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Roland HUREAUX

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4 octobre 2023 3 04 /10 /octobre /2023 21:02

CONTINUITES NATIONALES ET IDEOLOGIE

Parmi les arguments  que l’on oppose  à la puissance  de l’idéologie,  et qui cachent une partie de sa réalité, se  trouve celui des permanences nationales Les continuité nationales existent, certes,  mais  elles  n’expliquent pas tout.

En lisant la Germania de Tacite, on trouve bien des caractères des Allemands d’aujourd’hui[1]. Mais pendant six siècles (XIIIe – XIXe siècles), l’Allemagne du Saint Empire agonisant fut considérée comme le lieu du désordre par excellence. Dans l’Angleterre « libérale » du XVIIIe siècle, on pendait à tour de bras, très peu dans la France monarchique. Les Italiens passent pour être le contraire des Romains. Et que dire des Français passés du statut de peuple de l’absolutisme à celui de fils de la Révolution ? De la France, fille aînée de l’Eglise devenue le pays des Lumières ?

Il y a certes des constantes en Russie, à commencer par son énormité géographique qui n’apparait qu’avec la conquête de la Sibérie à partir du XVIIIe siècle. La dispersion de la population qui en résulte détermine certains traits du caractère russe : comme on ne s’y marche pas sur les pieds, les mœurs y sont sans doute moins « polies » au sens physique que dans les pays surpeuplés d’Extrême-Orient.  A la différence du Japon, on ne s’y taille pas la barbe tous les jours !

Mais à trop tirer sur la corde des permanences nationales, on est vite amené à proférer cette énormité que Poutine, c’est Staline.  

Staline : 20 ou 30 millions de personnes massacrées ou affamées (en dehors des victimes de la  guerre 1941-1945), s’ajoutant aux 20 millions de victimes de Lénine.  

Poutine : on l’accuse de cinq empoisonnements, dont quatre ratés. Plus l’assassinat d’une journaliste en 2004, la pathétique Anna Politkovskaya dont la vraie cause reste   incertaine.  Décidément l’ex-KGB a perdu la main. Il y aurait beoap pls de cirmes du régime que  ceux que l’on voit mais aucun des 2000    2000 journalistes occidentaux en poste à Moscou, presque tous hostiles à Poutinene donnet d enoms.   

Les observateurs avaient commis la même erreur en qualifiant Staline de « nouveau tsar ».  Certes, quand on lit Custine, on peut voir quelques analogies entre le régime tsariste en 1839[2] et le régime policier soviétique. Pourtant le régime tsariste n’a exécuté de 1826 jusqu’en 1905 que 525 personnes[3]. Principalement à la suite de l’insurrection décembriste de 1825 et de la vague terroriste des années 1860-1880. A comparer avec les chiffres relatifs au régime soviétique cités plus haut. Les tsars du XIXe siècle ne pratiquaient pas non plus les assassinats extra-judiciaires à la différence du régime soviétique et de quelques démocraties « libérales » d’aujourd’hui.

Pourquoi donc commet-on de telles erreurs d’appréciation ?

Il y a une raison à ces confusions : l’ignorance du fait idéologique.

 

Le fait idéologique

 

Le régime soviétique, comme le régime maoïste ou en plus petit celui de Pol Pot, se réclamaient de la doctrine marxiste-léniniste, révolutionnaire et athée. Ils massacraient.

Les tsars du XIXe siècle, comme Poutine, comme les gouvernements occidentaux quand ils étaient au mieux de leur forme démocratique, n’appliquaient pas une idéologie révolutionnaire ; ils ne massacraient pas.

Il n’y a d’ailleurs pas que les massacres : l’idéologie entraine toute une série de transformations sociales nocives, dont la suppression de toutes les libertés et l’inefficacité économique que l’on ne trouve pas dans les régimes que nous qualifierons d’« ordinaires », même dictatoriaux[4], lesquels ont des défauts mais ne sombrent jamais dans de telles extrémités.

La même ignorance du fait idéologique conduit à se méprendre sur l’Allemagne : non, l’Allemagne du IIIe Reich, celle d’Hitler, n’est pas celle du Ier Reich, le Saint empire romain germanique, mort de son manque d’autorité, ni même celle du IIe, celle de Bismarck.  Qui reconnaitra le grand pays militariste qu’elle a été, au moins dans sa partie prussienne, dans la puissance amollie qui n’ose même pas protester quand un Etat allié fait sauter le gazoduc Nord Stream II, un attentat terroriste qui signifie ni plus ni moins que la fin de puissance économique allemande ?

 

Qu’est devenue l’Amérique d’antan ?

 

L’ignirance del l’idéologie  conduit aussi  à se méprendre sur ce que sont aujourd’hui les Etats-Unis. Dans le conflit avec l’Ukraine, les poncifs fleurissent : le pays de la Liberté, le camp du libéralisme, des droits de l’homme en guerre contre une dictature asiate incorrigible. Malgré tout ce qu’on sait (l’esclavage, le massacre des Indiens, les inégalités considérables, la violence endémique,) cela a été un peu vrai au XXe siècle. Les Américains qui débarquèrent en Normandie n’ont pas apporté seulement le chewing-gum et le Journal de Mickey, ils apportaient aussi un vent de liberté et toute une série de valeurs politiques authentiques : une constitution immuable et respectée, la liberté d’expression garantie par le fameux Premier amendement, un vrai fédéralisme etc.

Cela fut aussi vrai durant la guerre froide où les Etats-Unis coalisèrent les efforts occidentaux en vue de contenir la poussée soviétique – et chinoise - , animée, elle, d’une vraie idéologie mondialiste et donc conquérante.

Mais qui peut reconnaitre ces Etats-Unis là dans ce qu’ils sont devenus aujourd’hui :

  • Ils n’avaient pas d’armée en 1939 ; ils ont, de loin, la première armée du monde et représentent 40 % des dépenses militaires de la planète ;
  • Ils restaient chez eux, ils sont 823 bases dans le monde. ;
  • Ils avaient la plus puissante industrie de biens de consommation qui soit ; elle a presque disparu pour laisser la place à un complexe militaro-industriel surpuissant d’un côté, aux importations chinoises de l’autre. Athènes est devenue Sparte ;  
  • L’Etat intervenait peu dans l’économie ; elle est dirigée aujourd’hui par le Pentagone, en fonction de considérations militaires ;
  • L’expression était libre et pluraliste ; aujourd’hui, tous les média ont la même idéologie, post-libérale, ultra-libertaire et impérialiste  - et démocrate ;
  • Des entreprises privées comme les gafams[5]   imposent une censure idéologique sur la terre entière ;
  • Face à la toute-puissance du woke[6], la liberté de parole a disparu des universités, des écoles, des médias, de l’administration, des entreprises et bientôt et de la rue ;  
  • Ce pays a toujours fait la guerre en défensive de 1941 à 1990 ; il est au contraire à l’initiative de plusieurs guerres offensives depuis 1990 ;  
  • Il était le pays de la moralité puritaine ; il est devenu celui de toutes les excentricités sexuelles ; le Hollywood d’aujourd‘hui est bien différent de  celui des années cinquante ;
  • Sa vie politique était fondée sur le consensus constitutionnel. Il est quasi en guerre civile ; les vaincus des élections n’acceptent plus leur défaite et font tout pour saboter l’action de ceux qui ont été  élus ;
  • Les élections se déroulent dans un climat de fraude presque généralisé qui laisse planer le doute sur l’honnêteté des résultats ;
  • Des manipulateurs d’opinion, formés dans les meilleures universités,  sont dans les cercles du pouvoir à Washington, actifs aux Etats-Unis et à l’étranger ;
  • Les 17 services de renseignement (et d’influence) publics, CIA en tête, et les innombrables services privés emploient plus d’agents que le KGB au temps du communisme.
  • Des prisonniers sont retenus, hors de tout cadre légal et hors territoire à Guantanamo ; que dirait-on si la Russie en faisait autant ?
  • Ce n’est un secret pour personne que, au moins sous Obama, le président ordonnait souvent des « exécutions » extra-judiciaires, en principe hors du territoire national[7].

