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Roland HUREAUX

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 18:28

EN TERMINER AVEC LES ANNEES TRENTE

 

Paru dans le Blog de Front populaire, repris par Médiapart

03/11/2021

Depuis près d’un siècle, la politique occidentale est structurée par les clivages des années vingt et trente. Il faut que nous prenions enfin conscience de la mutation qui a marqué le monde depuis lors et que nous en tirions les conséquences.

Dans le contexte de l’entre-deux guerres, marqué par la menace de deux totalitarismes, le bolchevik d’un côté, le national-socialiste et accessoirement le fascisme[1] italien de l’autre, la raison, la modération, la liberté, la démocratie, elles, étaient au centre, compris assez largement, des vrais conservateurs aux socialistes non communistes.

De fait c’est la coalition des deux totalitarismes, formalisée par le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 qui déclencha la seconde guerre mondiale, même si Hitler l’aurait de toutes les façons fait. Les extrêmes représentaient alors une menace de guerre, ils étaient ouvertement ennemis de la démocratie, des libertés, de l’ordre international, indifférents à la morale, partisans du recours à a force.

Tenons provisoirement les quarante-cinq ans de guerre froide pour une parenthèse.

 

Dix guerres depuis 1990

 

Considérons à présent ce qui s’est passé au Proche-Orient depuis 1990, à partir de la première guerre du Golfe.  Au total une dizaine de guerres, en élargissant le théâtre des conflits aux Balkans et à l’Ukraine, en incluant les deux guerres du golfe, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie, le Yémen, les intervenions d’Israël à Gaza et au Liban. Dans tous ces cas, on cherche en vain où la main des Etats-Unis et de l’OTAN, désormais compétent sur terre entière, n’apparaisse pas pour susciter, encourager et armer les bellicistes.

On peut voir aussi la main de l’Occident dans d’autres confits très meurtriers, comme l’affrontement Iran-Irak des années quatre-vingt et celui du Rwanda, entièrement imputable aux Etats-Unis selon Boutros-Ghali, alors secrétaire général des Nations-unies, ou les confits du Soudan. L’actuelle guerre du Sahel est la retombée la guerre de Libye qu’Obama et Sarkozy ont déclenchée.

Il est certes difficile de tenir Bush fils (ou son « vice » [2], Dick Cheney) pour des modérés centristes ; ils prétendaient cependant défendre la démocratie contre des dictatures. Dans chacun des conflits qu’eux et les autres présidents américains (Bush père, Clinton, Obama) ont déclenchés, ce sont, en Europe occidentale, les modérés   centristes allant, en France d’une partie des républicains aux socialistes et aux écologistes qui applaudissent et souvent engagent nos troupes, au moins à titre d’auxiliaires. Ce sont au contraire les partis dits extrêmes qui critiquent ces engagements : Rassemblement national, gaullistes, communistes et autres forces d’extrême gauche.

Sans vouloir en faire la promotion, on ajoutera que ces partis ne présentent aucun des caractères des partis totalitaires des années trente : pas de refus de principe de la démocratie élective – bien au contraire, ils ne semblent exister que dans les semaines que précèdent les échéances électorales – pas de défilés dans les rues en uniforme, pas d’assassinats politiques.

Ils n’en font pas moins l’objet, en particulier ceux qui se positionnent à droite, sans que les autres en soient exempts, d’accusations récurrentes qui les assimilent aux partis bellicistes des années trente. Dès qu’ils ouvrent le la bouche pour contester le courant dominant, la réductio ad hitlerum surgit.

 

Le péril centriste

 

En tous les cas, ce n’est pas eux, mais les soi-disant modérés qui représentent aujourd’hui un risque pour la démocratie. Nous venons de le voir sur le plan des relations internationales. Tous  soutiennent   les institutions européennes  qui ont prétendu se fonder sur le  rejet des  nationalismes bellicistes  d’autrefois , mais qui n’en sont pas moins responsables ( ou co-responsables) aujourd’hui  des guerres des Balkans et de l’Ukraine,   qui ont encouragé les conflits  du  Proche-Orient  déclenchés par les  Etats-Unis    et  qui continuent d’y jouer un rôle criminel en prolongeant au-delà de toute raison les sanctions  qui frappent  les  populations  syriennes et yéménites  qui font mourir chaque jour de faim ou de maladie nombre   d’adultes et d‘enfants. Si elle n’est pas en pointe pour combattre, l’Europe institutionnelle l’est pour imposer des sanctions meurtrières.

