CONTINUITES NATIONALES ET IDEOLOGIE
Parmi les arguments que l’on oppose à la puissance de l’idéologie, et qui cachent une partie de sa réalité, se trouve celui des permanences nationales Les continuité nationales existent, certes, mais elles n’expliquent pas tout.
En lisant la Germania de Tacite, on trouve bien des caractères des Allemands d’aujourd’hui[1]. Mais pendant six siècles (XIIIe – XIXe siècles), l’Allemagne du Saint Empire agonisant fut considérée comme le lieu du désordre par excellence. Dans l’Angleterre « libérale » du XVIIIe siècle, on pendait à tour de bras, très peu dans la France monarchique. Les Italiens passent pour être le contraire des Romains. Et que dire des Français passés du statut de peuple de l’absolutisme à celui de fils de la Révolution ? De la France, fille aînée de l’Eglise devenue le pays des Lumières ?
Il y a certes des constantes en Russie, à commencer par son énormité géographique qui n’apparait qu’avec la conquête de la Sibérie à partir du XVIIIe siècle. La dispersion de la population qui en résulte détermine certains traits du caractère russe : comme on ne s’y marche pas sur les pieds, les mœurs y sont sans doute moins « polies » au sens physique que dans les pays surpeuplés d’Extrême-Orient. A la différence du Japon, on ne s’y taille pas la barbe tous les jours !
Mais à trop tirer sur la corde des permanences nationales, on est vite amené à proférer cette énormité que Poutine, c’est Staline.
Staline : 20 ou 30 millions de personnes massacrées ou affamées (en dehors des victimes de la guerre 1941-1945), s’ajoutant aux 20 millions de victimes de Lénine.
Poutine : on l’accuse de cinq empoisonnements, dont quatre ratés. Plus l’assassinat d’une journaliste en 2004, la pathétique Anna Politkovskaya dont la vraie cause reste incertaine. Décidément l’ex-KGB a perdu la main. Il y aurait beoap pls de cirmes du régime que ceux que l’on voit mais aucun des 2000 2000 journalistes occidentaux en poste à Moscou, presque tous hostiles à Poutinene donnet d enoms.
Les observateurs avaient commis la même erreur en qualifiant Staline de « nouveau tsar ». Certes, quand on lit Custine, on peut voir quelques analogies entre le régime tsariste en 1839[2] et le régime policier soviétique. Pourtant le régime tsariste n’a exécuté de 1826 jusqu’en 1905 que 525 personnes[3]. Principalement à la suite de l’insurrection décembriste de 1825 et de la vague terroriste des années 1860-1880. A comparer avec les chiffres relatifs au régime soviétique cités plus haut. Les tsars du XIXe siècle ne pratiquaient pas non plus les assassinats extra-judiciaires à la différence du régime soviétique et de quelques démocraties « libérales » d’aujourd’hui.
Pourquoi donc commet-on de telles erreurs d’appréciation ?
Il y a une raison à ces confusions : l’ignorance du fait idéologique.
Le fait idéologique
Le régime soviétique, comme le régime maoïste ou en plus petit celui de Pol Pot, se réclamaient de la doctrine marxiste-léniniste, révolutionnaire et athée. Ils massacraient.
Les tsars du XIXe siècle, comme Poutine, comme les gouvernements occidentaux quand ils étaient au mieux de leur forme démocratique, n’appliquaient pas une idéologie révolutionnaire ; ils ne massacraient pas.
Il n’y a d’ailleurs pas que les massacres : l’idéologie entraine toute une série de transformations sociales nocives, dont la suppression de toutes les libertés et l’inefficacité économique que l’on ne trouve pas dans les régimes que nous qualifierons d’« ordinaires », même dictatoriaux[4], lesquels ont des défauts mais ne sombrent jamais dans de telles extrémités.
La même ignorance du fait idéologique conduit à se méprendre sur l’Allemagne : non, l’Allemagne du IIIe Reich, celle d’Hitler, n’est pas celle du Ier Reich, le Saint empire romain germanique, mort de son manque d’autorité, ni même celle du IIe, celle de Bismarck. Qui reconnaitra le grand pays militariste qu’elle a été, au moins dans sa partie prussienne, dans la puissance amollie qui n’ose même pas protester quand un Etat allié fait sauter le gazoduc Nord Stream II, un attentat terroriste qui signifie ni plus ni moins que la fin de puissance économique allemande ?
Qu’est devenue l’Amérique d’antan ?
L’ignirance del l’idéologie conduit aussi à se méprendre sur ce que sont aujourd’hui les Etats-Unis. Dans le conflit avec l’Ukraine, les poncifs fleurissent : le pays de la Liberté, le camp du libéralisme, des droits de l’homme en guerre contre une dictature asiate incorrigible. Malgré tout ce qu’on sait (l’esclavage, le massacre des Indiens, les inégalités considérables, la violence endémique,) cela a été un peu vrai au XXe siècle. Les Américains qui débarquèrent en Normandie n’ont pas apporté seulement le chewing-gum et le Journal de Mickey, ils apportaient aussi un vent de liberté et toute une série de valeurs politiques authentiques : une constitution immuable et respectée, la liberté d’expression garantie par le fameux Premier amendement, un vrai fédéralisme etc.
Cela fut aussi vrai durant la guerre froide où les Etats-Unis coalisèrent les efforts occidentaux en vue de contenir la poussée soviétique – et chinoise - , animée, elle, d’une vraie idéologie mondialiste et donc conquérante.