La venue au pouvoir sous les présidents Clinton, Bush fils et Obama de « néo-conservateurs » qui ne sont conservateurs que par le culte qu’ils vouent à la force[8], la multiplication des guerres extérieures, dont l’Ukraine est la dernière, expriment la mutation de la démocratie américaine en un empire idéologique, désireux comme tout ce qui est idéologique de répandre son modèle, tenu pour le dernier (Fukuyama) et le meilleur dans le monde. L’alliance du très grand capital (Egon Musk excepté) et de toutes sortes de minorités activistes plus ou moins marxisantes (Black lives matter, LGBT, ultraféministes, fanatiques du climat, transhumanistes etc.) qui exercent une impitoyable police idéologique font des Etats-Unis un autre pays. Il n’y a certes pas de goulag, mais la presse a appelé le patronat à licencier   les salariés ayant voté Trump en 2020, ce qui, dans ce pays où les amortisseurs sociaux sont faibles, signifie les condamner à mourir de faim. Comme les soignants non-vaccinés en France.

C’est à ces Etats-Unis-là que nous sommes confrontés aujourd’hui. Un bel homme, d’allure hollywoodienne, qu’on le veuille ou non, n’est plus aussi beau quand il a la lèpre.

A l’inverse, les pays ayant été touchés par la lèpre idéologique et qui en sont revenus, comme tous les anciens pays communistes, retournent, au moins en partie, à leurs caractères traditionnels. C’est peut-être, quoi qu’on dise, ce qui arrive à la Russie.  Le communisme n’était pas un avatar du traditionnel autoritarisme russe, comme le socialisme national n’était pas, quoi qu’en aient pensé alors les Français, un avatar du militarisme prussien.  

Pour la Russie et certains pays d’Europe de l’Est que tant d’Occidentaux    ont du mal à comprendre, le meilleur vaccin contre la dérive idéologique est le souvenir des 73 ans de communisme qu’ils ont vécu. Une expérience de l’idéologie qui n’est pas derrière nous, ni aux Etats-Unis, ni en Europe occidentale.  Si nous ne la comprenons pas, c’est peut-être que nous sommes en plein dedans.

Roland HUREAUX 

 

 

[1] Par exemple le goût de se mettre nus.

[2] Custine, La Russie en 1839, 10-18. 

[3] https://www.google.com/search?client=firefoxd&q=executions+in+tsarist+russia . Subsequently, under the Romanovs, mainly state criminals who made attempts on the life of the Emperor or threatened state power were executed : they included the pretender Yemelyan Pugachev, five leaders of the Decembrist Revolt, and the revolutionaries who assassinated Alexander II. From 1826 to 1905, only 525 people were executed in Russia. However, the 20th century put an end to such humanism.

[3] Pour comprendre la différence entre régimes idéologiques, voire totalitaires et les simples dictatures, voir Hannah Arendt, Le système totalitaire. Points-Seuil.

 

 

 

[5] Expression qui désigne les grandes entreprises de la toile : Google, Apple et Amazon, Facebook, Microsoft,

[6] Expression créée par les minorités activistes précitées qui pourrait se traduire par   éveiller. Eveillé à quoi ? Aux visions idéologiques radicales que ces minorités veulent imposer.

[7] François Hollande s’est vanté de le faire aussi.

[8] On peut au demeurant douter que la force soit une valeur conservatrice .

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4 octobre 2023 3 04 /10 /octobre /2023 20:58

Compte-rendu de lecture :

 

Roland HUREAUX : Jésus de Nazareth, roi des Juifs (DDB, 2021, 567 pages.)

 

 

En écrivant Jésus de Nazareth, roi des Juifs, notre confrère Roland HUREAUX a voulu faire œuvre historique. Un projet en cohérence avec sa qualité d’agrégé d’histoire. Sa biographie  de Jésus  est centrée sur les faits, laissant de côté  les autres lectures : symbolique, morale, mystique, eschatologique - et a fortiori  numérologique !  

Il part de deux hypothèses :

  • La première, qui d’ailleurs est une certitude : la source presque unique que nous ayons sur la vie de Jésus, ce sont les quatre évangiles. Leurs divergences apparentes laissent supposer que les auteurs ne se sont pas concertés. Quatre sources, c’est plus que pour la plupart des personnages de l’Antiquité. Les apocryphes apportent peu de choses (même le Protévangile de Jacques qui donne des détails sur les origines    de Marie a une crédibilité incertaine).  Flavius Josèphe, le grand historien juif de cette période, mais né seulement en 37, soit après la mort de Jésus,  nous éclaire sur le contexte politique et religieux mais ne dit que très peu sur Jésus de Nazareth, un peu plus sur Jean Baptiste.   
  • La seconde est que les auteurs étaient des juifs qui connaissaient la gravité du 8e commandement : « Tu ne porteras pas de faux témoignage » et qu’il faut donc les prendre au sérieux.

C’est dire que l’ouvrage procède d’une lecture plutôt bienveillante des textes, éclairés par l’Ancien testament auquel les évangiles se réfèrent en permanence. Une lecture historique n’est pas forcément déconstructrice comme beaucoup le pensent depuis Renan. Au contraire, dit Hureaux dans son introduction, la plupart des auteurs qui prétendent « démythologiser » les Evangiles font des choix arbitraires  de ce qui selon eux, est historique de ce qui  ne l’est pas  : ils ne font qu’exprimer ainsi leur subjectivité , un  exercice que Roland Hureaux se refuse à faire , se contentant de dire que , par hypothèse, il  ne rejette rien  a priori.    

Lire les Evangiles, comme il le fait, en s’en tenant à la part humaine de celui que les croyants tiennent pour l’Homme-Dieu, c’est, dit-il, se conformer au Concile de Chalcédoine (451) pour lequel Jésus est  à la fois homme et Dieu sans séparation, mais aussi sans confusion

Dans cette perspective, il était normal qu’il fasse référence à la période où vécut Jésus   et qu’il connait bien :    le début  de l’Empire romain, premier siècle  de la pax romana, ce en quoi les  chrétiens de l’Antiquité  ont vu plus qu’une coïncidence.

L’auteur écarte naturellement l’hypothèse émise par certains, selon qui Jésus de Nazareth n’aurait pas existé. Aux arguments   habituels, il ajoute    qu’une lecture attentive des sources évangéliques  montre l’extrême finesse de l’observation des comportements politiques et  psychologiques des acteurs .   Même s’ils n’avaient pas voulu faire un récit vrai, les évangélistes étaient d’excellents   sociologues de la politique.

S’agissant de la date des évangiles, sujet controversé, l’auteur suit Claude  Tresmontant, l’abbé Carmignac et l’évêque anglican John Robinson   pour les  avancer plus qu’on ne fait d’habitude  en les situant  au milieu du Ier siècle (50-65) , en même temps que les épîtres de saint  Paul, dont les dates sont connues (51-65), ce qui situe les évangélistes plus près  des événements qu’ils narrent que bien des historiens de l’ l’Antiquité.   Les raisons de cette option sont nombreuses, ne serait-ce que   l’absence de toute mention de la destruction de Jérusalem en 70 ou les Actes des apôtres écrits après l’évangile de Luc qui se termine en 61, ce qui exclut , comme l’avait vu le grand  exégète allemand Harnack,  que ce dernier ait été écrit vers 80  comme l’a longtemps voulu  l’exégèse officielle.  

Roland Hureaux   écarte aussi quelques idées qui furent longtemps à la mode : celle d’une tradition orale portée par des illettrés, tardivement mise par écrit . Le Ier siècle romain est, dit-il, une civilisation de l’écrit, spécialement le monde juif : il y a des banques, des billets à ordre, des livres ; beaucoup de Juifs lisent le Bible ou ont mis par écrit leur généalogie .  Rien à voir avec le désert d’Arabie du VIIe siècle où fut, dit-on, rédigé le Coran. Un siècle avant Jésus, les Pharisiens avaient prescrit la scolarisation obligatoire.  Les évangiles ne sont pas non plus la production de « communautés », mythe que l’auteur qualifie de « clérico-germanique » : écrire est un travail solitaire même si l’auteur se fait aider par des scribes, comme le fit Tacite, ou s’il consulte une autorité, comme Luc consulta Paul et Marc consulta Pierre.

