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Roland HUREAUX

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12 mars 2024 2 12 /03 /mars /2024 22:07

 

Le  pape François vient de déclarer son intention de publier un nouveau document tendant à obliger les évêques à être plus stricts dans l’application de Traditionis custodes, un document de 2021  qui a  déjà suscité beaucoup de remous chez les croyants, surtout  en France,  avec  l’intention  avouée est de faire disparaitre l’usage du latin dans l’Eglise latine .

C’est l’occasion de revenir aux fondamentaux sur le rapport entre langue liturgique et langue commune aux différentes époques et dans les différentes religions. Ce rappel sera nécessairement sommaire.

 

A travers les âges

 

Nous ne savons pas exactement comment s’exprimaient les chamans de la préhistoire, ni les prêtres égyptiens. Ceux-ci ont connu très tôt l’écriture alphabétique mais ils l’ont gardée secrète pour n’user que des hiéroglyphes (littéralement écriture sainte) qu’eux seuls comprenaient. On peut supposer que le même ésotérisme fut pratiqué  dans la langue parlée.  

Dans le judaïsme ancien, avant la déploration à Babylone, il semble qu’il n’y ait eu qu’une seule langue tout à la fois sacrée et populaire, l’hébreu.

Mais avec les tribulations de la déportation, du retour d’exil, de la perte de l‘indépendance du peuple hébreu (réduit à trois tribus sur douze), s’opéra un dédoublement   qui dura jusqu’au  temps du Christ et même au-delà, entre la  langue du Temple qui continue d’ être l’hébreu et la  langue populaire devenue l’araméen . C’est en hébreu que  furent mis par écrit les textes bibliques, le même hébreu que du temps du Christ.

Avec l’avènement du christianisme, il est probable que la langue liturgique ait été à nouveau la langue quotidienne d’une partie des premiers croyants, le grec en Orient, le latin en Occident. Cela dura quatre ou cinq siècles. Au bout de ce temps, aucun changement officiel ne fut décrété , mais une dégradation progressive du latin commun  rendit progressivement impossible au peuple de comprendre la liturgie qui restait en  latin classique tandis qu’après les invasions barbares, une partie de l’Europe, en voie de christianisation se mit à parler  des langues  germaniques.   Au demeurant, tout au long du Moyen âge et jusqu’au   XIXe siècle une grande partie de population ignorait le français, l’espagnol, l’italien , l‘anglais, l‘allemand et ne comprenait  que son patois local. Comme aujourd’hui dans les pays francophones d’Afrique, la liturgie en français n’est pas nécessairement comprise de peuples qui continuent à parler  leur langue tribale.

L’évolution fut moins marquée en milieu grec mais jusqu’à la fin du régime militaire en 1974 , l’administration fonctionnait en grec classique tandis que le peuple parlait en grec démotique ( c’est-à-dire populaire) , lui aussi produit d’une évolution. Au Proche-Orient, plusieurs églises continuent d’utiliser l’araméen, langue populaire du temps du Christ.

Le Concile  Vatican II a rendu possible  en Occident l’unité de la langue liturgique et de la langue commune, disparue en Europe depuis au moins 1500 ans.

L’Eglise orthodoxe n’a pas suivi et, utilise , en Grèce, le grec ancien  sous sa forme byzantine, et en   Russie,  le vieux slavon. Curiosité : la Roumanie où la langue liturgique est aussi le vieux slavon alors qu’il s’agit   d’un pays latin dont la langue vernaculaire est latine.

 

Le cas de l’islam

 

Si  l’on regarde du côté des musulmans, seule une minorité est arabophone mais l’arabe commun que parle celle-ci    n‘est pas l‘arabe classique du Coran . Dans le reste du monde musulman, qui comprend d’immenses pays comme la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Indonésie personne ne sait l’arabe qui ne sert qu’à la prière .  Si au moment de la Réforme, la Bible fut parfois interdite de lecture au peuple , il a toujours été permis de la traduire. Pas le Coran qui est réputé  intraduisible. En terre d‘islam, le divorce est donc total entre la langue liturgique et la langue commune, ce qui ne semble enlever rien au dynamisme de cette religion.

Au total il peut que, dans l’histoire, et même aujourd’hui, la dissociation de la langue liturgique et de la langue vernaculaire soit plutôt la règle que l’exception.

