Augustin Cochin, La machine révolutionnaire, Œuvres , préface de Patrice Guenifey , textes réunis, présentés et annotés par Denis Sureau, Tallandier.
Paru dans la revue Commentaire n°164, hiver 2018-2019
Ce n’est évidemment pas l’histoire officielle laquelle, de Michelet à Soboul en passant par Aulard et Mathiez , a célébré la gloire de la Révolution française, qui pouvait nous aiguiller vers les études d’Augustin Cochin sur le même sujet. Pas davantage les historiens contre-révolutionnaires qui , tel Gaxotte, en sont restés à une approche littéraire de l’histoire.
C’est François Furet qui l‘a tiré de l’oubli où il était tombé. C’est Taillandier qui s’est récemment risqué à publier ses œuvres principales .
Une des grande originalités d’Augustin Cochin, mort prématurément en 1916, c’est que tout en ayant un point de vue clairement contre-révolutionnaire, il étudie la Révolution avec une culture « moderne » : il est chartiste certes mais aussi philosophe et sociologue . Il n ’hésite pas à faire appel à Durkheim ou Lévy-Bruhl pour comprendre ce qui s’est passé. Bref un homme de droite intelligent, apte à croiser les cultures, ce qui n’est pas si fréquent. Comme son père, il s’est tenu à l’écart de l’Action française, peut-être parce qu’il était plus subtil que Maurras.
Fils d’un député de centre-droit de la IIIe République , vivant dans une honnête aisance , il était, avec beaucoup de conviction mais dans la discrétion, catholique. Il en est mort : de multiples blessures l’auraient fondé à rester chez lui comme le lui conseillait sa famille. Il demanda au chauffeur de son père de le conduire une dernière fois au front car il considérait qu’ il était du devoir de la bourgeoisie de partager jusqu’au bout les épreuves du peuple. Il n’en revint pas. Il fut incontestablement un chercheur , parcourant la Bourgogne avec son automobile – à une époque où il n’y avait évidemment pas de routes goudronnées - allant de village en village à la recherche des sources. Il était en même temps un philosophe de l’histoire.
Parmi ses idées les plus originales, le rôle de sociétés de pensée ( maçonniques ou pas) dans l’avènement et le développent de la Révolution française. Analyse sociologique d’abord : il montre comment ces sociétés qui se multiplièrent à partir de 1770, préparèrent – pour ne pas dire manipulèrent - les élections aux Etats-généraux, puis se trouvèrent être par épurations successives le moteur principal de l’accélération du processus révolutionnaire jusqu’à thermidor. Pour Cochin, comme pour Burke, 1794 est déjà en puissance dans 1789 et même 1788.
Analyse philosophique surtout . Cochin récuse toute théorie du complot ; il démonte le fonctionnement de ces sociétés , fondées au départ sur une libre discussion sans prétention à l’application pratique, ce qui les conduisit à l’abstraction théorique, et qui se trouvèrent amenées peu à peu à mettre ces idées en œuvre sans renoncer pour autant à leur abstraction. La résistance du réel , nécessairement complexe, aidant , les hommes de ces sociétés , la principale étant le Club des Jacobins, en tous les cas ceux qui n’avaient pas été jetés du train en route, furent conduits à imposer leurs schémas abstraits par la terreur.
Augustin Cochin n’ emploie pas le mot idéologie, mais c’est très précisément le processus idéologique qu’il décrit avec une rare sagacité quarante ans avant Hannah Arendt . En étudiant cet évènement emblématique que fut la Révolution française, Cochin nous initie à un de phénomènes les plus pervers qui aient marqué la modernité, phénomène dont nous ne sommes peut-être pas autant sortis que nous pensons.
Roland HUREAUX