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Roland HUREAUX

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31 mars 2017 5 31 /03 /mars /2017 21:37

LES TROIS ERREURS DE LA RÉFORME DE L'ÉTAT

 

A voir l'immense difficulté des  gouvernements qui se succèdent en France à réduire la dépense publique, qui se douterait que l’État se trouve depuis un quart de siècle, soit depuis le gouvernement Rocard (1988), engagé dans un processus de réforme continu ?

Mais peut-être y a-t-il entre ces deux faits  un lien qui n'est pas celui qu'on croit : c'est la réforme de l'Etat qui, mal conduite , est une des causes principales de l'accroissement des dépenses , au point qu'on peut dire , sans gros risque de se tromper que  si     l’État n'avait fait l'objet d'aucune réforme depuis 25 ans, les dépenses publiques seraient aujourd'hui plus réduites, d’environ 10 %  !  

Comment donc un processus de réforme qui aurait dû, en principe, aboutir à réduire le poids des charges publiques, a-t-il eu l'effet inverse ?

On pourrait alléguer que l'objectif de la diminution de la dépense n'a guère été affiché, au cours de toutes ces années, en tous les cas avec toute la force qu'il requerrait:  quand Alain Juppé  crée en grande pompe, en 1995, un Commissariat à la réforme de l’État,  aucun des cinq objectifs assignés dans le texte constitutif au nouvel organisme ne fait mention de la volonté  de réduire les dépenses  publiques.

Il en est de même de la LOLF (Loi organique relative aux  lois de finances), véritable charte des réformes de l'administration publique depuis le 1er août 2001 où elle a été votée à l'unanimité[1]. Même si cet objectif est sous-jacent à la loi, il n'est pas affiché explicitement. A-t-on eu honte de dire ouvertement, en particulier aux  syndicats, que l'on voulait réduire la dépense ?

L’objectif est plus explicite  dans les mesures de Révision générale des politiques publiques lancées par Nicolas Sarkozy en 2007. Cependant, cette révision s'est traduite    d'abord par 300 mesures de modernisation de l'Etat dont aucune n'a fait l'objet d'une évaluation chiffrée  : parmi elles, la construction coûteuse (65 millions d'euros par an de 2014 à 2041 ) du nouveau ministère de la défense  à Balard dont on aurait bien pu se passer.  Ensuite cette politique, appelée  RGPP         (révision générale des politiques publiques),   est revenue à un objectif plus normal :      le non renouvellement d'un départ en retraite sur deux qui n'a été pleinement  effectif qu'en fin de mandat.  

Une autre raison de la faiblesse des résultats de la réforme de l’État en terme de coûts est l’ambiguïté de la notion de modernisation, généralement mise en avant. Que signifie la modernisation de l'appareil d’État ? S'il s'agit  pour lui de se doter d'ordinateurs, de nouvelles lignes téléphoniques, de généraliser l’utilisation de l'internet  et de l'intranet, d'étendre la vidéoconférence, très bien.  Tout cela s'est fait, non sans quelques incidents (dysfonctionnements de logiciels douteux, tel le logiciel de paye de Bercy qui a coûté 326 millions pour rien ou celui du ministère de la défense, dit Louvois à peu près autant ), sans coordination  suffisante entre les services, parfois sans compétences suffisantes. Ces progrès techniques ont permis, entre autres, d'amortir l'impact des 35 heures instaurées en 2000 , sauf dans les services de permanence ( pompiers, hôpitaux, police) où leur effet a été désastreux. Il  n'était pas cependant nécessaire d'inscrire ce genre de modernisation dans la loi :  il suffisait de donner les crédits aux services concernés;  ils n'ont pas besoin qu'on leur donne des consignes  pour moderniser leurs équipements, pas d'avantage qu'il n'est nécessaire de dire à un particulier de changer son téléphone portable de temps en temps pour en prendre un meilleur.