Sur le front de l’Est, si tant est qu’il y ait un front, les Européens, au moins ceux de Bruxelles et de Strasbourg, font une surenchère démentielle contre la Russie. Les technocrates européens qui ignorent tout de l’histoire, identifient Poutine à Hitler, selon le schéma simpliste que nous avons évoqué.  Ce sont les « souverainistes » qui sont au contraire, partisans de la détente vis à vis de la Russie laquelle ne remet d’aucune manière le statu quo en cause[3].

Observons en parallèle l’évolution de la démocratie dite libérale aux Etats-Unis et en Europe de Ouest. Tous les pays ont, de manière étonnamment coordonnée, profité de la crise du Covid pour restreindre les libertés fondamentales, en théorie de manière provisoire   mais, au gré de beaucoup de scientifiques, très au-delà de ce qui était nécessaire.

Les politiques internationales (OMS, OCDE) et européennes prévalent de plus en plus sur les vœux des représentations nationales et la volonté de peuples[4].

 

Le virus de l’idéologie détruit le libéralisme  

 

Un des fondements de la démocratie est le pluralisme de la presse : or depuis quelques années s’est abattu sur le monde occidental   la chape de plomb de l’uniformité, d’une pensée unique qui relègue aux marges toutes les idées dissidentes. Parmi les nouveaux oligarques, beaucoup voudraient verrouiller l’internet où se sont réfugiées celles-ci.

Sur tous les plans, le libéralisme recule dans les pays qui prétendent en être les porte-drapeaux.   Certes nos rues   ne sont pas encore remplies de cohortes de gens en uniforme marchant au pas.  Mais les tribunaux poursuivent sans ménagement tout propos s’éloignant de la pensée unique. Pas de camps de travail mais le risque de la marginalisation professionnelle ou même de l’hôpital psychiatrique pour les dissidents[5].  Les Gafams, organismes multinationaux purement privés et jouissant chacun dans sa sphère d’un monopole, se permettent de censurer sur la terre entière les particuliers et même des chefs d’Etat qui ne sont pas en conformité avec leur idéologie.

Seul le suffrage universel, malgré une  presse monocolore, semblait laisser  une chance aux pensées hors normes  ; le système qui n’avait pu empêcher le Brexit se blinde : quel qu’en soit le résultat final,  inconnu à ce jour,  la dernière  élection présidentielle américaine  a montré   l’ampleur de la fraude à laquelle  n’ont pas hésité à recourir les tenants de la  pensée dominante, le parti démocrate en l’occurrence, le parti de Roosevelt, de Kennedy, de Carter et de tant d’autres défenseurs de la démocratie, aujourd’hui bien mise à mal.

Il s’est donc produit depuis les années trente, une véritable mutation, au sens génétique du terme : les ennemis de la paix et de la démocratie ne sont plus aux marges mais au centre de l’éventail politique, ils se disent libéraux mais ils ne le sont plus depuis longtemps, ils se disent démocrates mais ils n’hésitent pas à manipuler le suffrage   pour garantir, contre les peuples, la victoire de leurs idées.

Inséparable de ce recul de la démocratie se trouve l’impossibilité du débat. Il est remplacé, sous l’impulsion des forces du centre, par la véhémence des anathèmes, la volonté de priver l’adversaire de tout moyen d’expression, la disqualification a priori de ses arguments, le remplacement des désaccords politiques à l’ancienne par une guerre à mort où le manichéisme hystérique s’est substitué à l’échange d’arguments. Nous ne sommes pas loin des « vipères lubriques ».

