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Roland HUREAUX

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7 juin 2022 2 07 /06 /juin /2022 14:17

TROIS DEFAITES AMERICAINES

 

Publié dans Front populaire

 

A trois reprises, au cours des dernières années, les Américains ont essuyé des revers qui ont pour effet de diminuer leur influence dans le monde.

 

La Syrie

Le premier, passé inaperçu en Europe où les média savent se faire discrets, mais parfaitement compris dans le reste du monde est la guerre de Syrie.  Elle est apparue en définitive comme une victoire de la Russie et une défaite des Etats-Unis au travers de celle de leurs alliés djihadistes.

On en connait le contexte : en 2011 éclatent les printemps arabes, exprimant une demande de démocratie dans plisseurs pays, dont on ne sait s’il s’agit de revendications authentiques ou si elles ont été suscitées par la CIA. Les deux sans doute : il reste significatif que les pays de la péninsule arabique, pourtant les moins démocratiques de tous mais alliés des Etats-Unis n’aient pas été touchés [1]. La guerre a éclaté en Libye, en Syrie, au Yémen, aujourd’hui encore en guerre civile ; l’Egypte et la Tunisie ont été déstabilisés.

Des mouvements partis de la frontière jordanienne se sont vite transformés en une flambée de révolte touchant tout le territoire syrien (sauf la capitale Damas), d’orientation islamiste.  Ces mouvements éteint soutenus, en armes, en argent, en matériel, par les Etats-Unis et l’Europe occidentale ; y compris le plus visible de tous, Daech, parti d’Irak et étendu rapidement en Syrie. L’intervention directe de la Russie à partir de 2015, avec celle d’l’Iran et du Hezbollah libanais ont permis de stabiliser le régime en place. Le président Trump a progressivement réduit l’engagement américain tout en détruisant l’allié devenu encombrant, Daech. En théorie la guerre continue sous la forme de sanctions inhumaines imposées au peuple syrien qui l’empêchent de reconstruire un pays ravagé et une enclave djihadiste demeure à Idlib. Il reste que l’objectif des Etats-Unis : renverser le président Assad à qui certains augures, dont Juppé alors ministre des Affaires étrangères français, ne donnaient qu’une semaine de survie, a échoué : Assad est toujours en place.

Désormais la Russie est la force dominante au Proche-Orient : le Hezbollah libanais, l’armée syrienne, fortement entrainés par le conflit, sont sous sa coupe.

Faut-il remonter en arrière et évoquer la guerre d’Irak ? Militairement ce fut un succès, très coûteux, (1 million de morts) et il s’en faut de beaucoup que le calme soit revenu dans le pays. Mais Saddam Hussein a été éliminé. Le principe démocratique a néanmoins permis de transférer l’Etat des sunnites aux chiites, plus nombreux et donc à compléter l’« arc chiite » qui fait si peur  à Israël et à l’Arabie saoudite, allant du Liban à l’Iran. A cet égard cette guerre fut aussi contre-productive.

En s’abstenant massivement de condamner l’invasion russe à l’ONU, en refusant appliquer les sanctions occidentales à la Russie, les pays arabes de la péninsule arabique on pris nettement leurs distances par rapport aux Etats-Unis. Ajoutons qu’ils n’exigent plus que leur pétrole soit payé en dollars et que l’Arabie viennent de refuser aux Etats-Unis une augmentation de sa production de pétrole, demandée par ceux-ci pour détendre les cours.  Israël aussi s’est abstenu. Ce changement d’attitude découle de la défaite américaine en Syrie.

 

L’Afghanistan

Le second grand échec, très médiatisé, lui, est le retrait récent des Américains d’Afghanistan après vingt ans d’une guerre bien inutile contre les Talibans qui sont aujourd’hui revenus au pouvoir. Talibans qui avaient été, eux aussi, au départ (1993) une créature des Etats-Unis.

La troisième défaite américaine se déroule en ce moment : c’est la guerre d’Ukraine. A moins d’un embrasement généralisé, il y a peu de doutes que les Russes ne viennent à bout de la résistance résiduelle des Ukrainiens, spécialement des milices armées par les Etats-Unis dont centaines seraient néo-nazies. Quoiqu’on pense de l’invasion russe, violation flagrante du droit international, comme l’avaient été les guerres de Yougoslavie et d’Irak et l’annexion de la Crimée, il y a de fortes chances que ce grand pays qu’est l’Ukraine, qui était devenu depuis 2014 un protectorat américain, deviendra, sous une forme ou sous une autre, un protectorat russe. Il n’est déjà plus question qu’il adhère à l’OTAN comme il en était fortement question avant la guerre.