Mais sous le vocable de la modernisation ont fleuri toutes sortes d' innovations plus luxueuses  et généralement coûteuses. Tout d'abord la mode de la communication interne et externe. Sous prétexte de tourner le dos à  l'austère administration de Courteline, d'être plus agréable aux usagers, même aux contribuables, les directions des ministères se sont dotées, aux niveaux central, régional  et  local, de multiples services de communication, produisant par exemple des lettres hebdomadaires ou mensuelles, des plaquettes de luxe , parfois des campagnes de publicité. Tout cela s'est développé  dans les années quatre-vingt dix et  a représenté un coût supplémentaire important. Chaque direction voulant avoir son service de communication, il y a eu des doublons.

Surtout,  la modernisation a souvent signifié la modernisation des méthodes administratives, le changement des organigrammes ou des procédures. Or c'est une grande  illusion d'imaginer qu'en matière d’organisation, comme de pédagogie ou d'éloquence, il y a place pour un véritable progrès, pour de l'ancien et du moderne. Il y a des modes, certes, mais qui ne sauraient signifier qu'on va toujours vers le mieux. L'organisation scientifique est, tout comme la pédagogie scientifique,  pour une part, un leurre . L'organisation,  comme la pédagogie,  est un art, pas une science. Le résultat de ces soi-disant modernisations a été la plupart du temps  une complication et des changements de méthodes mal acceptées par les agents.

Mais en définitive, ce qui a empêché le mouvement de réforme des vingt-cinq dernières années d'aboutir à de vraies économies a été un certain nombre d'erreurs de conception qui, partant de postulats erronés, se sont avérées gravement contre-productives.

Nous nous concentrerons sur trois de ces erreurs  qui sont les principales: les illusions de la dimension, la destruction des corps, la recherche d’indicateurs de résultats.

 

L'illusion des fusions

 

L'idée que plus on augmente la taille d'un organisme quel qu'il soit, plus on en accroît en même temps la productivité, grâce notamment aux économies d'échelle, a beaucoup d’applications dans le secteur privé : dans l'agriculture, le commerce (supermarchés) et naturellement l’industrie.  On a donc  cru  qu'elle s’appliquait aussi au secteur public :  puisqu'une ferme de 100 ha est plus productive qu'une ferme de 10 ha, on aurait pu penser qu'une commune de 1000 habitants aura une efficacité plus grande qu'une commune de 100 habitants, en proportion du nombre d'habitants et non dans l’absolu évidemment, que les coûts unitaires décroîtraient avec la dimension, que donc pour réduire le coût du secteur public, il fallait miser sur de  grands ensembles.

Que cette logique ne fonctionne pas, on aurait dû le savoir depuis au moins un demi-siècle. Quand fut inventée en 1969 la dotation globale de fonctionnement des communes (en remplacement d'une taxe sur les salaires abolie), un des critères d'attribution de  cette dotation fut le coût des  administrations déjà en place par habitant. On observa  qu'il augmentait en proportion de la population  de la commune. En conséquence, on attribua  des dotations bien plus que proportionnelles aux grandes communes, justifiant ce qu'il faut bien appeler une injustice au détriment du monde rural par les fonctions de ville-centre de ces  communes[2], alors  que la véritable raison de cette inégalité de coût  était leurs habitudes plus dispendieuses, lesquelles se trouvèrent désormais  figées dans la loi.

A partir de la loi Joxe du 6 février 1992, fut affiché le projet de réduire le nombre des communes dans une proportion à déterminer, mais au moins d'un facteur 10 : on passerait ainsi de plus de 36 000[3] à 3600 mais peut-être à 1000 ou à 500. Cet objectif  ne fut pas officiellement posé mais on incita les communes,  d'abord à se regrouper en communautés (de communes, de villes, d'agglomération) les plus grosses possibles, puis on les poussa à transférer le maximum de leurs compétences dans ces nouvelles entités.

Puisqu'il s'agissait de faire des économies d'échelle, on aurait dû ainsi diminuer le personnel total des collectivités locales. Or, non seulement il ne diminua pas au niveau proprement communal, mais il fut augmenté du personnel affecté aux nouvelles entités communautaires, soit aujourd'hui environ 200 000 agents. La fiscalité locale s'alourdit   partout. Et comme la politique officielle est aujourd’hui de fusionner ces communautés pour en faire d'encore plus grandes, on ne  sera pas étonné que chaque fois qu'une nouvelle fusion est effectuée, les frais généraux ( par habitant bien sûr) augmentent.

