de graves désordres, à condition toutefois de ne pas aggraver ceux-ci en donnant le sentiment d’une démission de la puissance publique. Choix difficile donc.

Mais il est clair que seule une dynamique globale  prenant à la racine toutes  les dimensions de la  crise française  a des chances de susciter l’adhésion nécessaire  à une politique de réforme.

 

                                                  Roland HUREAUX *

 

 

 

 

 

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4 avril 2006 2 04 /04 /avril /2006 07:20

 

 

Edouard Hussson , Une autre Allemagne , Gallimard, 2005, 396 pages

 

Un des paradoxes de ce début du XXIe siècle est que plus l’union européenne progresse, moins les peuples d’Europe se connaissent. De moins en moins de francophones en Allemagne, de moins en moins de germanistes en France, partant de moins en moins de  spécialistes avertis de ce pays.  La  génération des Alfred Grosser, Joseph Rovan  s’effaçant, on est d’autant plus  heureux de trouver dans la jeune  génération  un homme aussi au fait   des choses allemandes qu’Edouard Husson qui , avec Une autre Allemagne,  nous offre la première synthèse de son immense savoir sur ce pays.

Que notre voisin d’outre-Rhin  traverse aujourd’hui une crise profonde, à la fois démographique, économique et financière,  commence à se savoir au point que cette Allemagne ne paraîtra « autre » qu’aux yeux de nos compatriotes, encore nombreux il est vrai, qui ont toujours fantasmé  sur la puissance allemande. Les symptômes de cette crise sont aujourd’hui patents: un chômage lourd et persistant, un endettement public considérable,   des immigrés mal intégrés, la difficulté à faire décoller les länder de l’Est, la fin du pacte social de l’après-guerre. Seul signe positif : la baisse du nombre de suicides ! Contrairement à une rumeur persistante, notre voisin a autant de mal que nous à se réformer. 

On sait moins en France ce qu’eut de catastrophique, selon une appréciation aujourd’hui largement partagée en Allemagne, le bilan de l’ère Kohl (1982-1998). Ce n’est pas la réunification à marche forcée réalisée par le chancelier chrétien-démocrate qui se trouve en cause mais  la manière dont elle s’est faite : alignement hâtif du mark de l’Est sur celui de l’Ouest, qui a plombé peut-être définitivement  le décollage de l’ex-RDA, déresponsabilisation des citoyens de l’Est (la « kohlonisation » des Ossies) , laxisme financier  et aussi, ce que l’auteur n’évoque qu’avec discrétion, corruption.    

Les années quatre-vingt dix, dans le prolongement de ce que Edouard Husson appelle le  « néo-bismarckisme » de Kohl ,  virent  l’Allemagne, avec une grande inconscience, souffler sur les braises yougoslaves, aidant très tôt   ses alliés historiques ( ceux qu’elle avait eus   entre 1940 et 1945 !), Slovènes, Croates, Musulmans de Bosnie, Albanais du Kosovo, en armant notamment l’UCK,  à s’émanciper d’une fédération dominée par les Serbes. Pour Edouard Husson, comme pour beaucoup d’observateurs,  la responsabilité allemande dans la crise balkanique,  est patente.  Plus que Schroeder, hésitant sur ce sujet , Joshka Fisher, quoique ancien gauchiste,  fut le continuateur de la politique de Kohl : « contrairement à ce qu’ont affirmé ses détracteurs, le Fisher ministre des affaires étrangères n’est pas très différent du Fisher gauchiste des années 1968-1978 ». La guerre de Yougoslavie, guerre de l’Europe et même de l’OTAN,  fut   d’abord la guerre de l’Allemagne. N’est-il pas remarquable que le seul conflit armé  qui ait eu lieu en Europe depuis 1945 puisse se lire comme  un règlement de comptes de l’Allemagne contre un de ses ennemis traditionnels, suivant exactement les  lignes de fracture géopolitiques ancestrales ?  En d’autres termes que malgré l’existence de Union européenne (et même avec sa complicité active) , malgré les Accords d’ Helsinki et cinquante années   de paix , l’Allemagne ait , seule en Europe, réussi à faire prévaloir  par la force,  des visées géopolitiques traditionnelles ?