Ceux qui pensent que l’histoire ne peut être que transgressive sont certains que les « frères de Jésus » étaient de vrais frères :  de solides arguments, présentés dans ce livre peuvent étayer la thèse contraire .  De même qu’il  est d’usage de dire,  pour faire sérieux,  que Marie Madelaine ne serait que la synthèse de plusieurs  personnages  de l’Evangile , une thèse que l’auteur  démonte.     Restent de vraies difficultés comme les récits de miracles, à regarder eux aussi de près : pour deux résurrections sur trois, Jésus dit « il (elle) n’est pas mort,  il (elle)  dort » : ne s’agissait-il d’un coma profond ?  Il est en tous cas difficile de comprendre le succès de Jésus presque immédiat sans y voir l’attirance de ses dons extraordinaires.

Un tel ouvrage n’a rien à voir avec les thèses simplistes et  provocatrices qui ont assuré  un  succès passager à certains livres : Jésus aurait été un zélote , un essénien  ( il sont totalement absents des évangiles : pourquoi ? On ne sait) ou  le compagnon  de Marie Madeleine ( alors que tous ses faits et gestes étaient surveillés en permanence tant par la police juive que par la police romaine ).  L’auteur a voulu écrire un ouvrage durable, particulièrement utile en ces temps où tant de repères se perdent. Donc pas de thèse radicale, mais quelques points de vue qui s’écartent d’une certaine doxa.

Une grande importance  a été accordée  à l’enfance de Jésus ; sa généalogie est essentielle ;  même si les deux que nous avons diffèrent ,  il est appelé partout Fils de David et personne ne le conteste – alors qu’est contesté avec force qu’il soit le Messie. Cette ascendance royale était en soi une menace pour la stabilité politique comme Hérode le Grand l’a compris tout de suite.  Lui qui avait exterminé la dynastie précédente, celle des Hasmonéens (Maccabées) et fait massacrer les enfants du la région de Bethléem,  

Un exercice risqué : décrire la personnalité de  Jésus : compte tenu de sa visite au Temple à l’âge de 12 ans, il est assurément un surdoué , ce qui n’est pas  un don surnaturel puisque nous en connaissons d’autres. On peut même penser qu’il était assez doué pour connaitre toutes les langues parles dans la région dont le latin, sinon liturgique, du moins administratif. De même, selon les évangiles, le don des miracles ( appelés  « signes ») ne lui est-il   pas propre, puisqu’il incite ses  disciples à en faire comme lui,  ce qui exige qu’ils aient  la foi.

Jésus apparait aussi comme un leader, un chef « qui parle avec autorité et non comme les scribes » (entendons les bureaucrates !). L’auteur écarte une « théologie facile » qui ne laisserait à Jésus-homme que   les actes ordinaires   et renverrait les miracles à sa nature divine.

Le point important est que beaucoup de ce que le discours contemporain, chrétien ou pas, attribue à Jésus se trouve déjà dans le  Testament juif .  Le Magnificat et les Béatitudes sont, dit-il, des quasi-collages de la Bible juive. Le devoir de miséricorde ou la nécessité d’aider les pauvres sont présents en permanence dans les psaumes et chez les prophètes. Jésus ne cesse de dire qu’il n’est pas venu changer un seul iota de la Loi. Il la durcit même sur le mariage ou sur la prestation de serments.   Figure en annexe un intéressant tableau des positions des différents groupes religieux du Ier siècle : en dehors des disciples de Jean-Baptiste, c’est des pharisiens qu’il semble le plus proche. Or ils furent ses plus farouches ennemis. Etonnant ? Pas vraiment. Ceux qui connaissent la vie politique savent que ce ne sont généralement pas les oppositions idéologiques qui font les grandes haines, mais les petites différences - et parfois l’absence de différence.

Sur le fond Jésus se distingue des pharisiens de son temps par l’ordre de priorité qu’il donne aux différents commandements de la Loi, considérant, comme plus tard saint Paul,  que les principaux sont les  deux premiers auxquels tous les autres  se ramènent  , l’amour de Dieu et celui  du prochain. D’ailleurs,  les  pharisiens, si opposés à Jésus durant sa vie,   devaient , entre les années trente et soixante , selon   les Actes des apôtres, les soutenir constamment contre le haut sacerdoce (les sadducéens) . Qu’est ce qui est donc vraiment propre à l’enseignement de Jésus ? Moins que l’on croit : la nécessité, non seulement de secourir les pauvres mais aussi le l’être – ou encore le privilège conféré à l’enfance - et bien entendu le fait de qualifier Dieu comme Père, ce qui ne figure que très rarement dans l’Ancien testament.

Loin d’être une bande désordonnée, l’équipe que met en place Jésus est très hiérarchisée :  Jésus lui-même, Pierre, Jacques et Jean, les autres apôtres, les 72 disciples, les autres disciples. Six degrés hiérarchiques !  

A côté des hommes, plusieurs femmes, apparemment plus riches que les hommes, qui sont un peu les « sponsors » de Jésus ; parmi elles, la femme de Chouza, intendant, c’est-à-dire ministre de finances   d’Hérode Antipas. Ce dernier, fils d’Hérode le grand, après avoir fait décapiter Jean-Baptiste est tombé en disgrâce à l’avènement de Caligula ( 37) et serait  mort en exil avec sa femme  Hérodiade,  à  Lugdunum Convenarum ( peut-être Saint Bertrand de Comminges). La condition des femmes s’était durcie au cours du siècle passé : une femme honnête ne pouvait pas sortir sans nécessité, elle devait en tous les cas être voilée; elle ne pouvait pas  parler à un homme et sûrement pas aller écouter des prêcheurs.  Seules les femmes de l’aristocratie ou au contraire déjà déconsidérées (ou les deux !) pouvaient suivre Jésus.   

Le grand prêtre Caïphe donne des raisons suffisantes à la décision de mettre à mort de Jésus : son succès attire de plus en plus les foules ; les Romains vont s’en inquiéter,  venir en force  et détruire  l’équilibre  colonial que  la  classe dirigeante juive ne souhaite pas remettre  en cause.   Le Concile de Trente (1545-1563) a dit avec toute la clarté voulue que les Juifs n’étaient pas plus responsables que le reste des hommes de la   crucifixion de Jésus. D’autant que le phénomène du roi sacrifié décrit par Frazer et Girard, est une réalité anthropologique qui vaut pour tous les peuples. Pilate surplombe la croix de l’inscription bien connue   Iesvs Nazarenvs, Rex Ivdæorvm (INRI). Un roi dans le contexte romain, c’est un protégé comme Hérode ou bien un rebelle : Jésus n'étant pas un protégé, il est un rebelle : par cette inscription qui sert de titre au livre, Pilate qui sait qui sait qu’il n’est pas un rebelle, se couvre vis-à-vis de sa hiérarchie à Rome pour une décision risquée. 

L’intérêt de ce livre ouvrage réside aussi dans la description de la terre sainte et de la société juive sous le férule de l’empire romain : une société perturbée par cette première  forme de mondialisation que représente la conquête romaine : un grand écart entre riches et pauvres, beaucoup de brigandage , une inquiétude religieuse  qui ne pouvait constituer qu’un terrain favorable à la parole  de Jésus Christ.  

La couverture est illustrée par un beau tableau de Daumier dont on ne connaissait pas la veine religieuse.

J.M

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4 octobre 2023 3 04 /10 /octobre /2023 20:55

UNE REFORME AU COÛT POLITIQUE DISPROPORTIONNE

 

Le président Macron a dû passer sa réforme des retraites. au forceps, d’utiliser l’article  49-3 de la Constitution.    

C’est inouï : François Mitterrand disait que s’ il y a plus d’ un million de manifestants dans la rue ,  il ne faut pas insister , ce   qu’il avait fait sur l’école privée.