Ces aberrations n'empêchent pas certains think tanks  de proposer maintenant la suppression définitive des petites communes : cela passe par la suppression du pouvoir de police qu'ont encore les maires et donc le remplacement de dizaines de milliers de quasi-bénévoles disponible 24 h sur 24 par trois ou quatre fois plus de fonctionnaires  de police !  

Comme si l' expérience de l'intercommunalité ne suffisait pas, on se dispose  maintenant à  fusionner les régions : non seulement il n'est pas question de diminuer le personnel, mais déjà les nouvelles régions se proposent de recruter un personnel  spécial chargé  de la coordination. Le motif est emblématique de la légèreté française : nos régions, dit-on , n'étaient pas de "taille européenne" . Vérification faite, il s'avère qu'elles  sont aussi grandes que dans le reste de l'Europe ; même en Allemagne, 10 länder sur 15 sont , par la population, au dessous  de la moyenne des régions françaises.

Les 100 départements sont un lieu où il serait sans doute possible de faire quelques économies. Il suffirait de les y obliger en encadrant leurs ressources fiscales, comme cela se fait de plus en plus en Europe. On pourrait aussi leur donner plus de latitude qu'ils n'en ont aujourd'hui pour refuser certaines prestations sociales manifestement abusives, ce que la logique des droits ne permet pas.  Mais au lieu de s'engager dans cette voie, on se propose de les abolir, tout en transférant leurs coûteuses missions à de nouvelles entités encore à déterminer , sans doute aux régions plus éloignées du terrain  : de nouvelles dépenses en perspective , n'en doutons pas.

L'ANPE et les ASSEDIC s'occupaient  jusqu'en 2008 , l'une de trouver des emplois aux chômeurs (et des agents aux employeurs  qui s'adressaient à elles), l'autre d'indemniser ceux qui n'en trouvaient pas. Les deux additionnées occupaient environ 40 000 agents. On les fusionna au motif qu'elles avaient à peu près le même public, même si elles exerçaient deux métiers très différents. Il fallut recruter 10 000 agents de plus pour faire vivre le "Pôle Emploi" résultant de cette fusion. Aujourd'hui les effectifs sont à nouveau à la baisse mais le désordre introduit dans cette institution par la fusion forcée des deux entités est loin d'être résorbé. 

Mêmes déconvenues et désorganisation durable pour ce qui est de la fusion de France 2 et France 3 au sein de France-Télévision, de la direction des impôts et de  celle de la comptabilité publique au sein d'une méga-direction des finances publiques, remettant en cause le principe traditionnel de la séparation des ordonnateurs et des comptables qui avait pourtant fait   ses preuves : il est vrai que beaucoup de progrès de productivité ont été faits par les directions des impôts mais pas en raison de la refonte des organigrammes, en raison de l'acquisition de  matériel informatique.

Entre 1985 et 1990 les services centraux de l’État ont été réorganisés, en application de la LOLF de 2001, dans le but de faire du préfet un "vrai chef d'entreprise" ayant un état-major de quatre ou cinq chefs de services et non une vingtaine. Dans la plupart des cas, on a superposé un directeur général aux directeurs existants ; mais on a aussi gravement démobilisé certains services en méconnaissant leur spécificité : par exemple, les agents de la jeunesse et des sports habitués à traiter des jeunes et bien portants se sont trouvés sous les ordres de directeurs de la santé qui s'étaient  toujours occupés des vieux et des malades ! Des inspecteurs du travail sont passés sous la coupe de conseillers au commerce extérieur ayant fait toute leur carrière à l'étranger. La fusion des DDA et des DDE n'est pas encore digérée. On a, dans cette opération qui a gravement démotivé la structure locale de l’État, totalement méconnu  la spécificité du pouvoir exécutif dont la plupart des organes sont prévus pour marcher en pilotage automatique : le préfet n'intervient qu'en cas de problème particulier, ce qui n'a rien à voir avec le rôle d'un chef d'entreprise.

