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Roland HUREAUX

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12 mars 2024 2 12 /03 /mars /2024 22:08

Publié parle Bulletin de la noblesse française

Le monde actuel rend plus que jamais nécessaire une forme particulière de courage : le courage intellectuel, une expression qui semble paradoxale dans la mesure où l’étymologie du mot courage le rapporte au cœur et non à l’intellect ; dans la mesure aussi où, dans son sens le plus commun, le courage est d’abord entendu au sens physique : le courage à la guerre qui implique que l’on ne craint pas la mort ou les blessures.

Le courage a aussi, depuis longtemps, revêtu un sens moral : le courage de faire ce que l’on croit être bien, en dépit des pressions, mais aussi de sa propre timidité, de sa paresse ou de ses addictions : le courage d’arrêter l’alcool, de suivre un régime, de se mettre à un travail difficile, de rompre une liaison illégitime. Ce peut-être aussi le courage de demander pardon quand on se sent en faute.

Le courage a souvent trait à l’exercice du commandement : le courage de prendre des décisions politiques ou économiques difficiles, de sanctionner les fautes quand il vous revient de le faire, de dire à son chef ce qu’il ne voudrait pas entendre.

Dans tous les cas que nous venons d’énoncer, le sujet sait où est le bien ; le problème est de passer à l’acte.

 

Renoncer à politique de l’autruche

 

Mais en d’autres cas, les choses ne sont pas si simples. Ne voulant pas faire ce que l’on doit, on cherchera de bons motifs de ne pas le faire. Et le plus souvent, on en trouvera !

Le manque de courage est ainsi enveloppé, dans le refus de voir ce qui est bien, ce qui est juste et surtout, nous y viendrons, ce qui est vrai.  Le manque de courage s’appuie sur l’illusion, le déni de telle ou telle réalité, déni qui donne des raisons de ne pas agir.

Cette démarche ne concerne pas que les questions personnelles. Elle se rencontre en politique. Pour donner un exemple classique, la venue au pouvoir d’Hitler a donné lieu à des discours justifiant l’inaction :  bien peu s’étant donné la peine de lire Mein Kampf, beaucoup se rassurèrent, y compris dans le monde politique français en disant : « il faut lui donner ses chances », « comme tous les extrémistes, il s’assagira », « il rentrera dans le rang, il finira par devenir raisonnable. » Nous sommes en un temps où les idéologues font toujours ce qu’ils disent !  Face à eux, la bonhommie radical-socialiste, incarnée en son temps par le philosophe Alain, n’est pas de mise.

Illusions au même moment sur l’armée française qui, forte de sa victoire de 1918, se tenait pour la plus forte du monde, sans qu’il y ait lieu de mettre à jour sa doctrine. Seuls quelques esprits lucides en voyaient les faiblesses, faiblesses qui se manifestèrent lors de l’offensive allemande de mai 1940.

Illusions sur la situation économique actuelle de la France de de l’Europe. Selon une loi économique bien connue, le gonflement de la masse monétaire ne pouvait que conduire un jour à la hausse de prix. Combien d’augures patentés ont nié cette loi et dit que nous entrions dans une époque nouvelle ou les causalités d’autrefois ne jouaient plus ?

Autre illusion : l’Europe occidentale a vécu pendant plus de cinquante ans   sur l’idée qu’elle pouvait cultiver les sentiments humanitaires, être exemplaire en matière d’environnement ou de droits de l’homme, réduire ses dépenses militaires, et, pour cela, se placer sous la protection d’une grande puissance extérieure en lui laissant faire l’effort de   défense, sans qu’un jour elle ait à le payer. Les événements récents ont montré combien cette posture était illusoire : ils laissent présager rien moins qu’une ruine ou à tout le moins un appauvrissement grave des Européens. Le monde a toujours appartenu aux grands prédateurs. Ceux qui ont renoncé à se défendre eux-mêmes ont fini par le payer. Robert Kagan l’a montré dans son livre La puissance et la faiblesse (2003)[1].    

Nous pourrions continuer longtemps cette énumération des illusions que l’on s’est faites en France et en Europe mais nous nous contentons, pour éviter toute polémique, de ce qui parait le moins contestable,

Comment ne pas rappeler cependant qu’un attentat de nature terroriste contre les gazoducs de la Baltique, en septembre 2022, a porté un coup fatal à l’économie allemande et, par contre-coup, à toute l’économie européenne, sans que les principales victimes, d’abord les Allemands puis les autres Européens, osent protester contre qui que ce soit. Certains, et des plus hauts placés, s’illusionnent sur la nature des responsables, ce qui leur donne un bon alibi pour rester passifs.

Il est vrai que la politique de l’autruche qui enfonce la tête dans le sable pour ne pas voir ce qui la gêne n’est pas chose nouvelle.

 

Le fait idéologique

 

Ce qui est nouveau, depuis au moins un siècle, c’est le rôle joué par le fait idéologique.

Idéologie : système de pensée politique partant d’une simplification outrancière de la réalité et qui conduit à une vision schématique des choses (« l’historien du monde n’est que l’histoire de la lutte des classes », ou « des races » ; « un Etat mondial   est seul même de mettre fin aux guerres » etc.) par laquelle on prétend faire avancer l’humanité. De ces idées simples la plupart des politiques sont tirées de manière abstraite : « Les idéologies sont des ismes qui déduisent out d’une seule prémisse » (Hannah Arendt)[2] , ce qui les conduit à se heurter au réel, sous la forme, par exemple, de l’inefficacité économique ou encore du rejet des peuples. Du heurt au déni, et donc au mensonge, il n’y a qu’un pas. L’idéologie conduit aussi à une vision manichéenne du mondé, à un rapport hystérique à l’égard de la moindre critique, de la moindre nuance et naturellement à l’égard de tout adversaire.  Hystérie, aveuglement, intolérance. Quel contraste entre les guerres de l’âge idéologique, celles que nous connaissons, et le temps d’Homère où, bien que l’auteur ait été grec, et que cette guerre ait été impitoyable, il   marque, à chaque page de l’Iliade, son respect pour l’adversaire troyen. Est-il nécessaire de dire que les guerres idéologiques sont les pires, les plus difficiles terminer et celles qui nous font courir, le progrès technique aidant, le plus de risques d’une catastrophe absolue ? 