Outre les énormes manifestations , il y a les sondages : 80 % des sondés sont hostiles à cette réforme ; 90 % des actifs. Du jamais vu. Certes une partie des opposants n’est  pas tant hostile à la réforme elle-même qu’à un président  dont l’immense majorité des Français ne veut plus.

Pourtant l’enjeu est limité : cette réforme représente pour les entreprises  un gain de  5 milliards d’euros ( 15 si tous les nouveaux « actifs »  ont un travail , ce qui ne risque pas d’arriver.)  Si la France  s’émancipait du marché  européen de l’électricité, ce qu’ont fait l’Espagne et le Portugal, les mêmes entreprises auraient  de 50 à 100 milliards à gagner. Les vrais débats sont interdits.   

Macron aurait  pourtant  eu  des échappatoires : ainsi  il aurait pu  reconnaitre  dans une allocution,  qu’il y avait  un vrai problème  et lancer des « états généraux de la retraite »  s’étalant sur plusieurs  mois et ne négligeant aucun aspect  de la question, notamment la politique familiale . Mais Macron est-il encore capable de parler les yeux dans les yeux aux Français ? Des yeux de glace comme il en avait lors de l’allocution du 22 mars.

Villepin n’y avait pas non plus pensé. Dommage :   Chirac dut  retirer  la loi sur le SMIC-jeunes , déjà votée et  promulguée :  une  première dans l‘histoire législative de la France. Il n’est pas exclu que le gouvernement actuel soit obligé,, si, comme c’est probable, la contestation se maintient,   d’en arriver là.

Quoi qu’il en soit, la cote du président Macron est tombée bien bas. On peut se demander qui osera encore se réclamer de lui aux prochaines élections. En marche n’ira plus très loin.

L’opposition du RN fut  relativement discrète, normalisation oblige. Zemmour a approuvé à moitié la réforme, une faute politique .

Bien qu’étant le  parti d’opposition le plus ancien, les dirigeants des Républicains sont allés  au secours d’un gouvernement  rejeté par une grande majorité des Français  et dont on connait la  malfaisance. ( diplomatie piteuse, désarmement de la France, vente des actifs français, réformes sociétales destructrices, indifférence à la démographie, portes ouvertes à l’immigration, passivité face à l’insécurité croissante.)   Chateaubriand disait que l’opposition doit être entière, ce que Mitterrand , qui n’approuva jamais ce que pouvait faire le général de Gaulle,  avait compris.  LR est tombé à près de 5 %. Ce n’est pas en soutenant un gouvernement discrédité qu’il se relèvera. Les électeurs ne manqueront pas de se demander à quoi il sert. Le choix de l’opposition, fait par un petit groupe, conduit par Aurélien Pradié   est plus cohérent.  Quel impact aura-t-il sur le devenir du parti ? L’avenir le dira

Reste le NUPES qui, grâce  à son chahut et à ses  excès, souvent déplorables, est apparu    fâcheusement  comme le principal parti d’opposition.  Verra-t-on, aux second tour des prochaines présidentielles, un candidat de ce parti (ou plutôt de cette galaxie) au second tour ? Il ne faut rien exclure.

En tous les cas, cette bataille, dont l’enjeu reste limité, laissera beaucoup   de cadavres. Ce qui est dommage à un moment où,  face à une crise diplomatique  et économique sons précédent, les Français ne savent pas où ils en sont et,  face au régime destructeur de Macron,  cherchent une opposition qui sache s’opposer.  

 

Roland HUREAUX

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3 octobre 2023 2 03 /10 /octobre /2023 14:40

PAS DE PAIX SANS INTELLIGENCE DE L’ENNEMI

 

Ayant pris l’habitude de relire les classiques, j’en suis à l’Iliade : épopée écrite per un Grec et racontant la guerre contre les Troyens, comme chacun sait. Ces combats à l’arme blanche étaient atroces mais jamais l’auteur ne se laisse aller à la moindre disqualification morale de l’ennemi.
Le temps ont changé ! Plus de guerre sans hystérie, dénonciation de l’ennemi comme un rebut qui ne mérite aucune considération, haine abyssale et diabolisation sans nuances.

Le pire dans cette attitude est qu’elle ne rend aucun compromis possible. 

Mais elle a aussi un autre inconvénient : elle ne justifie aucun effort de compréhension de la position de l’adversaire. Comprendre la logique de l’adversaire, ce n’est pas avoir de la sympathie pour lui (être « compréhensif »), c’est faire ce que doit faire tout stratège car comprendre c’est prévoir et donc se donner les moyens de manœuvrer au mieux.  

 

Un aveuglement abyssal

 

Aujourd’hui l’aveuglement des Occidentaux (en fait de leurs dirigeants et des médias) à l’égard de Poutine est abyssal.

Ils se contentent d’exciter à son encontre une haine aveugle qui rendra très difficile le retour dela paix.

Le président russe est comparé à Staline.  20 ou 30 milliards d’assassinats pour ce dernier. Et Poutine ? On lui impute cinq ou six tentatives d’empoisonnement qui ont toutes échoué sauf une. Mais il y a aussi en Russie, dit-on, des atrocités qu’on ne connait pas :  alors que font les 2000 correspondants de presse, presque tous anti-Poutine, qui sont à Moscou ?  Que ne nous livrent-ils au moins de temps en temps quelques noms pour que nous puissions pétitionner ?  

Je ne suis pas pour autant pro-Poutine : la manière dont il cherche à nous damer le pion en Afrique me parait insupportable. Presque autant que la passivité de notre président face à cela, lequel préfère parader en Roumanie que préserver nos amitiés africaines pour lesquelles il n’a que mépris.

Reste à comprendre la stratégie de Poutine depuis le mois de février 2022. La réaction de la Russie à l’Ukraine peur être comparée à celle de la France à la Belgique : les premiers grands-ducs de Russie étaient à Kiev, les premiers rois mérovingiens à Tournai.  La France ne remet en cause ni l’indépendance ni l’intégrité territoriale de la Belgique, comme, nous semble-t-il, la Russie n’a pas remis en cause celle l’Ukraine de 1990 à 2014, date de ce que Valéry Giscard d’Estaing a appelé une coup d’état de la CIA » à Kiev (appelé les « évènements de la place Maidan » ) .  Que dirions-nous en revanche si la Belgique, dirigée par des Flamands avait passé un traité d’alliance avec le Chine, lui permettant de recevoir sur son sol des fusées chinoises pointées sur Paris, que dirons-nous si les mêmes Flamands entreprenaient de chasser du pays les Wallons ? Si la France (dirigée par d’autres que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui) tentait d’entrer en Belgique pour se défendre, ne le trouverions nous pas normal ? Comme nous avons trouvé normal en 1962 que les Etats-Unis n’acceptent pas la présence de fusées soviétiques à Cuba.

Entrer dans un pays voisin, comme l’ont fait les forces russes, c’est assurément une violation claire du droit international et en tous les cas une grossière maladresse.  Mais il y en a eu tant, et de tous bords, depuis qu’a été signée la Charte des Nations unies !  On a dit que la première victime de la guerre était la vérité. Elle est en tous les cas l’intelligence. Il n’y a pas de paix sans l’intelligence… de l’ennemi.   

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

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3 octobre 2023 2 03 /10 /octobre /2023 14:39

 

Le président Macron a décidé la suppression de l’Ecole nationale d’administration. 

« Pas ça, pas lui » serait -on tenté de dire : qui, mieux que lui, représente les travers de l’institution : a priorisme, arrogance, inaptitude à une vraie écoute, indifférence hautaine à l’intérêt national ?   

Il vient même de l’Inspection des finances qui constitue à peine 5 % des anciens élèves et 90 % de leur pouvoir.

Même si on pense que cette institution avait besoin d’être réformée, et d’abord dans le contenu des études, on peut craindre que cette initiative ne confirme la maxime du philosophe marxiste Guy Debord : « la société de spectacle (nous dirions de communication) dans son stade avancé ne sait se réformer qu’en pire ». Et il s’agit bien d’une mesure de pure communication destinée à servir sur un plateau à l’opinion une victime expiatoire de tous les sujets de mécontentement.