Il ne semble pas , en définitive, qu'on ait un seul exemple où la fusion de deux entités publiques n'ait pas entraîné des "désécomies d'échelle",  ainsi que des désordres durables.

L'attentat de Charlie Hebdo ne se serait sans doute pas produit si on n'avait fusionné deux services aux  missions voisines mais très différents par la culture: la DST (contre-espionnage et contre-terrorisme) qui marchait très bien et, depuis 15 ans, avait prévenu tous les attentats terroristes  et les Renseignements généraux, sorte d'agence de presse du pouvoir en charge du suivi politique et social . La fusion forcée des deux services  aux cultures très différentes, assortie de la refonte de l’organigramme, a désorganisé le travail de prévention des attentats : on a vu le résultat. Nous avons ainsi   confirmation qu’il peut être  criminel de réformer au nom de principes a priori, des organismes qui marchent bien.

 

 

au contraire.

 

Le rôle positif des corps

 

Les corps d'ingénieurs ont été fusionnés aussi malgré eux : Agriculture et Ponts et chaussées, Télécom et Mines etc. sans que personne puisse dire s'il en résulte un surplus d'efficacité.

Le motif de ces fusions n'est pas seulement la recherche de la dimension; elles sont fondées aussi sur l'idée répétée à satiété par les faiseurs d'opinion mais sans fondement qu'un des obstacles au développement de la France serait le prétendu "corporatisme" français, l' attachement obtus à leur identité de toute une série de corps d’État, grands et petits.

Au nom de ce principe, on a projeté de fusionner police et gendarmerie que les pouvoirs, dans leur grande sagesse avaient maintenues séparées depuis la nuit des temps, prévoyant le cas où il faudrait faire appel à l'une contre l'autre ( où par exemple un procureur de la République ferait appel à la gendarmerie pour enquêter sur un policier soupçonné de corruption ou l'inverse ). La procédure de fusion n'a pas encore été menée à son terme mais elle a été suffisamment avancée pour coûter cher (les avantages statutaires des deux corps ont été alignés systématiquement par le haut) et démobiliser les uns et les autres. Précisons qu'aucun problème de coordination sérieux entre ces deux corps ne se posait auparavant et que rien ne dit qu'elle s'effectue mieux aujourd'hui.

Que les corps de fonctionnaires aient desservi la France est fort contestable : qui peut oublier la contribution éminente des Ponts et chaussées au beau quadrillage routier de la France, du génie rural à la modernisation des campagnes, des Mines au développement industriel, des ingénieurs de l'armement à l'industrie d'armement etc. ? Ces agents de l'Etat surent aussi, quand il le fallait, apporter un concours efficace aux collectivités locales.

L'esprit de corps a un immense avantage: il fluidifie les relations entre des partenaires appelés à coopérer à un projet commun, en particulier quand ils se trouvent répartis entre le secteur public et le secteur privé, ou entre l’État et les collectivités locales. Il assure par sa hiérarchie propre et ses valeurs une incitation au travail bien fait qui n'a pas son équivalent dans des structures anonymes. Il y a un honneur propre à chaque corps : un gendarme veut être un bon gendarme, un instituteur un bon instituteur, comme un ingénieur des Ponts et chaussées veut terminer sa carrière au grade d'inspecteur général. Même chose dans les corps militaires, Terre, Air, Mer, dont on s'évertue aujourd'hui à raboter la spécificité.

 

La "culture du chiffre"

 

L'attrition systématique des corps, grands et petits, a , dans la théorie des modernisateurs, son corollaire : l'incitation financière doit remplacer le contrôle interne du corps ; la rémunération doit être désormais modulée en fonction des résultats obtenus. L'application de ce principe signifie ni plus ni moins que la réduction des agents publics à des animaux de Pavlov qui ne travaillent que dans l’espoir de la récompense et s’abstiennent si elle ne vient pas. Une vision absurde, complètement contraire à la tradition française de la fonction publique où la majorité des agents[4] ont toujours été mue par l'amour du travail bien fait et la recherche de la reconnaissance , bien plus que par l'espoir d'une prime. Beaucoup d'agents spontanément zélés, en particulier aux échelons intermédiaires, ont ressenti ce système comme une humiliation.