Même en temps de paix, cette intolérance vis à vis des opinions contraires à l’idéologie dominante, fonde le règne du « politiquement correct », qui entraine le rétrécissement de la pensée dont tant de nos contemporains pâtissent.

Le mensonge est intrinsèque aux régimes idéologiques. Ils sont conduits à soutenir, hier, les progrès fantastiques de l’économie soviétique, aujourd’hui le caractère scientifique de la théorie du genre. Nous pourrions multiplier les exemples.

L’idéologie impose aussi d’immenses tabous. Le chute de la fécondité en Europe, considérablement aggravée depuis le covid, conduit, si on prolonge les courbes, à la disparition de la population européenne d’ici 200 ans et de celle du monde d’ici   400 ans.  Les autres continents en effet ne vont pas mieux, l’Afrique étant seulement 40 ans en retard sur la même pente.  Mais ceux qui nous gouvernent préfèrent se préoccuper du taux de carbone dans 800 ans !  Les idéologies dominantes, dont un écologisme déréglé ou un ultraféminisme dévoyé, ont fait de la natalité un sujet tabou.

Dire la vérité sur certains sujets critiques peut conduire à la répression policière. “Il vient toujours une heure dans l’histoire où celui qui ose dire que deux et deux font quatre est puni de mort. » (Alber Camus). Exagération ?  Une proposition de loi a été déposée récemment pour punir   ceux qui avanceraient des arguments critiques contre le réchauffement climatique.

Mais autant que la répression policière ou judicaire est redoutable la pression invisible des groupes, le risque de rejet ou de marginalisation qui font hésiter, non seulement à dire mais même à penser   autre chose que la majorité. Cela vaut dans tous les milieux y compris scientifiques. On craint même   de se compromettre, fut-ce en débattant avec ceux qui tiennent un discours de vérité. 

Pire : par peur de l’isolement ou des conséquences de la dissidence, sur sa sécurité ou sa carrière, ou par peur tout court, on se met à nier ce qu’au départ on croyait vrai, à se ranger, par facilité sociale mais aussi par confort psychologique du côté l’opinion majoritaire. Et cela sincèrement ! Le courage intellectuel n’est pas seulement celui de dire ce que l’on pense mais d’oser le penser.

L’idéologie prospère sur le fond de la docilité, de la crédulité, de l’esprit grégaire ; mais, à l’inverse, elle les nourrit.

L’invasion de plus en plus grande du champ politique par le mode de pensée idéologique, le conformisme, prospèrent    dans une société où se sont estompés le repères moraux, culturels, sociaux, qui faisaient la force des sociétés de jadis. Face aux pressions idéologiques, la culture et la morale restent le fondement de l’esprit citrique et donc de la liberté de penser.

 

Rétablir le sens du réel

 

Le déni de réalité auquel conduit le conformisme idéologique, nous amène à évoquer ce qui se trouve au fond de l’idéologie : une crise du sens du réel qui devient très dangereuse quand elle touche, non seulement quelques intellectuels mais aussi ceux qui ont le pouvoir de décision, ce qui est le cas aujourd’hui.

C’est pourquoi est plus que jamais nécessaire le courage intellectuel : maintenir que deux et deux font quatre quand plus personne n’ose le dire, voire le penser, autour de vous. Ce principe ne s’applique pas seulement aux vérités arithmétiques mais aussi à certains faits réels, ceux dont on peut être sûr mais qui sont occultés, ou encore les   certitudes auxquelles peut conduire un raisonnement sans faille.

Le monde ne se sauvera d’un nouvel âge sombre que s’il y a assez d’hommes et des femmes qui tiennent ferme sur ce qu’ils savent vrai, indépendamment des pressions des pouvoirs ou de leur environnement social.  La peur de s’isoler en arrête plus d’un mais aussi l’incertitude. Le courage intellectuel ne va qu’avec la certitude et la certitude suppose que l’on   connaisse bien son sujet, ce qui n’est pas donné à tous. Mais cette vertu    n’est pas forcément élitiste au sens ordinaire : on peut trouver chez des gens simples, peut-être parce qu’ils sont plus en rapport avec la dureté du réel, un bon sens, une droiture de la pensée que n’ont plus les « élites » politiques ou médiatiques idéologisées. Montesquieu évoquait « ces gens qui n’ont pas fait assez d’études pour raisonner de travers. » 

Mais on n’a pas à se prononcer sur tout. Et on ne peut pas mettre en danger sa vie à chaque instant. Dans l’univers totalitaire qui était le sien, Soljenitsyne avait proposé un principe de résistance simple : non pas dire toujours la vérité, mais ne jamais mentir, ne jamais être complice des mensonges officiels, ce qui est déjà difficile.

La crise du sens du réel est une crise de la vérité. Défendre la vérité chaque fois qu’on le peut, ce que nous appelons le courage intellectuel, c’est aussi défendre la liberté.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

[1] L’épouse de Robert Kagan, Victoria Nuland, dirige aujourd’hui la politique extérieure américaine.

[2] Hannah Arendt, Le système totalitaire, 1952.

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