Comme o le voit, il n’y a pas eu dans le passé , dans aucune religion, avant le concile Vatican II, de passage  brutal d’une langue à l’autre, les différences étant apparues progressivement aux cours des siècles, Ce qui explique le traumatisme causé par l’application des réformes du concile   – nous disons bien l’application car aucun de ses articles ne proscrit le latin, il se contente d’autoriser les  langues  vernaculaires.

La coexistence de la liturgie en latin et en langue vulgaire dans l’Europe occidentale, régularisée par le motu proprio de Benoit XVI,  pose certes un problème à tous ceux qui considèrent que l’unité de la liturgie est le signe de l’unité de l’Eglise, du troupeau derrière son pasteur.  Quoique leurs effectifs se soient mieux maintenus, les « tradis » ne représentent , même en France, qu’une petite minorité des pratiquants mais environ 40 % des vocations sacerdotales – sans compter les nombreux séminaristes issus de familles traditionalistes qui vont dans les séminaires conciliaires pour trouver une affectation.

 

Le chant grégorien, école d’humilité

On confond souvent la question de la langue et celle du chant. Il est difficile de dire si une messe basse en latin incite davantage à prier qu’une messe basse en français. On peut même penser que  le Je vous salue Marie est plus fluide en français qu’en latin – cas exceptionnel sans doute. Mais le latin, c’est aussi et peut-être d’abord le grégorien, un de grands monuments de l’héritage occidental.

Le grégorien résulte de siècles de distillation. Le problème du français et des autres langues vernaculaires, c’est qu’ils n’ont  pas eu le temps en un demi-siècle d’effectuer le lent processus  d’adaptation de la langue et de la musique.  Le chant  latin ,   issu du chant de la synagogue, puis du chant  byzantin,  effectua ce travail   sur tout un  millénaire. Il  se fit, en Occident, d’abord dans les monastères. Ceux  qui aiment le grégorien ressentent  l’extrême humilité qui l’  inspire . Les héritiers du Concile, ont beaucoup  critiqué  le « triomphalisme » supposé de la liturgie tout en  insistant sur son côté communautaire. Mais n’est-ce pas le chant communautaire qui fait le triomphalisme ? Dans la liturgie traditionnelle en grégorien, le fidèle s’abolit complètement dans une prière entièrement tournée vers Dieu. Dès lors qu’on a dit que  la messe était aussi, voire d’abord,  la réunion d’une communauté, la tentation était  grande pour celle-ci de se célébrer elle-même. Cette tentation apparait déjà dans  les  cantates de Bach. Aujourd’hui, des cantiques assez habituels comme Peuple de Dieu, cité de l’Emmanuel  ou Chrétiens, chantons le Dieu vainqueur,  en témoignent assez.

La musique est un art puissant  qui, dans les cas extrêmes  exerce une sorte d’effet hypnotique. Même s’il ne se concentre pas sur le texte, celui qui entend le grégorien est spontanément plongé dans l’ambiance du sacré. Mais le premier compositeur du dimanche n’atteint pas ce niveau.

 

Quelle unité ?

 

On peut rêver qu’un travail d’unification des liturgies se fasse comme il s’est fait dans l’Empire carolingien   par le rapprochement des rites romain, ambrosien, mozarabe , bénéventain etc.  Rapprochement qui n’inclut pas les Eglises d’Orient, encore rattachées à Rome. Mais en Occident, la tache était plus facile : la langue latine restait commune et les rites à rapprocher peu différents. L’Eglise et l’Empire d’Occident étaient alors aux faîte de leur puissance.  Il n’est pas sûr qu’un tel rapprochement puisse s’effectuer en temps de crise sans entraîner de graves dégâts.

L’unité ne se décrète pas. Le motu proprio de Benoît XVI avait fait beaucoup pour apaiser l’Eglise de France. Traditionis custodes, texte si mal nommé a ravivé les plaies . Il est probable que s’il est rigoureusement mis en application,  beaucoup de fidèles des communautés Ecclesia Dei ( ceux qui assistent aux messes en latin sans être schismatiques , préféreront , en ces temps où la vertu d’obéissance se perd , dans l’Eglise comme ailleurs, rejoindre les lefébvristes.  Quant aux catholiques conciliaires, beaucoup  sont si choqués par le climat d’intolérance , si étranger au tempérament français, qui s’instaure qu’ils  sympathisent avec les dissidents.

 

Roland HUREAUX  

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