L'application de ce principe a aussi une condition : que l'on puisse efficacement mesurer les résultats. Or cela est impossible. Le seul résultat que l'on puisse mesurer, c'est, dans le secteur privé, le profit. Le profit a un sens dans une entreprise dont la mission est simple, celle de générer du cash flow à partir d'une gamme réduite de produits ou de services. Malgré les efforts des réformateurs, il n'a jamais été possible de trouver des critères aussi pertinents dans l'activité de service public, cela pour plusieurs raisons : la multiplicité des missions qui se superposent, le fait que beaucoup de résultats ne sont pas quantifiables, le risque surtout que la quantification de certains d'entre eux ne vienne gauchir l'action des services en fonction des résultats chiffrés à produire et au dépens du souci du vrai résultat. Que gagnera un gendarme à rechercher pendant des jours le voleur d'une voiture, s'il peut obtenir le même résultat statistique (un "fait délictueux élucidé") en installant cinq minutes un radar au bord d'une route ? Le modèle économique qui consiste à numériser des activités administratives en dehors d'une logique de profit est bien connu, c'est ni plus ni moins celui de l’économie soviétique au temps du Gosplan. Outre la perte de temps qu'induit l'établissement des statistiques, la "culture du chiffre" introduit immanquablement la tricherie dans la collecte des données qui n'ont pas une base rigoureuse - et des autres; surtout le goût du bien qui devrait être la seule motivation se perd très vite par le constat que le travail bien fait n'a généralement pas de traduction chiffrée, par le dégoût et le découragement, le sentiment que la conscience professionnelle ne sert à rien.

Un aspect connexe de ce souci de modernisation est celui de l'évaluation des agents, qui était déjà lourd dans la tradition paritaire française et qui le devient davantage avec des questionnaires de plus en plus sophistiqués, si sophistiqués qu'ils ne servent à rien, font perdre beaucoup de temps aux chefs de service et ne diminuent pas l’arbitraire au contraire. Les hauts fonctionnaires n'ayant pas tous perdu le sens commun, des rémunérations exceptionnelles ont désarmé les réticences qu'ils auraient pu avoir pour mettre en œuvre des procédures dont beaucoup sentaient l'absurdité.

L'aboutissement théorique de ces systèmes de contrôle quantifié est la rémunération au résultat : difficilement applicable à la fonction publique, elle s'est traduite par l'attribution de surprimes (bonification indiciaire, primes de rendement ) à tous les agents en position de responsabilité quelle que soit la manière dont ils l'exerçaient. Instaurée presque exclusivement au bénéfice des fonctionnaires les plus gradés, elle a eu pour effet que jamais comme sous la présidence de Nicolas Sarkozy, président pourtant élu sur des thèmes anti-fonctionnaires, les hauts-fonctionnaires n'auront vu leur rémunération augmenter autant.

  1. procédures sont apparues d'autant plus absurdes et injustes que les agents , proches de la base, en voyaient l'inanité et n'en profitaient guère.

Parmi les innovations les plus perverses figure l'idée de récompenser une équipe ou un service de manière collective, les meilleurs se trouvant solidaires des moins bons. Les rapports entre les uns et les autres s’aigrissent en conséquence. De leur côté, les soi-disant promotions aux résultats aboutissent, dans une société où les vertus élémentaires d'honnêteté ne sont plus aussi répandues, à accroître l'arbitraire des petits chefs et l'esprit de servilité.

Dans tout service administratif, public ou privé, plus encore que dans une usine, l'ambiance de travail est un facteur décisif d'efficacité. Jamais elle ne s'était autant détériorée, y compris dans les corps prestigieux qui se trouvent au sommet de l'Etat, que depuis une quinzaine d'années, sans doute depuis le vote de la LOLF.

Le résultat ne s'est pas fait attendre : départs à la retraite anticipée, congés de maladie et surtout, dans des proportions qu'il est difficile d'appréhender, sabotage sournois du travail. Cela dans un pays où les agents de la fonction publique étaient connus pour leurs qualités professionnelles (pour au moins 80 % d'entre eux). Quand l’efficacité baisse et que les procédures deviennent plus complexes, il faut davantage d'effectifs pour aboutir au même résultat; le plafonnement des effectifs , légitimement décidé par ailleurs, aboutit à la dégradation du service.

