LA DIPLOMATIE DE BENOIT XVI
Exerçant sa haute charge entre deux papes à la grande visibilité politique, Jean-Paul II et François, Benoît XVI n’a pas cherché à briller par ses prises de position dans le champ diplomatique.
C’était déjà beaucoup qu’il ait été le plus grand théologien de tous les pontifes qui se sont succédés depuis Pierre (en concurrence avec le seul Grégoire le Grand), et un homme profondément spirituel.
Est-il exagéré de dire qu’il a voulu être d’abord le chef de l’Eglise avant d’être celui d’une puissance temporelle, ce que le Saint-Siège, malgré la faiblesse de ses moyens, parmi lesquels le statut d’Etat indépendant, est aussi ?
Cela ne signifie aucune rupture par rapport à son prédécesseur et ami Jean Paul II dont il fut, comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, un très proche collaborateur de 1981 à 2005, soit 24 ans. En un temps, il est vrai sensiblement plus court (2005-2013), il visita 25 pays, ce qui n’est pas si mal – contre 127 pour Jean-Paul II. Aucun de ses voyages n’eut l’effet subversif de certaines visites de Jean-Paul II qui précipitèrent des changement politiques importants en Pologne, au Chili, aux Philippines.
L’Europe au centre
L’impression reste, à tort ou à raison, qu’il se concentra un peu plus que Jean Paul II sur l’Europe.
Le plus important est peut-être qu’il ait été allemand. Son élection fut accueillie de tous bords avec enthousiasme par une Allemagne pour qui elle représentait, après les crimes que l’on sait, une forme de réhabilitation. Bien entendu, on fouilla dans son, passé pour savoir s’il n’y avait pas eu chez cet homme, né en 1927, quelque compromission avec les nazis. En vain. Le journal Libération consacra une laborieuse enquête pour savoir s’il avait été nazi, finissant par conclure que non : avec moins de parti pris, le journal aurait pu trouver la réponse plus vite ! Poser la question, c’était déjà semer le doute.
Les JMJ de Cologne suivirent de peu son élection. Sur un terrain qui lui était connu, il montra une capacité de parler aux foules qui supportait la comparaison avec celle de son prédécesseur. Il présida aussi ceux de Sydney et de Madrid.
Allemand, il appartenait à la fine fleur des intellectuels de ce pays, membre de sa prestigieuse Université. Que ce théologien que l’on disait conservateur ait été capable d’un dialogue public de haut niveau avec le philosophe de référence de sa génération, l’athée Jürgen Habermas, contribua fort à la crédibilité de l’intelligence chrétienne. Rien qui allait moins bien à cet homme doux que le qualificatif de panzer cardinal dont l’affublèrent les chrétiens prétendus progressistes
A côté de l’Allemagne, notons un certain faible pour la cuture française qu’il sut si admirablement célébrer aux Bernardins. Membre correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques, il connaissait intimement notre culture, particulièrement les grands laïcs catholiques du XXe siècle : Péguy, Bernanos, Maritain.
Plus que son cosmopolite prédécesseur, celui que Bernard Lecomte appelle le « dernier pape européen» a semblé marquer une préférence, mais nullement une exclusivité, pour l’Europe. 16 de ses 25 visites pastorales, (sans compter les innombrables visites en Italie), eurent pour destination notre continent. Il fut sans doute un peu plus favorable à la construction européenne, dont il mesurait cependant les faiblesses notamment sur le plan éthique, que Jean Paul II qui ne manquait pas une occasion de rappeler que si le Saint-Siège était favorable à toutes les formes de coopération en Europe, il ne lui appartenait pas de dire quel en était le cadre institutionnel le plus adapté. Rien de comparable chez le Polonais et l’Allemand à l’appui sans équivoque que le pape argentin François, lauréat du prix Charlemagne, devait apporter à l’Europe institutionnelle.
Dans plusieurs discours remarquables, en France aux Bernardins, en Allemagne à Ratisbonne et à Berlin, à Londres à l’occasion de la béatification de John Newman en 2010, bel hommage rendu à la fois à l’intelligence et à l’Angleterre, il ne manqua pas d’expliciter sa conception de l’Europe qui était d’abord pour lui une cuture, et une culture chrétienne. Il laissa même échapper une fois, célébrant la venue de saint Paul à Thessalonique, que l’Europe était un continent privilégié dans le plan de Dieu, le monde grec qui la préfigurait venant dans l’évangélisation immédiatement après le monde juif. Tout à fait conscient et désolé du déclin spirituel et moral de ce continent, il ne manquait pas de rappeler que si l’Europe était infidèle aux valeurs chrétiennes et à la loi naturelle, notamment par rapport à l’avortement, elle perdrait ce qu’elle tenait pour ses valeurs propres : primauté du droit, liberté et démocratie. C’est peut-être déjà fait.
Une volonté de réconciliation sur tous les continents
Sur tous les terrains, il voulut être un homme de réconciliation, se souvenant de son prédécesseur Benoît XV qui avait tenté une médiation pour abréger les souffrances de la Première guerre mondiale.