Il est vrai qu’il y a un grand malaise entre l’ENA et la société française. Ce malaise touche en fait toute la haute fonction publique :   aussi bien les médecins qui ont organisé le plan de confinement contre le Covid que les pédagogues qui décident des programmes et des méthodes de l’éducation nationale :  tous sont indistinctement englobés dans le même opprobre attaché aux énarques.  Ne sont épargnés que les corps de terrain : ingénieurs, militaires, policiers, gendarmes, soignants.  Ce malaise touche aussi les politiques – en dehors des maires – auxquels on peut reprocher surtout de n’avoir aucune prise sur la technostructure.

 

De mal en pis

 

Mais au vu de toutes les idées reçues qui circulent depuis des années au sujet de l’ENA, il y a fort à craindre que la réforme, partant d’une mauvaise analyse, ne conduise à une situation encore plus mauvaise, ce qui est presque toujours le cas des réformes d’aujourd’hui.

Parmi ces poncifs, l’idée que le mal viendrait du recrutement de l’ENA jugé trop bourgeois, trop endogame, donc faisant émerger des administrateurs inaptes à comprendre le peuple.  On entend cela   depuis cinquante ans ; un des effets les plus fâcheux de cette idée fausse a été la réforme de l’ENA qui a eu lieu en 1968 à partir des idées de Bourdieu : élimination de la culture générale, discrédit des connaissances, généralisation des notes de synthèse aptes à sélectionner plutôt des administrateurs de petit niveau que des agents supérieurs de l’Etat. Contrairement à ce qui se dit, la démocratisation n’a pas reculé si on considère la situation non seulement des parents, mais des grands parents :  il va de soi en effet qu’une famille donnée ne peut pas connaître une promotion sociale à chaque génération. L’exercice quotidien du pouvoir montre d’ailleurs que c’est moins l’origine sociale que le génie individuel qui fait l’aptitude à comprendre les humbles. Combien de fonctionnaires issus du rang s’avèrent des bureaucrates étroits, caricatures de ce qu’on imagine être un énarque ?  Jacques Delors, issu du syndicalisme fut-il moins technocrate que ses collaborateurs, presque tous venus de l’inspection des finances ?

La vérité est que ce qui sépare les décideurs du peuple, c’est le mode de pensée idéologique. Les fonctionnaires sont souvent portés à l’idéologie car il leur faut des rails pour guider leur action, surtout quand le pouvoir politique est défaillant. Et l’idéologie, c’est l’action ramenée à quelques idées simples : par exemple réduire à toute force le nombre des communes en France ou le nombre de lits dans les hôpitaux. Les fonctionnaires ont aussi besoin de sentir qu’ils sont les agents, même modestes, du progrès de l’humanité.  Quelques idées simples, trop simples, le sentiment qu’ils sont les agents du bien et voilà les fonctionnaires incrustés dans un système de pensée dont ils ne sortiront pas. Les contestations de leurs idées et des réformes qu’elles inspirent sont alors tenues pour irrationnelles, le fait de gens qui n’ont pas compris ou qui sont égoïstement accrochés à leurs intérêts particuliers. Contrairement à ce que les gens croient, les hauts fonctionnaires entendent le peuple mais récusent a priori sa parole car il n’y a pas dans le logiciel de la plupart une case où ils puissent l’intégrer.

Ce mal a même atteint un corps connu jadis connu pour son pragmatisme, le corps préfectoral, qui poursuit depuis trente ans avec obstination l’absurde projet de réduire le nombre des communes françaises, sans autre résultat que d’introduire une immense complication.

L’Europe, ou plutôt l’idée qu’on s’en fait à Bruxelles, est une idéologie – ou plutôt la version continentale de l’idéologie mondialiste.  Qu’il faille aller vers de plus en plus d’internationalisation, de plus en plus de   libre échange, de moins en moins d’Etat national, ce sont des idées qui n’ont rien d’évident en soi mais qui s’imposent par le double caractère de la (fausse) simplicité et de l’idée de progrès.  En 2005, 55 % des Français ont rejeté le projet de constitution européenne tel qu’il leur avait été proposé par référendum ; on le leur a quand même imposé… au nom des « valeurs démocratiques ». Or il est probable que 75 % des anciens élèves de l’ENA au moins lui étaient favorables : la plupart expliquent ce décalage par le fait qu’ils sont plus éclairés, plus intelligents.  Mais ils se trompent : ce décalage vient de leur plus grande propension à l’idéologie, propension qui est le propre de tous les clercs, autre nom des technocrates. L’idéologie donne l’air intelligent et, surtout, elle donne le sentiment de l’être, mais en fait elle rend les dirigeants inaptes à comprendre les peuples.

Les apparatchiks communistes de l’ancienne Union soviétique connaissaient ce décalage mais moins que nous car ils ne croyaient plus au communisme alors que la majorité des énarques croient encore à la construction européenne et à la mondialisation.

 

« Pas assez savants… »

 

Les peuples, eux, sont naturellement rétifs à l’idéologie. Ils ne sont, comme dit Montesquieu, « pas assez savants pour raisonner de travers. »          

Au fil des ans, les anciens élèves de l’ENA, surtout ceux qui étaient dans les positions les plus élevées, ont perdu l’habitude de défendre les intérêts de la France, c’est-à-dire du peuple qu’ils avaient le devoir de protéger, pour défendre la construction européenne et les quelques idées qui vont avec. Cette dérive a été particulièrement sensible en France où on s’emballe plus qu’ailleurs pour les idées abstraites. Gageons que les Allemands – et encore moins les Anglais quand ils y étaient, n’ont pas vu les choses de cette façon.  Sait-on que parler de l’intérêt national aujourd’hui dans une réunion interministérielle vous fait regarder avec condescendance comme le Huron de service ?    Non seulement les énarques – et assimilés - sont enfermés dans un système que les gens ne comprennent pas, parce qu’il est idéologique, mais le peuple a le sentiment qu’ils ne défendent plus les intérêts des Français.  Lors de la négociation du récent plan de relance européen, Macron était tellement désireux que ce plan aboutisse, car il représentait le premier emprunt proprement européen, et donc une avancée idéologique, qu’il a accepté, seul en Europe, malgré l’état lamentable de nos finances, de sacrifier les intérêts financiers de la France à hauteur de plusieurs dizaines de milliards.

En ce sens, il y a eu comme une grande trahison de la majorité des anciens élèves de l’ENA – comme de toutes les élites françaises -   à l’égard du peuple. D’une certaine manière on peut l’imputer à un recrutement trop petit-bourgeois :  trop de familles peut être aisées mais sans traditions où on ne sait pas ce que les élites doivent à leur peuple.

Le principe de subsidiarité, le vrai pas celui des traités européens, pose que l’intérêt de la partie ne saurait être contraire à l’intérêt du tout : le maire de Toulouse peut être favorable à la construction   européenne, il n’ignore pas que son devoir est de servir sans faiblesse les intérêts de sa ville.  Qui sait cela dans une haute fonction publique sans formation philosophique ?  Pour être bon européen, il faut y mépriser l’Etat français, improprement appelé « jacobin ». Macron offre un bel exemple de cette attitude simpliste.

Trahison n'est pas un vain mot : quand le général de Gaulle fonda l'ENA en 1945, il voulait redresser la France, abîmée en 1940, en commençant par l'Etat. Quand Bruxelles s'attache à détricoter les Etats, c'est parmi les Etats européens, l’Etat français, jugé le plus résistant au mondialisme, qui est visé en premier. Servir ce dessein, comme le fait la grande majorité des anciens élèves de l'ENA, depuis quarante ans, c'est trahir le dessein originel de l'école. Faite pour servir la France, l’Ecole nationale d’administration s’attache depuis deux générations à la déconstruire : qui s’étonnera qu’elle soit devenue impopulaire, et qu’on veuille la fermer ?