Les erreurs économiques et diplomatiques de l’ère Kohl et jusqu’à un certain point, de son successeur Schroeder, vis-à-vis duquel Edouard Husson est cependant plus indulgent, ont coûté cher à l’Allemagne,  à l’Europe ( 2 millions de morts en Yougoslavie !) mais aussi à la France dont l’économie s’est essoufflée à vouloir  partager , au nom du franc fort, le fardeau de la réunification,  et qui a trahi  ses alliés historiques dans la guerre du Kosovo. Il y aurait tout un chapitre à écrire sur ce qu’a coûté à la France après la réunification,  l’illusion  - et la crainte – de la puissance allemande, alors même que le déclin actuel de l’Allemagne se trouvait déjà inscrit tant dans la démographie que dans le délabrement sans remède des économies socialistes.

Les récentes dérives de la politique américaine ont entraîné un  nouveau rapprochement  de la France et de l’Allemagne, toutes deux hostiles à la guerre d’Irak. Edouard Husson  laisse deviner comment, à son gré, pourrait se construire à partir de là , une Europe nouvelle , respectueuse des souverainetés nationales (dans une Europe à 28 ou plus, le leadership franco-allemand est incompatible avec la règle majoritaire) , marquant son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis par un arrimage  de l’euro à l’étalon-or, ouverte à une Russie riche en sources d’énergie  et revenant à la préférence communautaire. Sur  fond de redressement démographique et  de réformes internes à caractère libéral, il y aurait là les bases d’une relance du vieux continent.

Une telle perspective implique un abandon définitif de la part de notre (encore)  grand voisin des fantasmes bismarckiens de l’ère Kohl-Fischer. Il est vrai que le risque d’un néo-impérialisme allemand est désormais limité . Même si les armées allemandes se sont risquées en 1998  pour la première fois depuis 1945 hors des frontières de la République, ce genre d’expédition demeure impopulaire dans une opinion plus mûre que ses dirigeants. Le néo-nazisme a reculé après l’épisode de Haider en Autriche. L’auteur ne le dit pas,  mais l’effondrement dramatique des crédits militaires allemands depuis 2000, du à la crise économique,  écarte pour longtemps  ce genre de  tentation.

L’alternative n’est à rechercher, selon Edouard Husson,  ni dans l’atlantisme d’Adenauer, ni l’anti-nationisme de la gauche allemande refusant  la réunification en 1990,  mais dans ce qu’il appelle le  « pacifisme rationnel »,  corollaire  d’un attachement sain à la patrie allemande , qui, selon l’auteur, anima Willy Brandt – dont on apprend qu’il se réfère largement   dans ses Mémoires au général de Gaulle et qui , à la différence de ses cadets, salua haut et fort la réunification. Suivant  la même logique, son brillant  ministre des affaires étrangères,  Egon Bahr, s’opposa à la guerre de Yougoslavie. Ce sain patriotisme, assumant , comme le fit l’illustre chancelier social-démocrate, toute la responsabilité allemande dans les horreurs du nazisme , rejoint   le libéralisme authentique qui fut celui de l’Allemagne d’avant 1848 et donc un courant profond, encore trop méconnu,  de l’histoire de ce peuple.  De cette tendance, l’auteur voit aussi une manifestation  dans la vigilance particulière de l’Allemagne à tout ce qui ressemble à des manipulations génétiques . Ainsi bornée dans ses ambitions, « contrairement à une idée longtemps reçue en France, il est bon , dit l’auteur, que l’Allemagne affirme sa personnalité sur la scène européenne et mondiale ».

C’est à partir de ces prémisses qu’Edouard Husson relit l’histoire allemande: sévère pour Bismarck et  sans indulgence excessive pour Adenauer ( qui envisagea , dit-il, de manière bien velléitaire selon nous, de doter l’Allemagne de l’arme nucléaire) , admirateur de Brandt et très  critique pour Kohl,  il l’est aussi  , curieusement, pour  Helmut Schmidt . Edouard Husson qui, en ses années normaliennes, fut  à la fois  jeune  giscardien français et pacifiste allemand,  ne prise guère   le chancelier qui appela de ses vœux,  dans son  discours de Londres d’octobre 1977,  l’installation des Pershing . Même les esprits les plus perspicaces ont, comme nous tous, leur point aveugle. On se permettra de penser que la question de la vague pacifiste du tournant des années 1980 constitue celui  de  l’auteur : imaginer, comme il le fait,   qu’en installant les euromissiles,  l’URSS de Brejnev était animée d’intentions pacifiques  participe, pensons-nous, d’une   illusion.

Portant que sur un épisode  désormais révolu, elle  n’enlève rien à la puissance d’information , de réflexion et de suggestion de cet ouvrage, destiné à  compléter la bibliothèque, point si fournie, des  grands  livres français  sur l’Allemagne.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

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