Il maintint, quoi qu’en en réduisant l’importance, la rencontre interreligieuse de Sienne où certains voient à tort une marque de relativisme.
A l’intérieur de l’Eglise, le motu proprio Summorum Pontificum (2007), aujourd’hui fâcheusement remis en cause, assura la coexistence pacifique des différents rites, particulièrement en France.
Même état d’esprit d’ouverture sur des dossiers difficiles comme celui de la Chine où il écrivit le 27 mai 2007 une lettre aux catholiques chinois, leur demandant de se rapprocher de l’Eglise officielle.
Il tenta aussi des ouvertures en direction de l’orthodoxie. Dès son élection, il remplaça au siège de délégué apostolique auprès de catholiques de Russie un Polonais par un Italien. C’est, parait-il, à la demande des orthodoxes qu’il renonça à son titre de patriarche d’Occident. Sans connaitre tous les dessous de l’affaire, il nous semble que, sur le plan œcuménique, en gardant ce titre, le pape pouvait se présenter, dans certaines circonstances, comme un patriarche parmi les autres. En l’abrogeant, ne se place-t-il pas au-dessus des autres, une position qui est loin de lui être reconnue par les Orientaux ?
Le monde juif aurait pu accueillir mal la nomination d’un Allemand. Ses travaux érudits étaient cependant assez connus du milieu rabbinique pour qu’on sache qu’il avait une connaissance très fine et un immense respect du judaïsme. Il se rendit à Auschwitz et, comme Jean-Paul II, à la Synagogue de Rome ; il ne fut pas non plus avare de gestes appréciés lors de son voyage en Terre Sainte.
Il reste que sur ces questions délicates, Chine, orthodoxie, relations avec le judaïsme, Benoit XVI fit peu bouger les lignes, sauf à la marge. Il est vrai que son esprit rigoureux n’était pas prêt à certaines concessions sur les principes dont son successeur ne s’embarrassa pas, notamment vis-à-vis de la Chine.
Bien qu’animé d’un esprit d’ouverture, le pape suscita quelques scandales pas forcément au détriment de l ’Eglise.
Dans son discours de Ratisbonne du 12 septembre 2006, exaltant la coexistence pacifique des religions et rappelant qu’on ne convertit pas par la force, il évoqua ce qu’un empereur byzantin, Manuel II Paléologue dit dans un dialogue avec un savant musulman, laissant penser que le christianisme était plus tolérant que l’islam. Justifiée ou pas, cette citation provoqua un tollé dans le monde musulman que, très vite, Benoit XVI s’attacha à apaiser, notamment en allant prier le 1er décembre 2006 avec des dignitaires musulmans, lors d’un voyage à Istamboul, à la Mosquée bleue, ce qui lui fut reproché cette fois dans le milieu catholique. Il reçut aussi le roi d’Arabie Fayçal au Vatican, tenu par beaucoup de musulmans pour leur chef, visite sans précédent.
Le second scandale précéda sa visite au Bénin et en Angola (novembre 2011), à la rencontre des épiscopats africains, la seule visite qu’il ait faite à ce continent. Il fut rapporté par la presse qu’à l’aller, il aurait dit dans l’avion que le préservatif n’était pas la solution miracle contre le sida, qu’il fallait aussi une approche plus éducative. Tollé médiatique en Occident, même dans l’Eglise, contre ce pape réactionnaire, criminel puisqu’il allait favoriser l’expansion de la maladie. Ce tollé eut l’effet inverse de celui qui était attendu : instinctivement les Africains sympathisèrent avec le pape auquel s’en prenait tout ce qu’ils honnissaient dans la gauche progressiste occidentale. Alors que rien ne prédestinait au départ un homme si réservé à trouver un langage commun avec l’exubérante Afrique, son voyage fut un grand succès.
Il faut dire que les Africains détestent que les Occidentaux se mêlent de leurs problèmes sexuels ou démographiques. Les campagnes répétées pour le préservatif ou, plus récemment, pour les mariages homosexuels ont suscité une haine que nous n’imaginons pas dans les populations africaines. Ce tollé médiatique suffit à faire acclamer Benoît XVI comme « leur pape » par les Africains. Il n’est pas sûr que, malgré ses ambitions « populistes », son successeur soit si bien perçu sur ce continent.
On ne saurait tenir ce trop bref résumé de ce que fut l’activité internationale de Benoit XVI sans évoquer sa démission le 23 février 2013. Elle eut lieu juste avant les JMJ de Rio de Janeiro qu’il ne se sentait pas la force physique de mener à bien. Est-il vrai que le Vatican venait d’être exclu du réseau interbancaire Swift ? En quoi cet homme plutôt favorable à la vision occidentale aurait-il déplu à la gouvernance mondiale ? Nous laissons chacun à ses spéculations sur ce sujet délicat.
Son décès récent a en tous les cas montré la profondeur du rayonnement spirituel et intellectuel de ce pape si discret et si dénigré de son vivant pour sa rigueur doctrinale jugée par certains excessive.
Roland HUREAUX