Les enjeux de l’élection présidentielle américaine
Entretien du 21/07/2020 - Monde & Vie
- Alors que les prochaines élections présidentielles américaines approchent, puisqu’elles sont fixées au 2 novembre prochain, les sondages se multiplient qui donnent au 55ème président des Etats unis un retard à deux chiffres sur son compétiteur démocrate Joe Biden. Faut-il enterrer Donald Trump ?
Sûrement pas. La dernière fois, à pareille époque, il était également en retard. En matière électorale, à quatre mois d’une échéance, tout est possible. D’autre part si Trump fait l’objet depuis des mois et des mois d’un travail de sape émanant de presque toute la presse et d’un grand partie de l’administration, il n’a pas encore sorti son artillerie lourde comme par exemple, la dénonciation de l’extrême corruption de Biden qui, depuis des années, fait avec son fils des affaires douteuses en Ukraine.
- Vu d’Europe, on lui reproche sa gestion de la crise du COVID… Son manque de réactivité risque-il de lui coûter son fauteuil ?
Que faudrait-il dire en France ? Aux Etats-Unis, une grande partie de la police sanitaire dépend des Etats. D’autre part : selon certaines sources proches du renseignement, le COVID 19 est bien parti de Chine mais certains éléments l’Etat profond américain seraient impliqués, précisément pour affaiblir Trump : je vous le donne comme on me l’a dit , sans plus. En proportion de la population, les Etats-Unis sont moins touchés que la France.
- Le nouvel antiracisme américain qui fait florès dans le pays en ce moment ne risque-t-il pas de délégitimer les démocrates, en créant une vague conservatrice, un peu comme cela s’est passé en Mai 68 pour nous en France ?
Le bloc conserveur consolidé par la vague antiraciste existe déjà et il votera pour Trump. Mais est-il majoritaire ? Dans les classes urbaines américaines , l’esprit bobo, écologiste, libertaire, antiraciste est encore plus répandu que chez nous, non sans quelque hypocrisie : dans ce pays puritain où l’antiracisme est omniprésent depuis longtemps, les mariages mixtes sont très rares, beaucoup moins que chez nous. Il faut comprendre qu’aux Etats-Unis, les riches – et les Noirs - votent à gauche (démocrate) et les pauvres à droite (républicain). Mais tous ne votent pas. Trump devra les mobiliser.
- Le bilan de Trump, en matière de politique étrangère semble assez léger. Qu’en retiendriez-vous ?
Léger ? Vous plaisantez. Trump n’a déclenché aucune guerre et a liquidé Daech, ce qui a eu pour contrecoup de mettre fin au terrorisme en Europe. La Syrie et l’Irak sont revenus à peu près à la paix, sauf quelques enclaves, même si des sanctions scandaleuses sont maintenues sur la Syrie. Sans faire de concessions majeures, Trump a détendu les relations avec la Russie , ce qui fait que l’Europe qui serait le champ de bataille naturel d’un affrontement entre les deux grands a toutes les raisons de se sentir plus en sécurité. C’est ce que nos bobos anti-Trump n’arrivent pas à comprendre. Trump a entamé un dialogue inattendu avec le Corée du Nord et les talibans d’Afghanistan, ce qui va aussi dans le sens de la paix. Vis-à-vis de la Chine, la guerre que mène Trump est exclusivement commerciale et elle est légitime : depuis le temps que les Européens demandent à Washington de rééquilibrer son commerce extérieur, ils ne devraient pas s’en plaindre. Il n’est pas sûr que les choses soient vues de la même manière dans une Chine qui devient de plus en plus agressive.
Je voudrais que vous compariez le bilan de Trump avec celui de ses prédécesseurs :
Bush père : une guerre (Golfe) sans doute provoquée par les Etats-Unis ;
Clinton : deux guerres : le Rwanda dont Boutros-Ghali, alors secrétaire général des Nations-unies, a dit que ce qui s’y est passé était entièrement de la responsabilité des Etats-Unis, la guerre du Kosovo, plus des sanctions terribles contre l’Irak qui auraient coûté la vie à 500 000 enfants ;
Bush fils : deux guerres : Irak et Afghanistan ;
Obama, prix Nobel de la Paix : quatre guerres : Libye, Syrie, Ukraine, Yémen.
Trump : aucune.
Comme dit l’Evangile, on juge l’arbre à ses fruits. Trump est secrètement un homme de paix, ce que ses adversaires démocrates ne manquent pas de lui reprocher mais comme il est à la tête d’une nation de cow-boys à qui il faut des Indiens en face (on dit rogue states), il s’en prend bruyamment à l’ Iran mais en se gardant de déclencher une guerre. Isolé sur la scène intérieure, il soutient aussi Israël plus que ne l’avaient fait son prédécesseur, pour le meilleur et pour le pire.
Globalement, le monde est bien plus sûr depuis qu’il est président, surtout à cause de son dialogue discret avec Poutine que les faucons démocrates présentent comme une trahison.
- Que représentent les démocrates américains aux Etats unis mais aussi dans le monde ?