Il y aurait beaucoup   à dire sur la mutation interne qu’a connue la pensée libérale au cours des dernières années :  elle s’est simplifiée - « il y a les fascistes et nous » et est devenue messianique « il y a un mouvement irrésistible des sociétés avancées, tous ceux qui le refusent sont voués aux « poubelles de l’histoire ». Simplification manichéenne. C’est à une véritable idéologisation du libéralisme que nous assistons. Comme toutes les idéologies, elle conduit à une (absence de) pensée rigide et mécanisée. Vipères, poubelles, la pensée pseudo-libérale nous rapproche du vocabulaire stalinien.

 

Patriotisme contre nationalisme idéologique

 

Par derrière, un   grand malentendu   explique cette évolution : la confusion entre, d’un côté, le prétendu nationalisme idéologique, en réalité universaliste qui n’était en réalité pas national du tout : un homme comme Hitler pensait à lui et à l’humanité, qu’il prétendait regénérer, mais très peu à l’Allemagne, et, de l’autre, le patriotisme simple et sain, celui de tous les groupes humains depuis le commencement de l’histoire.   Les idéologues, pour se justifier, refont l’histoire. Pour les idéologues néo-libéraux, les idéologies totalitaires sont à l’origine de toutes les guerres et elles ne sont que le prolongement du nationalisme, qu’ils amalgament à   tout forme de défense du peuple, de son identité, de ses intérêts nationaux, voire à tout souci de maintenir contre le   mondialisme une forme d’indépendance nationale. Résister au mondialisme, ou à sa version régionale, l’européisme, c’est être nazi !

Or cette vision des choses est fausse. La vraie fracture se situe entre, d’un côté, les idéologues, communistes ou nazis hier, néo-libéraux impérialistes aujourd’hui, mus d’abord par un projet mondial et, de l’autre, ceux qui veulent mener une politique normale, hors de tout projet eschatologique, soucieux de défendre d’abord leur indépendance et les intérêts de leur peuple. De nombreux exemples montrent que ceux qui défendent seulement les intérêts forcément cantonnés de leur peuple particulier, que l’on confond à dessein    avec des idéologues   conquérants sont les plus sûrs   garants de la paix : De Gaulle que, à l’instigation de l’idéologue mondialiste Jean Monnet, Roosevelt tenait pour un dictateur en puissance, a terminé deux guerres sans en commencer   aucune ; désavoué par un référendum, il s’est retiré du pouvoir. Alors que d’autres ont fait voter par le Parlement un traité européen refusé par le peuple.   Nixon et Reagan tenus pour fascisants par certains, n’ont déclenché aucune guerre ; Trump, non plus. Voyons au contraire en face le tragique palmarès de ses prédécesseurs, soi-disant libéraux, comme Obama[6], responsable de quatre guerres et de près d’un million de morts.

 

Une mutation capitale

 

Les mutations sont fréquentes dans la sémantique politique : les tenants de l’écologie et des langues régionales étaient d’extrême droite au début du XXe siècle, ils sont à l’extrême gauche aujourd’hui. De même les défenseurs des homosexuels (voir Proust). Le retour à la terre de Vichy est passé à l’écologisme le plus radical. En Russie, les nomenklaturistes communistes de 1985 sont devenus de oligarques ultralibéraux en 1995. Les « patriotes », à l’extrême pointe de la Révolution française, passent à l’extrême droite en 1900, puis à nouveau à gauche en 1945, puis encore à droite.  Le Front national, sigle communiste en 1945, passe pour fasciste aujourd’hui. Il est urgent que ceux qui aspirent à une politique normale, non idéologique, effectuent, dans leur tête la révolution copernicienne qui s’impose et comprennent enfin que la vraie menace pour la paix et pour la démocratie, vient aujourd’hui des centristes, prétendus libéraux.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

[1] Hannah Arendt dénie au régime de Mussolini le caractère d’un vrai régime totalitaire, ce qui aurait bien déçu l’intéressé.

[2] Le film d’Adam Mac Kay (2018) sur le vice-président Dick Cheney, The Vice.

[3] L’annexion de la Crimée en 2014 répondait au coup d’Etat de Kiev tendant à faire rentrer l’Ukraine, y compris la base historique russe de Sébastopol, dans le giron de l’OTAN

[5] Un médecin français radié et une avocate allemande enfermée récemment.

[6] Obama n’en a pas moins reçu le Prix Nobel de la Paix.

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