« QUAND LE CANON TONNE, LES CONS SE TAISENT »
25/05/2021
Le succès de la récente tribune des généraux, approuvée par 58 % des Français et dont 73 % partagent la crainte d’un « délitement » de la France, laisse apparaître ce que les intéressés eux-mêmes ne mesuraient pas : la popularité des militaires en France.
Cette popularité contraste avec leur situation d’il y a cinquante ans où la gouaille antimilitariste de gauche avait contaminé une large part de l’opinion. Les guerres coloniales, le service militaire, jugé souvent du temps perdu, l’avaient nourrie. La professionnalisation de l’armée est donc , paradoxalement, une des raisons de ce regain de popularité. Le temps de l’antimilitarisme à la française semble en tous cas révolu.
Une réputation d’intégrité
Il est vrai que, opération extérieures aidant, les soldats français sont presque toujours sur le terrain ; on annonce régulièrement des pertes qui émeuvent l’opinion. Surtout quand ils se battent pour des causes peu contestées, comme la lutte contre les djihadistes au Mali.
Ils sont aussi mobilisés dans l’opération Sentinelle : la surveillance des rues, peu valorisante et d’une utilité douteuse, qu’on leur impose, est d’abord une opération de communication pour le pouvoir politique, mais globalement, elle profite aussi à l’image de l’armée.
La popularité des militaires contraste avec l’impopularité de tant d’autres corps : les « énarques » ( cette appellation désigne l’ensemble des hauts fonctionnaires, qu’ils soient passés par l’ENA ou pas), les journalistes, les juges , et naturellement les hommes politiques – sauf les maires. Si les enseignants sont en partie épargnés, ce n’est pas le cas de l’Education nationale .
Une des raisons de ce contraste : le sentiment que les militaires restent intègres. Ils ne passent en tous les cas pas pour corrompus. Le pantouflage de certains officiers généraux à la fin de leur carrière, tel le général Pierre de Villiers au Boston consulting group , phénomène encore limité en France, ne fait pas scandale.
L’idéologie contre le réel
Le fait que ce dernier se soit opposé publiquement à un président rejeté par beaucoup a suffi à le rendre populaire.
Mais un autre facteur nous parait encore plus décisif. Dans un univers politico-administratif qui ressemble de plus en plus à l’Absurdistan, les militaires, eux, ne semblent pas délirer, au moins dans la partie visible de leur action : la guerre. Il en est de même de deux autres corps de terrain, chargés de missions régaliennes : la gendarmerie et la police et bien entendu du personnel hospitalier surtout depuis le covid.
Si les autres corps de direction ( qui bien souvent ne commandent plus rien du tout ! ) sont devenus si impopulaires, c’est qu’ils semblent avoir complètement perdu le contact avec le réel – et avec la population . Ils appliquent des milliers de règlementations que personne ne comprend et dont beaucoup apparaissent comme nuisibles. Les sphères supérieures de la politique et de l’administration sont sourdes aux messages venus de la base. Par exemple, malgré le scepticisme de l’immense majorité des maires, l’administration du ministère l’intérieur ( pourtant supposée plus proche du terrain ) poursuit inexorablement le laminage des communes au nom d’une intercommunalité lourde et coûteuse.
La raison : c’est que la gouvernance publique a largement perdu le sens de sa mission : la solution des problèmes, le bien commun, pour ne plus faire qu’appliquer des schémas. Des schémas qui semblent issus de la technocratie nationale mais qui , la plupart du temps, viennent de beaucoup plus haut, l’Union européenne, principal prescripteur ne faisant que répercuter les consignes de l’OMS, du GIEC, de l’OMC , bref d’une gouvernance mondiale complètement déconnectée . Ces schémas , il ne faut pas hésiter à les qualifier d’idéologiques car ils sont abstraits et simplificateurs et qu’ils sont supposés aller dans le sens du progrès.
Un chef d’entreprise qui perd le sens du réel, voit très vite son bilan se dégrader : le banquier le rappellera à l’ordre. Le retour du réel est beaucoup plus lent et plus diffus en matière de gouvernance publique. Les dirigeants imbus de l’idéologie dominante tiennent les résistances de la base pour du poujadisme irrationnel , on l’a vu avec les gilets jaunes marginalisés avant même de s’être exprimés.
Quand une armée va au combat , le retour du réel est beaucoup plus rapide encore que dans l’entreprise. Les militaires de tout rang sont , pour cela, obligés d’avoir le sens du réel . Un vieux proverbe militaire dit « quand le canon tonne, les cons se taisent ». Et s’ils continuaient à commander , la bataille serait perdue.
Sous cette appellation un peu rude, voyons les agents actifs ou passifs de tous les systèmes administratifs qui gouvernent notre monde et dont le bon peuple a le sentiment qu’ils ont complètement perdu le contact avec les réalités , ce qui n’est pas le cas des militaires d’aujourd’hui.
Roland HUREAUX