Le sommet de la tension a été atteint à la fin des années deux mille: sont entrés alors en conjonction les effets de la LOLF : changement des méthodes (en particulier l' évaluation chiffrée) et bouleversement des organigrammes, la réduction des effectifs, enfin réelle surtout au ministère de la défense, et l' accroissement de la complexité des procédures sous l'effet d'un réformisme accéléré. Ajoutons y l'interférence de coûteux cabinets d'audits aussi politiquement corrects qu'incompétents ( les deux allant généralement de pair !), missionnant des jeunes gens ignorant tout de l'administration. Que ces changements aient eu lieu sous l'égide d'un président qui n'était pas connu pour sa sympathie envers les fonctionnaires n'a pas arrangé les choses. On pourrait voir là un cas d' école de ce qu'il ne faut pas faire en matière de conduite du changement. Le stress fut considérable. Les agents ont fait une lecture punitive de ces réformes. Nicolas Sarkozy n'est pas pour grand chose dans cette coïncidence. Il n'a pas fait faire beaucoup d'économies à l'Etat dans cette opération mais y a perdu beaucoup de voix, en particulier chez les fonctionnaires de droite ( soit environ un tiers [5]).

Les agents démoralisés peuvent certes être remplacés par d’autres plus jeunes et mieux habitués à ces procédures ; mais le caractère pervers de celles-ci semble irrémédiable; il est douteux que la relève des hommes préserve l'administration du désastre pas plus que l'émergence d'une jeune génération prétendue technocratique n'avait sauvé l'économie soviétique.

 

Les aléas de l'externalisation

 

Fusions, destruction de l'esprit de corps et contrôle quantitatif factice constituent sans doute dans les réformes des quinze dernières années les aspects les plus nuisibles. On pourrait évoquer aussi la large extension de la sous-traitance - dite externalisation. Les péripéties du Clémenceau, son aller et retour pitoyable en Inde où il devait être désarmé , alors qu'au même moment la DCN avait des capacités de désarmement inemployées, sont le résultat d'une opération de sous-traitance hasardeuse : on a cru faire des économies en confiant l'opération à un pays à bas coût de main d'œuvre ; c'est le contraire qui est arrivé. La gendarmerie avait un moment externalisé son service de recrutement à des cabinets de psychologues étrangers à la culture du corps avec les résultats que l'on devine : tel fils de gendarme, parfaitement équilibré se trouvait inexplicablement recalé. On peut citer, sinon dans l'Etat, du moins dans les services publics, d'autres aberrations, telles que la dégradation du service des renseignements téléphoniques, service régalien par excellence, du fait de la privatisation et de l'externalisation par France Télécom, entreprise privée chargée d'une mission de service public . Le 12 et les Pages blanches sont de moins en moins mis à jour, faute d'être directement en prise avec le noyau dur du service, les annuaires, y compris électroniques, de moins en moins fiables. Les agissements coûteux des sociétés concessionnaires d'autoroute sont à placer sous la même rubrique. Le comble semble cependant avoir été atteint avec la décision récente de vendre , pour des raisons budgétaires, au secteur privé (à qui exactement ? ce serait intéressant de le savoir) des armes lourdes qui seront ensuite louées par l’État.

 

Derrière les erreurs de méthode , l' idéologie

 

Ceux qui ne sont pas au cœur de la citadelle publique ne se rendent pas toujours compte de ces évolutions. La dégradation de l'école due à des méthodes pédagogiques aberrantes, celle de la justice du fait de théories judiciaires imprégnées d'idéologie sont relativement connues, l'extension et la corruption du monde des collectivités locales (petites communes exceptées) l'est aussi. Mais il faudra le recul de quelques années pour mesurer le désastre qui a touché le cœur de l’appareil d’État au cours des années deux mille et dont il n'est pas prêt de se relever. Il n'a d'égal que le désastre de l'école, l'un et l'autre largement imputables à des méthodes faussement scientifiques.