Et si on fait une nouvelle école manière Macron, fondée sur la même idéologie et recrutant sur des critères sociaux, allant jusqu’à la discrimination positive par quotas, à partir d’entretiens oraux, si on continue à y mépriser la culture générale, rien ne sera réglé. Il est probable même que le fossé s’aggravera. Plus que jamais il s’agira d’une école idéologique, plus que jamais le fossé se creusera avec la population.

Il est probable que s’il n’y avait pas eu une entreprise comme la construction européenne, l’ENA serait restée plus près du peuple français et n’aurait pas au même degré connu le discrédit actuel.

Nous ne confondons bien entendu pas cette admirable réalité qu’est l’Europe, riche de la diversité inégalée de ses cultures et l’Europe institutionnelle, celle de Bruxelles, qui s’attache jour après jour à noyer l’Europe charnelle dans une ennuyeuse désolation   bureaucratique. De moins en moins cultivés, beaucoup d’énarques ne connaissent que la seconde. 

 

Le mondialisme est bien ingrat

 

Le grand paradoxe est que les forces internationales   dont l’ENA est devenue l’agent le plus dévoué, ce sont en fait elles qui voulaient sa mort. En ce sens l’école est deux fois victime du mondialisme.

Malgré ses dérives récentes, l’ENA incarnait encore, surtout aux yeux de l’étranger, la réputation de solidité séculaire de l’Etat français, celui de Richelieu, de Louis XIV, de Napoléon, de la République radicale. Malgré ses défauts, cet Etat était tenu pour une des forces de la France par la compétence, l’objectivité, le sens du service public de ses agents.

Or le projet mondialiste, comme le projet européen, implique l’attrition des Etats, voire leur arasement. C’est particulièrement vrai de l’Etat   français, hériter de la « grande nation » et tenu à l’étranger, spécialement dans le monde anglo-saxon, comme la structure la mieux à même, en raison de sa solidité, de résister aux projets mondialistes. Cet Etat, il faut lui briser l’échine. Personne sans doute n’a donné l’ordre à Macron de liquider l’Etat français, mais on sait combien le président est imbibé de l’idéologie internationale dominante. Il y adhère par conviction certes mais aussi par une facilité particulière de sa personnalité à s’imprégner de l’atmosphère du milieu où il évolue, en l’occurrence la sphère mondialiste et rien que celle-là.  Il sait sans doute aussi jusqu’à quel point il doit à cette sphère son élection.

Ajoutons que la baisse d’attractivité sociale et de niveau qu’il faut attendre d’une institution prenant le relais de l’ENA, recrutant dans la « diversité », où la conformité idéologique prendra le pas sur la culture générale et les compétences, favorisera l’émergence d’une nouvelle classe de fonctionnaires, grisaille au service de la grisaille, plus apte à se conformer aux ordres de la gouvernance mondiale que de faire entendre la voix de la France.

Casser ces symboles forts que sont, tant pour les Français que pour les étrangers, l’ENA, le corps préfectoral – bien plus que l’Inspection des finances dont on peut se passer -, c’est concéder une belle victoire au projet mondialiste. La suppression plus récente du corps diplomatique est venue parachever ce que le président lui-même a appelé la "déconstruction de la France ». On peut dire que les énarques – au moins la majorité d’entre eux, l’ont bien cherché !  Mais compte tenu de la gravité de l’enjeu national et civilisationnel, ce serait là une piètre consolation.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

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3 octobre 2023 2 03 /10 /octobre /2023 14:37

CONTINUITES NATIONALES ET IDEOLOGIE

 

Il faut se méfier des supposées continuités nationales. Elles existent, certes, mais elles n’expliquent pas tout.

En lisant la Germania de Tacite, on trouve bien des caractères des Allemands d’aujourd’hui[1]. Mais pendant six siècles (XIIIe – XIXe siècles), l’Allemagne du Saint Empire agonisant fut considérée comme le lieu du désordre par excellence. Dans l’Angleterre « libérale » du XVIIIe siècle, on pendait à tour de bras, très peu dans la France monarchique. Les Italiens passent pour être le contraire des Romains. Et que dire des Français passés du statut de peuple de l’absolutisme à celui de fils de la Révolution ? De la France, fille aînée de l’Eglise devenue le pays des Lumières ?

Il y a certes des constantes en Russie, à commencer par son énormité géographique qui n’apparait qu’avec la conquête de la Sibérie à partir du XVIIIe siècle. La dispersion de la population qui en résulte détermine certains traits du caractère russe : comme on ne s’y marche pas sur les pieds, les mœurs y sont sans doute moins « polies » au sens physique que dans les pays surpeuplés d’Extrême-Orient.  A la différence du Japon, on ne s’y taille pas la barbe tous les jours !

Mais à trop tirer sur la corde des permanences nationales, on est vite amené à proférer cette énormité que Poutine, c’est Staline. Une récente couverture d’hebdomadaire[2], la plus absurde qui soit, illustrait grossièrement ce thème.

Staline : 20 ou 30 millions de personnes massacrées ou affamées (en dehors de guerre 1941-1945), s’ajoutant aux 20 millions de victimes de Lénine.  

Poutine : on l’accuse de cinq empoisonnements, dont quatre ratés. Plus l’assassinat d’une journaliste en 2004, la pathétique Anna Politkovskaya dont la vraie cause reste   incertaine.  Décidément l’ex-KGB a perdu la main. On nous dit qu’il y a en réalité beaucoup plus de crimes dus au « régime » qu’on ceux que l’on voit, sans citer de noms. Qu’attendent donc les 2000 journalistes occidentaux en poste à Moscou, presque tous hostiles à Poutine, pour nous en donner et nous faire signer des pétitions ?  

Les observateurs avaient commis la même erreur en qualifiant Staline de « nouveau tsar ».  Certes, quand on lit Custine, on peut voir quelques analogies entre le régime tsariste en 1839[3] et le régime policier soviétique. Pourtant le régime tsariste n’a exécuté de 1826 jusqu’en 1905 que 525 personnes[4]. Principalement à la suite de l’insurrection décembriste de 1825 et de la vague terroriste des années 1860-1880. A comparer avec les chiffres relatifs au régime soviétique cités plus haut. Les tsars du XIXe siècle ne pratiquaient pas non plus les assassinats extra-judiciaires à la différence du régime soviétique et de quelques démocraties « libérales » d’aujourd’hui.

Pourquoi donc commet-on de telles erreurs d’appréciation ?

Il y a une raison à ces confusions : l’ignorance du fait idéologique.

 

Le fait idéologique

 

Le régime soviétique, comme le régime maoïste ou en plus petit celui de Pol Pot, se réclamaient de la doctrine marxiste-léniniste, révolutionnaire et athée. Ils massacraient.

Les tsars du XIXe siècle, comme Poutine, comme les gouvernements occidentaux quand ils étaient au mieux de leur forme démocratique, n’appliquaient pas une idéologie révolutionnaire ; ils ne massacraient pas.

Il n’y a d’ailleurs pas que les massacres : l’idéologie entraine toute une série de transformations sociales nocives, dont la suppression de toutes les libertés et l’inefficacité économique que l’on ne trouve pas dans les régimes que nous qualifierons d’« ordinaires », même dictatoriaux[5], lesquels ont des défauts mais ne sombrent jamais dans de telles extrémités.

Chez Poutine, si idéologie il y a, elle est très simple : la religion orthodoxe et la patrie russe. On ne voit guère que ce soit là, à la différence de la révolution prolétarienne mondiale, un produit d’exportation. Il se peut que, la guerre actuelle aidant, il soit tenté de brandir l’étendard du retour à la  moralité et à la tradition contre la dégénérescence des valeurs et l’abandon des racines chrétiennes de l’Occident, mais ce n’est là qu’une velléité.

La même ignorance du fait idéologique conduit à se méprendre sur l’Allemagne : non, l’Allemagne du IIIe Reich, celle d’Hitler, n’est pas celle du Ier Reich, le Saint empire romain germanique, mort de son manque d’autorité, ni même celle du IIe, celle de Bismarck.  Qui reconnaitra le grand pays militariste qu’elle a été, au moins dans sa partie prussienne, dans la puissance amollie qui n’ose même pas protester quand un Etat allié fait sauter le gazoduc Nord Stream II, un attentat terroriste qui signifie ni plus ni moins que la fin de puissance économique allemande ?

