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Roland HUREAUX

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4 octobre 2023 3 04 /10 /octobre /2023 20:58

Compte-rendu de lecture :

 

Roland HUREAUX : Jésus de Nazareth, roi des Juifs (DDB, 2021, 567 pages.)

 

 

En écrivant Jésus de Nazareth, roi des Juifs, notre confrère Roland HUREAUX a voulu faire œuvre historique. Un projet en cohérence avec sa qualité d’agrégé d’histoire. Sa biographie  de Jésus  est centrée sur les faits, laissant de côté  les autres lectures : symbolique, morale, mystique, eschatologique - et a fortiori  numérologique !  

Il part de deux hypothèses :

  • La première, qui d’ailleurs est une certitude : la source presque unique que nous ayons sur la vie de Jésus, ce sont les quatre évangiles. Leurs divergences apparentes laissent supposer que les auteurs ne se sont pas concertés. Quatre sources, c’est plus que pour la plupart des personnages de l’Antiquité. Les apocryphes apportent peu de choses (même le Protévangile de Jacques qui donne des détails sur les origines    de Marie a une crédibilité incertaine).  Flavius Josèphe, le grand historien juif de cette période, mais né seulement en 37, soit après la mort de Jésus,  nous éclaire sur le contexte politique et religieux mais ne dit que très peu sur Jésus de Nazareth, un peu plus sur Jean Baptiste.   
  • La seconde est que les auteurs étaient des juifs qui connaissaient la gravité du 8e commandement : « Tu ne porteras pas de faux témoignage » et qu’il faut donc les prendre au sérieux.

C’est dire que l’ouvrage procède d’une lecture plutôt bienveillante des textes, éclairés par l’Ancien testament auquel les évangiles se réfèrent en permanence. Une lecture historique n’est pas forcément déconstructrice comme beaucoup le pensent depuis Renan. Au contraire, dit Hureaux dans son introduction, la plupart des auteurs qui prétendent « démythologiser » les Evangiles font des choix arbitraires  de ce qui selon eux, est historique de ce qui  ne l’est pas  : ils ne font qu’exprimer ainsi leur subjectivité , un  exercice que Roland Hureaux se refuse à faire , se contentant de dire que , par hypothèse, il  ne rejette rien  a priori.    

Lire les Evangiles, comme il le fait, en s’en tenant à la part humaine de celui que les croyants tiennent pour l’Homme-Dieu, c’est, dit-il, se conformer au Concile de Chalcédoine (451) pour lequel Jésus est  à la fois homme et Dieu sans séparation, mais aussi sans confusion

Dans cette perspective, il était normal qu’il fasse référence à la période où vécut Jésus   et qu’il connait bien :    le début  de l’Empire romain, premier siècle  de la pax romana, ce en quoi les  chrétiens de l’Antiquité  ont vu plus qu’une coïncidence.

L’auteur écarte naturellement l’hypothèse émise par certains, selon qui Jésus de Nazareth n’aurait pas existé. Aux arguments   habituels, il ajoute    qu’une lecture attentive des sources évangéliques  montre l’extrême finesse de l’observation des comportements politiques et  psychologiques des acteurs .   Même s’ils n’avaient pas voulu faire un récit vrai, les évangélistes étaient d’excellents   sociologues de la politique.

S’agissant de la date des évangiles, sujet controversé, l’auteur suit Claude  Tresmontant, l’abbé Carmignac et l’évêque anglican John Robinson   pour les  avancer plus qu’on ne fait d’habitude  en les situant  au milieu du Ier siècle (50-65) , en même temps que les épîtres de saint  Paul, dont les dates sont connues (51-65), ce qui situe les évangélistes plus près  des événements qu’ils narrent que bien des historiens de l’ l’Antiquité.   Les raisons de cette option sont nombreuses, ne serait-ce que   l’absence de toute mention de la destruction de Jérusalem en 70 ou les Actes des apôtres écrits après l’évangile de Luc qui se termine en 61, ce qui exclut , comme l’avait vu le grand  exégète allemand Harnack,  que ce dernier ait été écrit vers 80  comme l’a longtemps voulu  l’exégèse officielle.  