Mais qui peut reconnaitre ces Etats-Unis là dans ce qu’ils sont devenus aujourd’hui :
- Ils n’avaient pas d’armée en 1939 ; ils ont, de loin, la première armée du monde et représentent 40 % des dépenses militaires de la planète ;
- Ils restaient chez eux, ils sont 823 bases dans le monde. ;
- Ils avaient la plus puissante industrie de biens de consommation qui soit ; elle a presque disparu pour laisser la place à un complexe militaro-industriel surpuissant d’un côté, aux importations chinoises de l’autre. Athènes est devenue Sparte ;
- L’Etat intervenait peu dans l’économie ; elle est dirigée aujourd’hui par le Pentagone, en fonction de considérations militaires ;
- L’expression était libre et pluraliste ; aujourd’hui, tous les média ont la même idéologie, post-libérale, ultra-libertaire et impérialiste - et démocrate ;
- Des entreprises privées comme les gafams[5] imposent une censure idéologique sur la terre entière ;
- Face à la toute-puissance du woke[6], la liberté de parole a disparu des universités, des écoles, des médias, de l’administration, des entreprises et bientôt et de la rue ;
- Ce pays a toujours fait la guerre en défensive de 1941 à 1990 ; il est au contraire à l’initiative de plusieurs guerres offensives depuis 1990 ;
- Il était le pays de la moralité puritaine ; il est devenu celui de toutes les excentricités sexuelles ; le Hollywood d’aujourd‘hui est bien différent de celui des années cinquante ;
- Sa vie politique était fondée sur le consensus constitutionnel. Il est quasi en guerre civile ; les vaincus des élections n’acceptent plus leur défaite et font tout pour saboter l’action de ceux qui ont été élus ;
- Les élections se déroulent dans un climat de fraude presque généralisé qui laisse planer le doute sur l’honnêteté des résultats ;
- Des manipulateurs d’opinion, formés dans les meilleures universités, sont dans les cercles du pouvoir à Washington, actifs aux Etats-Unis et à l’étranger ;
- Les 17 services de renseignement (et d’influence) publics, CIA en tête, et les innombrables services privés emploient plus d’agents que le KGB au temps du communisme.
- Des prisonniers sont retenus, hors de tout cadre légal et hors territoire à Guantanamo ; que dirait-on si la Russie en faisait autant ?
- Ce n’est un secret pour personne que, au moins sous Obama, le président ordonnait souvent des « exécutions » extra-judiciaires, en principe hors du territoire national[7].
La venue au pouvoir sous les présidents Clinton, Bush fils et Obama de « néo-conservateurs » qui ne sont conservateurs que par le culte qu’ils vouent à la force[8], la multiplication des guerres extérieures, dont l’Ukraine est la dernière, expriment la mutation de la démocratie américaine en un empire idéologique, désireux comme tout ce qui est idéologique de répandre son modèle, tenu pour le dernier (Fukuyama) et le meilleur dans le monde. L’alliance du très grand capital (Egon Musk excepté) et de toutes sortes de minorités activistes plus ou moins marxisantes (Black lives matter, LGBT, ultraféministes, fanatiques du climat, transhumanistes etc.) qui exercent une impitoyable police idéologique font des Etats-Unis un autre pays. Il n’y a certes pas de goulag, mais la presse a appelé le patronat à licencier les salariés ayant voté Trump en 2020, ce qui, dans ce pays où les amortisseurs sociaux sont faibles, signifie les condamner à mourir de faim. Comme les soignants non-vaccinés en France.
C’est à ces Etats-Unis-là que nous sommes confrontés aujourd’hui. Un bel homme, d’allure hollywoodienne, qu’on le veuille ou non, n’est plus aussi beau quand il a la lèpre.
A l’inverse, les pays ayant été touchés par la lèpre idéologique et qui en sont revenus, comme tous les anciens pays communistes, retournent, au moins en partie, à leurs caractères traditionnels. C’est peut-être, quoi qu’on dise, ce qui arrive à la Russie. Le communisme n’était pas un avatar du traditionnel autoritarisme russe, comme le socialisme national n’était pas, quoi qu’en aient pensé alors les Français, un avatar du militarisme prussien.
Pour la Russie et certains pays d’Europe de l’Est que tant d’Occidentaux ont du mal à comprendre, le meilleur vaccin contre la dérive idéologique est le souvenir des 73 ans de communisme qu’ils ont vécu. Une expérience de l’idéologie qui n’est pas derrière nous, ni aux Etats-Unis, ni en Europe occidentale. Si nous ne la comprenons pas, c’est peut-être que nous sommes en plein dedans.
Roland HUREAUX
[1] Par exemple le goût de se mettre nus.
[2] Custine, La Russie en 1839, 10-18.
[3] https://www.google.com/search?client=firefoxd&q=executions+in+tsarist+russia . Subsequently, under the Romanovs, mainly state criminals who made attempts on the life of the Emperor or threatened state power were executed : they included the pretender Yemelyan Pugachev, five leaders of the Decembrist Revolt, and the revolutionaries who assassinated Alexander II. From 1826 to 1905, only 525 people were executed in Russia. However, the 20th century put an end to such humanism.
[3] Pour comprendre la différence entre régimes idéologiques, voire totalitaires et les simples dictatures, voir Hannah Arendt, Le système totalitaire. Points-Seuil.
[5] Expression qui désigne les grandes entreprises de la toile : Google, Apple et Amazon, Facebook, Microsoft,
[6] Expression créée par les minorités activistes précitées qui pourrait se traduire par éveiller. Eveillé à quoi ? Aux visions idéologiques radicales que ces minorités veulent imposer.
[7] François Hollande s’est vanté de le faire aussi.
[8] On peut au demeurant douter que la force soit une valeur conservatrice .