Quel peut être le moteur d’une action aussi insensée que l’imposition de sanctions extrêmes à l’encontre de la Russie qui aboutiront à détruire le potentiel industriel ouest-européen et à faire passer cette Europe-là en deuxième division - sans vraiment affaiblir la Russie ? C’est bien sûr l’idéologie, celle que l’Amérique impose de gré ou de force à ses vassaux.

 

Qu’est devenue l’Amérique d’antan ?

 

Elle conduit en particulier à se méprendre sur ce que sont aujourd’hui les Etats-Unis. Dans le conflit avec l’Ukraine, les poncifs fleurissent : le pays de la Liberté, le camp du libéralisme, des droits de l’homme en guerre contre une dictature asiate incorrigible. Malgré tout ce qu’on sait (l’esclavage, le massacre des Indiens, les inégalités considérables, la violence endémique,) cela a été un peu vrai au XXe siècle. Les Américains qui débarquèrent en Normandie n’ont pas apporté seulement le chewing-gum et le Journal de Mickey, ils apportaient aussi un vent de liberté et toute une série de valeurs politiques authentiques : une constitution immuable et respectée, la liberté d’expression garantie par le fameux Premier amendement, un vrai fédéralisme etc.

Cela fut aussi vrai durant la guerre froide où les Etats-Unis coalisèrent les efforts occidentaux en vue de contenir la poussée soviétique – et chinoise - , animée, elle, d’une vraie idéologie mondialiste et donc conquérante.

Mais qui peut reconnaitre ces Etats-Unis-là dans ce qu’ils sont devenus aujourd’hui :

  • Ils n’avaient pas d’armée en 1939 ; ils ont, de loin, la première armée du monde et représentent 40 % des dépenses militaires de la planète ;
  • Ils restaient chez eux, ils sont 823 bases dans le monde. ;
  • Ils avaient la plus puissante industrie de biens de consommation qui soit ; elle a presque disparu pour laisser la place à un complexe militaro-industriel surpuissant d’un côté, aux importations chinoises de l’autre. Athènes est devenue Sparte ;  
  • L’Etat intervenait peu dans l’économie ; elle est dirigée aujourd’hui par le Pentagone, en fonction de considérations militaires ;
  • L’expression était libre et pluraliste ; aujourd’hui, tous les média ont la même idéologie, post-libérale, ultra-libertaire et impérialiste  - et démocrate ;
  • Des entreprises privées comme les gafams[6]   imposent une censure idéologique sur la terre entière ;
  • Face à la toute-puissance du woke[7], la liberté de parole a disparu des universités, des écoles, des médias, de l’administration, des entreprises et bientôt et de la rue ;  
  • Ce pays a toujours fait la guerre en défensive de 1941 à 1990 ; il est au contraire à l’initiative de plusieurs guerres offensives depuis 1990 ;  
  • Il était le pays de la moralité puritaine ; il est devenu celui de toutes les excentricités sexuelles ; le Hollywood d’aujourd‘hui est bien différent de  celui des années cinquante ;
  • Sa vie politique était fondée sur le consensus constitutionnel. Il est quasi en guerre civile ; les vaincus des élections n’acceptent plus leur défaite et font tout pour saboter l’action de ceux qui ont été  élus ;
  • Les élections se déroulent dans un climat de fraude presque généralisé qui laisse planer le doute sur l’honnêteté des résultats ;
  • Des manipulateurs d’opinion, formés dans les meilleures universités,  sont dans les cercles du pouvoir à Washington, actifs aux Etats-Unis et à l’étranger ;
  • Les 17 services de renseignement (et d’influence) publics, CIA en tête, et les innombrables services privés emploient plus d’agents que le KGB au temps du communisme.
  • Des prisonniers sont retenus, hors de tout cadre légal et hors territoire à Guantanamo ; que dirait-on si la Russie en faisait autant ?
  • Ce n’est un secret pour personne que, au moins sous Obama, le président ordonnait souvent des « exécutions » extra-judiciaires, en principe hors du territoire national[8].

Sans doute l’idée que les Etats-Unis étaient le phare de la liberté dans le monde avait-elle quelque fondement au temps de la guerre froide, mais nous ne saurions être aveugles au fait qu’ils ont connu une véritable mue idéologique aux alentours de 1990. Cette date qui ne saurait être précise coïncide avec la fin du communisme et donc la fin d’une   concurrence qui contraignait les dirigeants américains à rester dans les limites de la raison.

La venue au pouvoir sous les présidents Clinton, Bush fils et Obama de « néo-conservateurs » qui ne sont conservateurs que par le culte qu’ils vouent à la force[9], la multiplication des guerres extérieures, dont l’Ukraine est la dernière, expriment la mutation de la démocratie américaine en un empire idéologique, désireux comme tout ce qui est idéologique de répandre son modèle, tenu pour le dernier (Fukuyama) et le meilleur dans le monde. L’alliance du très grand capital (Egon Musk excepté) et de toutes sortes de minorités activistes plus ou moins marxisantes (Black lives matter, LGBT, ultraféministes, fanatiques du climat, transhumanistes etc.) qui exercent une impitoyable police idéologique font des Etats-Unis un autre pays. Il n’y a certes pas de goulag, mais la presse a appelé le patronat à licencier   les salariés ayant voté Trump en 2020, ce qui, dans ce pays où les amortisseurs sociaux sont faibles, signifie les condamner à mourir de faim. Comme les soignants non-vaccinés en France.

C’est à ces Etats-Unis là que nous sommes confrontés aujourd’hui. Un bel homme, d’allure hollywoodienne, qu’on le veuille ou non, n’est plus aussi beau quand il a la lèpre.

A l’inverse, les pays ayant été touchés par la lèpre idéologique et qui en sont revenus, comme tous les anciens pays communistes, retournent, au moins en partie, à leurs caractères traditionnels. C’est peut-être, quoi qu’on dise, ce qui arrive à la Russie.  Le communisme n’était pas un avatar du traditionnel autoritarisme russe, comme le socialisme national n’était pas, quoi qu’en aient pensé alors les Français, un avatar du militarisme prussien. Nous aimions la Russie, sa littérature, son théâtre, sa musique, son goût de la science, nous n’aimions pas le communisme. Nous aimions les Etats-Unis au temps des western (malgré le sort infligé aux Indiens), du premier jazz, de son admirable littérature des années trente. Nous n’aimons pas les Etats-Unis woke et impérialistes.

Pour la Russie et certains pays d’Europe de l’Est que les gnomes de Bruxelles à l’esprit étroit ont tant de mal à comprendre, le meilleur vaccin contre la dérive idéologique est le souvenir des 73 ans de communisme qu’ils ont vécu. Une expérience de l’idéologie qui n’est pas derrière nous, ni aux Etats-Unis, ni en Europe occidentale.  Si nous ne la comprenons pas, c’est peut-être que nous sommes en plein dedans.

 

Roland HUREAUX

 

[1] Par exemple le goût de se mettre nus.

[2] Le Point, 19 décembre 2022.  

[3] Custine, La Russie en 1839, 10-18. 

[4] https://www.google.com/search?client=firefoxd&q=executions+in+tsarist+russia . Subsequently, under the Romanovs, mainly state criminals who made attempts on the life of the Emperor or threatened state power were executed : they included the pretender Yemelyan Pugachev, five leaders of the Decembrist Revolt, and the revolutionaries who assassinated Alexander II. From 1826 to 1905, only 525 people were executed in Russia. However, the 20th century put an end to such humanism.

[4] Pour comprendre la différence entre régimes idéologiques, voire totalitaires et les simples dictatures, voir Hannah Arendt, Le système totalitaire. Points-Seuil.

 

 

 

[6] Expression qui désigne les grandes entreprises de la toile : Google, Apple et Amazon, Facebook, Microsoft,

[7] Expression créée par les minorités activistes précitées qui pourrait se traduire par   éveiller. Eveillé à quoi ? Aux visions idéologiques radicales que ces minorités veulent imposer.

