29 janvier 2012
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Le président Obama a tenu son pari : à la fin de 2011, tous les soldats américains ont quitté l’Irak. Au moins en principe : restent 6000 « consultants de sécurité », à statut privé mais vétérans de l’U.S.Army ; restent surtout 50 000 hommes stationnés au Koweït et prêts à revenir si besoin était.
Quel est le bilan de cette opération commencée en 1983 par le renversement de Saddam Hussein ? Du côté américain, 5000 morts et un nombre tenu secret de mutilés ; côté irakien, au moins un million, peut-être beaucoup plus. Un coût total estimé par Joseph Stilgitz à 2 267 milliards de $ , soit plus que la guerre du Vietnam.
Tout cela pour quoi en définitive ?
Pour écarter une menace régionale ? Mais on sait maintenant qu’il n’y avait aucune arme de destruction massive, ni aucun programme pour en construire en Irak, que Saddam Hussein n’entretenait aucune relation avec Al Qaida. Certes, le dictateur irakien avait à deux reprises attaqué un de ses voisins : l’Iran en 1980, mais c’était avec l’appui de tous les pays occidentaux, le Koweït en 1990, mais c’était, semble-t-il, avec le feu vert du gouvernement américain qui lui avait peut-être tendu un piège.
Pour contrôler le pays ? Certes, les Etats-Unis se sont adjugé l’essentiel des ressources pétrolières et leurs entreprises, notamment Haliburton, proche du vice-président Dick Cheney, la quasi-totalité des marchés de reconstruction. L’Angleterre de Tony Blair, si coopérative dans l’opération, n’a eu droit qu’ à des miettes. Mais l’Irak continue d’être livré à la guerre civile. Le gouvernement central contrôle tout juste le centre de la capitale. On ne saurait comprendre cet aboutissement qu’à partir d’une supposée « stratégie du chaos » que l’on prête à ceux qui décident de la politique étrangère américaine. Stratégie désastreuse pour la minorité chrétienne, obligée de fuir, mais qui n’ira pas jusqu’ à l’éclatement du pays car, à cause du Kurdistan, cela déstabiliserait gravement la Turquie, allié choyé. Mais les maladresses insignes du premier gouverneur américain Paul Brenner qui licencia les soldats de Saddam en leur laissant emporter leurs armes furent-elles vraiment volontaires ?
En définitive le principal résultat atteint a été le transfert du pouvoir de la minorité sunnite qui dirigeait le pays depuis des siècles vers la majorité chiite. Résultat d’autant plus paradoxal que le principal ennemi des Etats-Unis et d’Israël dans la région est l’Iran, puissance chiite voisine de l’Irak.
Certes les partisans les plus résolus de l’Iran, comme les disciples de l’ iman Moqtada al-Sadr ne sont pas au pouvoir ; certes les Irakiens sont arabes, les Iraniens indo-européens, mais les lieux saints du chiisme sont en Irak. Le premier ministre chiite d’Irak Nouri al-Maliki a-t-il pris ses distances par rapport à ses coreligionnaires du pays voisin ? On peut en douter au vu du soutien discret qu’il apporte au régime Assad en Syrie, allié de l’Iran.
Le principal effet de cette guerre désastreuse aura donc été de renforcer le bloc chiite dans la région. En bref, aucun danger véritable n’a été écarté et ce qui était tenu, à tort ou à raison, pour le danger principal, la montée en puissance de l’Iran, s’est trouvée renforcé. A peine les soldats américains retirés, Nouri al Maliki demande la centralisation de l’Irak et donc la concentration du pouvoir entre les mains des Arabes chiites au détriment des Sunnites et des Kurdes, sunnites aussi mais pas arabes et qui vivent depuis 1983 dans une autonomie de fait.
La leçon de ces événements est que les grandes puissances peuvent être redoutablement efficaces pour atteindre leurs objectifs : des années d’attrition de l’Etat irakien par le biais des sanctions de l’ONU, une désinformation qui a réussi à faire croire à une partie du monde que l’Irak était au bord de la capacité atomique, une large coalition pour asseoir la légitimité internationale de l’opération, des moyens considérables pour envahir le pays et renverser le gouvernement baasiste. Sur le plan technique, chapeau.
Mais si la puissance peut être redoutablement efficace pour atteindre les objectifs visés, ces objectifs étaient-ils raisonnables ? La puissance ne donne pas toujours à ceux qui en disposent une claire conscience de leurs vrais intérêts. Si toute cette force a été déployée pour étendre à l’ouest l’influence de l’Iran, n’est-on pas en droit de penser qu’il y a non seulement une raison mais aussi une déraison du plus fort ?
La même déraison n’est-elle pas à l’œuvre dans la tentative en cours de déstabilisation de l’autre Etat baasiste de la région, la Syrie. La technique est la même qu’en Irak : diabolisation médiatique au nom des droits de l’homme (toujours à géométrie variable), sanctions épuisantes, recherche d’alliances régionales en attendant le coup de boutoir final. Dans l’intérêt de qui ? D’abord de la Turquie qui est aujourd’hui en première ligne de cette déstabilisation. Une Turquie en pleine montée géopolitique, qui rêve de retrouver son influence du temps de l’Empire, d’abord dans son voisinage proche, hier le Kosovo, aujourd’hui la Syrie et peut-être demain Jérusalem et les autres lieux-saints de l’Islam. Certains israéliens ont pris conscience du risque. Mais les Américains et les Européens qui leur emboitent le pas, notamment le gouvernement français, eux, ne semblent pas avoir de doutes sur l’utilité d’une subversion de la Syrie.
On se prend à penser que si les puissants de ce monde avaient une juste conscience de leurs intérêts, si la puissance n’amenait pas avec elle la déraison, nous vivrions encore dans un monde plus sûr…
Roland HUREAUX*
· Auteur de La grande démolition – La France cassée par les réformes, Buchet-Chastel, janvier 2012