Roland Hureaux   écarte aussi quelques idées qui furent longtemps à la mode : celle d’une tradition orale portée par des illettrés, tardivement mise par écrit . Le Ier siècle romain est, dit-il, une civilisation de l’écrit, spécialement le monde juif : il y a des banques, des billets à ordre, des livres ; beaucoup de Juifs lisent le Bible ou ont mis par écrit leur généalogie .  Rien à voir avec le désert d’Arabie du VIIe siècle où fut, dit-on, rédigé le Coran. Un siècle avant Jésus, les Pharisiens avaient prescrit la scolarisation obligatoire.  Les évangiles ne sont pas non plus la production de « communautés », mythe que l’auteur qualifie de « clérico-germanique » : écrire est un travail solitaire même si l’auteur se fait aider par des scribes, comme le fit Tacite, ou s’il consulte une autorité, comme Luc consulta Paul et Marc consulta Pierre.

Ceux qui pensent que l’histoire ne peut être que transgressive sont certains que les « frères de Jésus » étaient de vrais frères :  de solides arguments, présentés dans ce livre peuvent étayer la thèse contraire .  De même qu’il  est d’usage de dire,  pour faire sérieux,  que Marie Madelaine ne serait que la synthèse de plusieurs  personnages  de l’Evangile , une thèse que l’auteur  démonte.     Restent de vraies difficultés comme les récits de miracles, à regarder eux aussi de près : pour deux résurrections sur trois, Jésus dit « il (elle) n’est pas mort,  il (elle)  dort » : ne s’agissait-il d’un coma profond ?  Il est en tous cas difficile de comprendre le succès de Jésus presque immédiat sans y voir l’attirance de ses dons extraordinaires.

Un tel ouvrage n’a rien à voir avec les thèses simplistes et  provocatrices qui ont assuré  un  succès passager à certains livres : Jésus aurait été un zélote , un essénien  ( il sont totalement absents des évangiles : pourquoi ? On ne sait) ou  le compagnon  de Marie Madeleine ( alors que tous ses faits et gestes étaient surveillés en permanence tant par la police juive que par la police romaine ).  L’auteur a voulu écrire un ouvrage durable, particulièrement utile en ces temps où tant de repères se perdent. Donc pas de thèse radicale, mais quelques points de vue qui s’écartent d’une certaine doxa.

Une grande importance  a été accordée  à l’enfance de Jésus ; sa généalogie est essentielle ;  même si les deux que nous avons diffèrent ,  il est appelé partout Fils de David et personne ne le conteste – alors qu’est contesté avec force qu’il soit le Messie. Cette ascendance royale était en soi une menace pour la stabilité politique comme Hérode le Grand l’a compris tout de suite.  Lui qui avait exterminé la dynastie précédente, celle des Hasmonéens (Maccabées) et fait massacrer les enfants du la région de Bethléem,  

Un exercice risqué : décrire la personnalité de  Jésus : compte tenu de sa visite au Temple à l’âge de 12 ans, il est assurément un surdoué , ce qui n’est pas  un don surnaturel puisque nous en connaissons d’autres. On peut même penser qu’il était assez doué pour connaitre toutes les langues parles dans la région dont le latin, sinon liturgique, du moins administratif. De même, selon les évangiles, le don des miracles ( appelés  « signes ») ne lui est-il   pas propre, puisqu’il incite ses  disciples à en faire comme lui,  ce qui exige qu’ils aient  la foi.

Jésus apparait aussi comme un leader, un chef « qui parle avec autorité et non comme les scribes » (entendons les bureaucrates !). L’auteur écarte une « théologie facile » qui ne laisserait à Jésus-homme que   les actes ordinaires   et renverrait les miracles à sa nature divine.