Si l'on recherche le trait commun à toutes les réformes que nous avons évoquées, il en est un qui les résume presque toutes : le transfert sans adaptation des méthodes du secteur privé à la sphère publique , l'idée que le secteur privé étant mieux géré, du moins à ce que l'on suppose, l’État et les collectivités locales devaient imiter ses méthodes. On pourrit aussi bien dire les "singer". Ainsi la LOLF a-t-elle introduit la comptabilité en partie double dans le budget de l'Etat au prix de complications considérables. Certes le transfert des méthodes n'a pas été total: ainsi le statut de la fonction publique, quoique tourné de mille manières demeure. Heureusement car sa suppression entraînerait, quoi qu'en pensent les think tanks libéraux, une explosion des rémunérations. Il est heureux que des règles rigides brident la générosité naturelle des élus qui dirigent les administrations, générosité au dépens du contribuables , dont l'Assemblée nationale et le Sénat offrent , par les rémunérations extravagantes qu'ils versent à leur personnel , un exemple caricatural. Il reste que , malgré la subsistance du statut, les fusions ont augmenté les frais généraux, l'affaiblissement des corps a diminué la conscience professionnelle, le contrôle et les rémunérations au résultat ont créé une atmosphère de tricherie et de mensonge.

  1. tous les niveaux de la hiérarchie, l'efficacité est jugée en fonction de l'adhésion au nouveau système. Beaucoup , qui n'y croient guère, trompent leur monde en en adoptant la langue de bois. Comme dans toutes les structures idéologiques , le double langage, l'hypocrisie étendent leur empire .

Cette dérive n'est pas propre à la France. En Angleterre, à l'imitation des pays scandinaves , beaucoup de services publics ont été transformés en agences autonomes, supposées plus efficaces. Mais dès lors que ces agences ne produisent pas de services quantifiables et commerciaux, il est très difficile d'en mesurer l'efficacité. L’Angleterre thatchérienne a ainsi multiplié les quangos (quasi-autonomous non-governemental organisation) qui, ô paradoxe, ont contribué à soviétiser l'administration britannique.

Le moindre des paradoxes n'est pas de voir que les officines ultralibérales dont on entend les criailleries justifiées contre le niveau des dépenses publiques en France aient inspiré, au terme de réflexions généralement superficielles, des innovations qui sont directement à l’origine de l’inflation des coûts.

On pourrait imaginer que ces transformations n'aient pas de conséquences décisives dans les pays occidentaux où l'économie repose sur un capitalisme efficace. Il n'en est rien. Même si les services publics essentiels sauvent les apparences, les dysfonctionnements que nous signalons ont une sanction mesurable, elle, c'est le coût de la fonction publique. L’explosion des dépenses publiques au cours des trente dernières années, la difficulté extrême à brider leur augmentation dans la période la plus récente n'ont pas d’autre cause que la dégradation d'une fonction publique nationale, centrale, locale et quelquefois déléguée, du fait de réformes fondées sur des conceptions idéologiques dont le premier caractère est d'être fausses.

Disons le clairement, l’inflation du coût de la fonction publique au cours des dernières années n'est due d'abord ni à la démagogie des politiques (même si leur incompétence a joué), ni aux exigences des syndicats, nullement demandeurs des réformes coûteuses que nous avons évoquées, mais à des erreurs de conception de ceux qui, au nom d'une vision idéologique de la modernisation, ont présidé aux réformes. De ces dérives, les impôts sont la variable d'ajustement naturelle.

On ne raisonne pas de travers sans en payer le prix.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

[1] On ne se méfie jamais assez des lois votées à l'unanimité : ce sont généralement les plus dangereuses.

[2] La fonction ville-centre était déjà rémunérée par la taxe professionnelle des commerces qui ne faisait alors l'objet d'aucune péréquation

[3] 36 681 communes en 2014

[4] Il y a eu toujours 20 % de tire-au-flanc dans la fonction publique, guère plus . Qui se plaint en France que les agents des impôts manquent de zèle ?

[5] Parmi eux, les agent du Trésor, le seul service qui ait été supprimé pour se fondre dans le personnel beaucoup plus nombreux des Impôts, orienté à gauche,

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