Si certaines « révolutions oranges » favorables aux intérêts occidentaux       ( Ukraine 2005 , puis 2014, Macédoine , peut-être Arménie ) ont réussi, d’autres ont échoué : Kazakhstan, Géorgie, peut-être tout dernièrement Pakistan. 

Voilà en tous cas trois reculs américains qui présentent plusieurs caractéristiques communes.

La première est que, bien que les Américains aient pris l’initiative des combats dans les deux premiers cas et que leur rôle demeure ambigu aux origines de la guerre d’Ukraine, leurs intérêts vitaux n’étaient nullement engagés.

L’invasion de l’Afghanistan était une sorte de punition des attentats du 11 septembre partant de l’idée que leurs auteurs, Ben Laden en tête, les avaient   organisés depuis les cavernes d’Afghanistan ; idée absurde, mais l’essentiel était   qu’un grand pays comme les Etats-Unis devait donner à l’opinion nationale et mondiale le sentiment qu’il se vengeait d’un coupable présumé. A supposer que la grande puissance ait éprouvé un prurit de vengeance, une ou deux expéditions aériennes ciblées aurait eu le même effet à bien moindre coût, pour les uns comme pour les autres. A l’écart de tous les grands circuits, l’Afghanistan ne représentait nullement un enjeu stratégique.

Quelque raison que l’on ait donné à   la guerre de Syrie : permettre le passage du gazoduc venant du Qatar vers la Méditerranée, rompre l’arc chiite (qu’eux même avait mis en place), la dynastie Assad, père et fils, au pouvoir depuis 1970 n’avait jamais, en dehors du Liban où subsiste un héritage conflictuel localisé, agressé un de ses voisins, en particulier Israël, ni n’avait l’intention de le faire quand les printemps arabes l’ont déstabilisé.

Assad, pas plus que Saddam Hussein, ne menaçaient pas l’ordre régional.

 

L’Ukraine

S’agissant de l’Ukraine, on peut faire partir le conflit de l’entrée de l’armée russe en Ukraine le 24 février 2022 et en faire reposer la totale responsabilité sur la seule Russie. Mais l’Ukraine était en guerre civile depuis le 18 février 2014, jour des évènements de la place Maidan qui permit aux insurgés, encadrés de conseillers américains de renverser le président régulièrement élu en 2010 mais pro-russe, Ianoukovitch, pour le remplacer par un gouvernement désigné par les Américains, ce que Valéry Giscard d’Estaing appelle un « coup d’Etat de la CIA ».  La cause de cet événement est la volonté    des Etats-Unis et de certains de ses alliés de l’OTAN d’y faire adhérer l’Ukraine, ce que la Russie avait averti à maintes reprises qu’elle le tenant pour inacceptable ; qu’un pays voisin de cette importance, avec une longue frontière commune soit membre d’une alliance hostile ne pouvait être ressenti par la Russie que comme une menace. L’autre possibilité, la neutralité de l’Ukraine, libre de toute alliance, avait    prévalu   sans susciter de problèmes de 1991 à 2014, puis de 2017 à 2021 sous la présidence Trump. Quel était l’intérêt des Etats-Unis dans la rupture d’équilibre de 2014 ?  En quoi une Ukraine fortement engagée dans le camp occidental était-elle plus avantageuse pour Washington ?  Gardant leur neutralité, les grandes plaines d l’Ukraine ne représentaient pas un enjeu stratégique. Pas au point en tous cas de courir le risque de la guerre que nous connaissons.

Aucun enjeu stratégique décisif au départ, donc. Mais ajoutons que dans les trois opérations que nous avons évoquées, les Etats-Unis n’ont nullement subi une défaite d’ordre technologique ou militaire qui marquerait un recul de leur puissance.

Dans les trois cas, ils ont affronté avec beaucoup de moyens mais peu de détermination, un adversaire qui, lui, était très déterminé. 

 

C’est aussi le cas de la Syrie, où les Syriens et spécialement la minorité alaouite qui dirige le pays pour qui l ’issue de la guerre était une question de vie ou de mort. S’il y avait encore des stratèges en Occident, ils auraient dû le savoir. En face, un Obama hésitant sur la ligne à suivre, tantôt soutenant Daech, tantôt s’y opposant qui ne s’est en tous les cas jamais déterminés à mettre les moyens pour vaincre le gouvernement Assad.

En Ukraine, Poutine considère à tort ou à raison que c’est l’intérêt vital de la Russie qui est en jeu. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN serait pour la Russie une menace de mort. Dans les textes stratégiques américains (Berezniki, Friedman), il est   écrit noir sur blanc que le basculement dans le camp occidental des républiques issues de l’ancienne Union soviétique doit être le prélude à un démantèlement de la Russie elle-même.  Des écrits qui ont été lus à Moscou. Maintenant que la guerre est engagée, Moscou ne joue plus seulement sa sécurité mais son prestige.