Je distingue le parti démocrate où on trouve des gens convenables comme Bernie Sanders, de gauche à l’intérieur et modéré à l’extérieur, candidat malheureux à l’investiture démocrate et les forces de l’Etat profond américain, celui qui soutenait la politique impérialiste d’Obama et H. Clinton, forces qui n’ont jamais accepté la victoire de Trump lequel apparait , lui, comme le candidat du « peuple profond » , peu désireux d’aventures internationales. Les démocrates impérialistes, en osmose avec l’Etat profond, avaient déclenché sous Obama, les printemps arabes et la politique de regime change au Proche-Orient: démocratiser les Etats en les bombardant ou y en soutenait systématiquement les islamistes. Ce camp comprend une grande partie de l’administration civile, le Pentagone, la presse mainstream, c’est à dire presque toute. L’ Etat profond est entièrement anti-Trump et donc pour le candidat démocrate Joe Biden. Il est universaliste : lors de sa première campagne présidentielle Trump avait dit à sa concurrente : « vous voulez être présidente du monde, moi, je ne veux être seulement président des Etats-Unis ». Cette force est ultralibérale, ultra-écologiste, immigrationniste, antiraciste, pro LGBT, libertaire. Elle a des ramifications dans tout le monde occidental : à Paris (Macron), à Londres (les anti-Brexit qui eux aussi ont eu tant de mal à admette le verdict des urnes) , à Bruxelles, à Berlin et elle tient toutes les organisations internationales : ONU, OMS, Banque mondiale, commission européenne. Elle a l’appui de presque tous les médias occidentaux. La tyrannie du politique correct, c’est elle. Soros, Bill Gates la soutiennent à fond. Mais aussi Hollywood, le Hollywood de Weinstein… Hors du monde occidental, son influence est cependant faible.
- Ont-ils fait alliance avec les néo-conservateurs et les faucons, comme semble l’indiquer la volte-face d’un Colin Powell, indiquant à son de trompes que tout républicain qu’il soit, il votera Biden ?
Ce n’est pas une alliance : depuis plus de vingt ans, les prétendus néo-conservateurs qui étaient plutôt républicains sont devenus démocrates. Ils reprochent à Trump de ne pas être assez dur avec la Russie ; ils comptent, relancer la guerre de Syrie qu’ils ont l’impression amère d’avoir perdue . Je dis les « prétendus » néoconservateurs parce que ce sont des idéologues et que l’idéologie est toujours mensongère : ils ne veulent rien conserver du tout mais au contraire bouleverser la planète pour établir quelque chose comme un Etat mondial libéral-libertaire. Le vrai clivage aujourd’hui, ce n’est plus démocrates contre républicains, c’est mondialistes (et donc impérialistes, antirusses) contre patriotes américains qui se soucient d’abord des problèmes internes à l’Amérique et cherchent à apaiser les tensions internationales. Colin Powell a toujours eu une position ambiguë mais il est l’homme de la guerre d’Irak, que Trump a critiquée et il est noir : il est logique qu’il se positionne contre Trump.
J’ajoute qu’à la politique traditionnelle des Etats-Unis depuis 1945 : alliance inavouée avec l’islamisme contre la Russie, Trump a tenté de substituer une nouvelle configuration : entente discrète avec la Russie contre l’islamisme . Avec Biden, l’ancienne configuration pourrait être de retour : l’Europe aurait tout à y perdre.
- Comment expliquer que les démocrates n’aient trouvé que Joe Biden comme candidat pour s’opposer à Donald Trump ?
C’est sans doute le signe d’une crise du personnel politique qui touche tous les pays occidentaux ; les hommes sont de plus en plus médiocres : très peu de politiciens américains sont capables d’être présidents des Etats-Unis ; il faut chercher des vieux comme Biden, politicien à l’ancienne – ou Trump qui n’est pas jeune non plus. En France, nous ne sommes pas mieux lotis.
Comment expliquer ce déclin – dangereux car c’est entre les mains de ces gens que repose en définitive la paix du monde ?
Mon hypothèse : le règne quasi-universel de l’idéologie et de ce qui va avec, les appareils bureaucratiques, abêtit les gens et favorise partout les médiocres.
- Quels sont aujourd’hui les arguments de Donald Trump pour se succéder à lui-même ?
Outre son bilan de politique étrangère, auquel les Européens devraient être le plus sensible, il a pu jusqu’au début de cette année afficher une belle économique exceptionnelle : des millions d’emplois créés, le marché intérieur en voie de reconquête. Toutefois le confinement mondial a remis en cause ce rebond. En définitive c’est ce qui fait élection dans ce pays qui se veut le gendarme du monde mais où les citoyens ne s’intéressent qu’à la marche de l’économie domestique.
J’ajoute pour ma part que le retour au pouvoir, derrière Biden, des équipes libéral-impérialistes ( un terme plus approprié que « néo-conservateurs ») d’Obama-Clinton représente un double risque pour nous : d’une part un alourdissement considérable de l‘Empire du politiquement correct, ce que j’appelle le Mordor, comprenne qui pourra, la restriction des libertés, le règne d’une oligarchie coupée du peuple, une aggravation des aberrations sociétales, de l’immigration , des éoliennes : tout ce que nous combattons aujourd’hui en France serait encore durci ; les chances de Macron, en phase avec Biden sur tous les sujets, seraient améliorées.
L’autre risque est celui d’un affrontement Etats-Unis -Russie ; à la différence de Trump, les démocrates haïssent Poutine. Le risque de guerre en Europe réapparaitrait.
On aime ou on n’aime pas le personnage, mais pour sa sécurité, intérieure et extérieure, la France (comme l’Europe) a tout à craindre d’une défaite de Trump.