Le point important est que beaucoup de ce que le discours contemporain, chrétien ou pas, attribue à Jésus se trouve déjà dans le  Testament juif .  Le Magnificat et les Béatitudes sont, dit-il, des quasi-collages de la Bible juive. Le devoir de miséricorde ou la nécessité d’aider les pauvres sont présents en permanence dans les psaumes et chez les prophètes. Jésus ne cesse de dire qu’il n’est pas venu changer un seul iota de la Loi. Il la durcit même sur le mariage ou sur la prestation de serments.   Figure en annexe un intéressant tableau des positions des différents groupes religieux du Ier siècle : en dehors des disciples de Jean-Baptiste, c’est des pharisiens qu’il semble le plus proche. Or ils furent ses plus farouches ennemis. Etonnant ? Pas vraiment. Ceux qui connaissent la vie politique savent que ce ne sont généralement pas les oppositions idéologiques qui font les grandes haines, mais les petites différences - et parfois l’absence de différence.

Sur le fond Jésus se distingue des pharisiens de son temps par l’ordre de priorité qu’il donne aux différents commandements de la Loi, considérant, comme plus tard saint Paul,  que les principaux sont les  deux premiers auxquels tous les autres  se ramènent  , l’amour de Dieu et celui  du prochain. D’ailleurs,  les  pharisiens, si opposés à Jésus durant sa vie,   devaient , entre les années trente et soixante , selon   les Actes des apôtres, les soutenir constamment contre le haut sacerdoce (les sadducéens) . Qu’est ce qui est donc vraiment propre à l’enseignement de Jésus ? Moins que l’on croit : la nécessité, non seulement de secourir les pauvres mais aussi le l’être – ou encore le privilège conféré à l’enfance - et bien entendu le fait de qualifier Dieu comme Père, ce qui ne figure que très rarement dans l’Ancien testament.

Loin d’être une bande désordonnée, l’équipe que met en place Jésus est très hiérarchisée :  Jésus lui-même, Pierre, Jacques et Jean, les autres apôtres, les 72 disciples, les autres disciples. Six degrés hiérarchiques !  

A côté des hommes, plusieurs femmes, apparemment plus riches que les hommes, qui sont un peu les « sponsors » de Jésus ; parmi elles, la femme de Chouza, intendant, c’est-à-dire ministre de finances   d’Hérode Antipas. Ce dernier, fils d’Hérode le grand, après avoir fait décapiter Jean-Baptiste est tombé en disgrâce à l’avènement de Caligula ( 37) et serait  mort en exil avec sa femme  Hérodiade,  à  Lugdunum Convenarum ( peut-être Saint Bertrand de Comminges). La condition des femmes s’était durcie au cours du siècle passé : une femme honnête ne pouvait pas sortir sans nécessité, elle devait en tous les cas être voilée; elle ne pouvait pas  parler à un homme et sûrement pas aller écouter des prêcheurs.  Seules les femmes de l’aristocratie ou au contraire déjà déconsidérées (ou les deux !) pouvaient suivre Jésus.   

Le grand prêtre Caïphe donne des raisons suffisantes à la décision de mettre à mort de Jésus : son succès attire de plus en plus les foules ; les Romains vont s’en inquiéter,  venir en force  et détruire  l’équilibre  colonial que  la  classe dirigeante juive ne souhaite pas remettre  en cause.   Le Concile de Trente (1545-1563) a dit avec toute la clarté voulue que les Juifs n’étaient pas plus responsables que le reste des hommes de la   crucifixion de Jésus. D’autant que le phénomène du roi sacrifié décrit par Frazer et Girard, est une réalité anthropologique qui vaut pour tous les peuples. Pilate surplombe la croix de l’inscription bien connue   Iesvs Nazarenvs, Rex Ivdæorvm (INRI). Un roi dans le contexte romain, c’est un protégé comme Hérode ou bien un rebelle : Jésus n'étant pas un protégé, il est un rebelle : par cette inscription qui sert de titre au livre, Pilate qui sait qui sait qu’il n’est pas un rebelle, se couvre vis-à-vis de sa hiérarchie à Rome pour une décision risquée. 

L’intérêt de ce livre ouvrage réside aussi dans la description de la terre sainte et de la société juive sous le férule de l’empire romain : une société perturbée par cette première  forme de mondialisation que représente la conquête romaine : un grand écart entre riches et pauvres, beaucoup de brigandage , une inquiétude religieuse  qui ne pouvait constituer qu’un terrain favorable à la parole  de Jésus Christ.  

La couverture est illustrée par un beau tableau de Daumier dont on ne connaissait pas la veine religieuse.

J.M

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