Enfin relevons que dans deux des trois cas (les trois si on inclut le coup d’Etat de la place Maidan de 2014) où les Etats-Unis ont pris l’initiative de rompre le statu quo, c’est un clan particulier qui est en cause : le clan dit néo-conservateur – qui dans l’éventail politique américain devrait être appelé libéral-progressiste ou libéral impérialiste, proche du parti démocrate. En fait, il n’a rien de conservateur puisque les guerres dont il a pris l’initiative ont fait au moins 1 million de morts et d’immenses destructions, d’abord en Irak, il n’a rien non plus de libéral : il s’appuie sur les Gafams qui se permettent de censurer la planète entière quand sont exprimées des opinions qui ne leur conviennent pas. Ils ont une haine absolue et sans nuances de leurs ennemis, comme on le voit aujourd’hui avec l’attitude hystérique que suscite chez eux la Russie. Ils ont une démarche qui n’a rien à voir avec la démarche libérale de la vieille Amérique :  une attitude idéologique, analogue à celle qui caractérisait autrefois les régimes communistes ; simplification des concepts, manichéisme absolu, universalisme, projet eschatologique. Les néo-conservateurs considèrent que la situation à laquelle sont parvenus les Etats-Unis, fondée sur le libre -échange, ce qu’ils pensent être la démocratie et le libéralisme et qui ne le sont presque plus, les principes libertaires devenus des absolus, par exemple l’antiracisme woke ou l’idéologie du genre, que tout cela, ils ont mission de le répandre dans le monde entier et qu’un pays comme la Russie qui résiste à ces tendances dites « progressistes » est l’ennemi absolu.

Des organisations comme l’OTAN ou l’Union européenne sont le symbole de cette idéologie. L’ambition des néo-conservateurs est d’étendre peu à peu l’emprise des Etats-Unis dans le monde : des pays limitrophes de ce qui est déjà leur zone d’influence (OTAN) sont des cibles à intégrer, quel que soit leur intérêt stratégique.

Toute idéologie universaliste finit par être agressive. En ce sens, elle représente un danger.

Syrie, Afghanistan, Ukraine : trois défaites claires de l’Empire américain en trois ans[2] . Le contrôle qu’exerce Washington sur les médias du monde entier a permis d’en atténuer l’impact politique immédiat. Le sort des armes peut paraître encore incertains en Ukraine mais dès lors que les Américains ont décidé de ne pas intervenir sur le terrain, il semble scellé.

Nous n’évoquions pas la guerre d’Irak : quoiqu’elle soit, sur le terrain, une victoire des Américains, elle a modifié la géopolitique régionale dans un sens défavorable à leurs intérêts.

Jupiter dementat quos vult perdere.   Toutes les puissances connaissent un jour le déclin. Comme le dit Zbigniew Brezinski, jamais une puissance n’a dominé le monde autant que les Etats-Unis à l’orée du XXIe siècle (il écrit en 1977). L’heure du déclin est peut-être arrivée. Dans les facteurs du déclin, nous n’avons pas évoqué à dessein les éléments internes : endettement faramineux, division politique de la société sans précèdent dans une démocratie, telle qu’on a pu l’observer lors de l‘élection de Trump, puis la victoire de Biden.

Sur le plan international, rien ne laisse supposer que les Etats-Unis risquent d’être surclassés sur le plan scientifique ou technique[3]. La Russie et la Chine les rattrapent peu à peu mais ; ils ont acquis quelques avantages en matière de lanceurs hypersoniques ou de brouillage mais ils ont aussi des faiblesses apparues dans la guerre d’Ukraine. Ce qui les menace aujourd’hui – et indirectement nous, c’est le vertige de la puissance, le fait qu’à partir d’un certain degré de supériorité (cela vaut aussi pour les magnats qui y contrôlent économie privée), la démesure et l’orgueil créent un risque de démence. Démence dangereuse, on vient de le voir pour les Etats-Unis eux-mêmes mais dangereuse aussi pour la paix du monde.   

Les échecs que nous venons de signaler pourraient marquer une limite à cette ambition idéologique. Ils pourraient aussi bien  déclencher une volonté de revanche à tout pris, un refus de l’échec, qui constituerait une des principales menaces pour notre monde. L’Amérique est un animal blessé : c’est alors qu’il faut s’en méfier.

 

Roland HUREAUX  

 

[1] Sauf le minuscule Bahreïn

[2] Nous partons dela décision de Donald Trump de retirer ses troupes d’Afghanistan (2019).

[3] Encore qu’au gré de certains acteurs, les évolutions sociétales : refus de la culture de l’effort, de la discipline scolaire, discrimination positive, aient abaissé le niveau des étudiants et des techniciens américains.

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