[8] François Hollande s’est vanté de le faire aussi.

[9] On peut au demeurant douter que la force soit une valeur conservatrice .

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3 octobre 2023 2 03 /10 /octobre /2023 14:36

DES IDEES A LA GUERRE

 

Eugénie BASTIE , La guerre des idées, Robert Laffont, 2021

 

Eugénie Bastié a fait dans ce livre un gros travail que reflète sa bibliographie : dresser un inventaire de la vie intellectuelle française depuis environ trente ans , en évitant de l’orienter vers une thèse univoque.

Elle ne tombe pas dans un travers de beaucoup de gens de droite : considérer que c’est gagné . On craignant le pire avec un chapitre intitulé « Les réacs ont-ils gagné la bataille des idées ? » . Mais non,  Eugénie Bastié reste lucide. Il est vrai que des gens issus de la gauche dont la liste est longue reprennent des idées généralement classées à droite : Finkielkraut, Marcel Gauchet ( qui souligne à juste titre le caractère toxique des idées de Bourdieu), Régis Debray ( rallié au gaullisme certes, mais pourquoi évoquer à propos de De Gaulle  la terre et les morts qui n’ont rien à voir , sauf à relayer les pires stéréotypes antinationaux de la gauche ? ) , Jacques Sapir ,  Jean-Pierre Le Goff, Jacques Julliard etc. Mais si ces intellectuels défendent des idées de droite,  ils  mettent un point d’honneur à se dire encore de gauche .  Et des journaux comme Le Figaro préfèreront généralement donner la parole à ces demi-repentis . Un homme de droite jamais passé par la gauche est supposé moins intelligent. Certes « il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se repent… » mais la presse dite « conservatrice » doit-elle être une maison de retraite pour utopistes déçus ? Ce n’est en tous les cas pas là pas la meilleure manière d’encourager une pensée conservatrice indépendante. S’ils prenaient sérieusement en compte tous les échecs et de la gauche depuis un siècle , ces repentis ne s’en réclameraient plus, ils auraient honte !  

La montée des idées de gauche , comme jadis la Révolution française,  aurait permis , suggère l’auteur, à la droite   de mieux se définir . On en cherche les résultats. Entre le retour poussif à Maurras ou Bonald , une loi naturelle mal comprise,  le durcissement réactionnaire un peu aveugle,  on  cherche en vain de quels progrès on parle.  Depuis deux siècles, la droite n’a cessé de se  définir dans les cadres intellectuels posés par la gauche. Chateaubriand le lui reprochait déjà.   

Des gens de gauche ont soutenu le plan Juppé en 1995 : mais n’est-il pas à l’origine de la bureaucratisation de la santé et de la crise hospitalière actuelle? Tant qu’à faire nous préférons les « intellos populistes »   qui ont soutenu, eux,  les gilets jaunes :  Onfray, Michea, Guilluy, sous le haut patronage d’Emmanuel Todd. 

 

  

Mais qui parle de gauche et de droite ? Se laisser enfermer dans cette opposition n’est-ce pas être   déjà sous l’hégémonie de la gauche qui l’a inventée   en 1789 ?   

Il y a aujourd’hui d’autres césures plus pertinentes et   qui se recouvrent: par exemple les mondialistes et les patriotes, les idéologues et les non-idéologues, c’est-à-dire les gens normaux ,  en incluant dans les idéologues presque toute la gauche d’aujourd’hui , les ultralibéraux mais aussi, s’il en reste, les socialistes nationaux ( en allemand : Nazional sozialismus).

Pourquoi cette hégémonie persistante d’une   gauche qui n’a plus   aucun projet , aucun message , sauf le démontage libertaire de ce qui reste de culture et de mœurs ? N’est-ce pas d’abord qu’étant idéologue , elle est plus intolérante, plus  sectaire, et donc plus intimidante, plus terrorisante que ce qui reste de la droite ? Le troupeau en a plus peur . On en voit tous les jours les effets.

A quoi j’ajouterais un point fondamental  qu’ E. Bastié n’évoque pas : cette gauche libertaire et sectaire est passée du côté du manche. La gauche, c’était au XIXe siècle déjà l’idéologie mais hors des lieux de pouvoir occupés , eux, par une bourgeoisie pragmatique.  Aujourd’hui l’idéologie de la gauche libertaire   est devenue celle du grand capital international  ( Gafam, Gates etc.) Elle tient 99 % des médias.   Hors des questions d’argent,  elle épouse toutes les positions de l’extrême gauche woke . Exemple : Macron que des attardés croient au centre ou même  Biden.  La force intrinsèque de l’idéologie conjuguée à la domination sociale :  tout cela fait une immense chape de plomb, celle que nous connaissons.

N'oublions pas non plus, dans l’ordre subliminal , le relent moral , hérité d’un christianisme dégénéré , dont bénéficie encore, on se demande pourquoi,  la gauche, malgré les régimes totalitaires, les effets destructeurs de la mondialisation -  une idée de gauche : « si tous les gars du monde… », les dégâts de toutes sortes ( à l’Education nationale, par exemple). Corruptio optimi pessima : ce que Chesterton appelait le christianisme devenu fou continue à faire des ravages, y compris dans l’Eglise.

Eugénie Bastié note que tous les think tanks économiques sont entre les mains de libéraux et d’ultralibéraux. Le premier blanc-bec venu qui veut se faire un nom publiera à 25 ans un pamphlet ultra libéral . Mais le pathétique   est que tout cela ne sert à rien :  ces gens n’ont pas empêché que la hausse des dépenses publiques , spécialement sociales continue depuis trente ans. Il est vrai que certains ont pris Macron pour un libéral, les pauvres.

Le deuxième caractère de l’époque contemporaine   n’échappe pas non plus à Eugénie Bastié : l’ intolérance sans précédent qui règne entre les deux camps ou plus exactement de la gauche pour la droite . Elle s’exprimait déjà dans le dérisoire  Rappel à l’ordre de Daniel Lindenberg (2002), coup éditorial de Pierre Rosanvallon, tenu à tort pour un  modéré, désignant au lynchage tous les penseurs qui pouvaient inspirer la droite . Les principaux évènements qui  témoignent de la montée de l’intolérance sont rappelés  par  Eugénie Bastié : les femens chères à  Caroline Fourest,   le chahutage de Marcel Gauchet aux  rendez-vous de l’histoire à Blois  (2014) , l’expulsion d’Alain Finkielkraut des Nuits debout, l’interdiction par des groupes violents, pas si marginaux que ne le dit l’auteur,  d’une  conférence de Sylviane Agacinski ( qu’aurai-ce été  s’il s’était agi d’une philosophe de droite ? ) et ça continue : l’appel à la mise au rancart de  tous  ceux qui ont  soutenu     la Manif pour tous,   de tous ceux  qui ne condamnent pas absolument Poutine , les incessantes procédures judiciaires contre tous ceux  que l’on soupçonne de « propos haineux » parce qu’ils ont des idées différentes etc.  Jadis Jaurès et Barrès , Drieu et Malraux pouvaient déjeuner ensemble. Aujourd’hui la gauche dominante, très minoritaire dans l’opinion mais qui donne le ton dans la classe dirigeante par la crainte qu’elle inspire, exècre tellement tout ce qui n’est pas elle que ce genre de fraternisation   n’est plus possible.

Ceux qui l’incarnent, Edouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie et tutti quanti sont-ils vraiment lus en dehors de leur secte,  comme un authentique écrivain de droite mais qui constitue une exception,  Houellebecq, est lu par tous ?   L’extrême gauche prospère dans ce que Dominique Reynié appelle la « basse intelligentsia » ,  milieu de plus en plus fermé.  Tout se passe comme si deux groupes culturels qui s’ignorent plus que jamais   fonctionnaient chacun dans son pré carré . Jusqu’à mettre le village intellectuel, en attendant le pays,   au bord de la guerre civile comme le sont déjà les Etats-Unis ? Des amis anglais nous disent qu’il reste plus de liberté d’expression   en France que chez eux . Bonne nouvelle mais on ne s’en rend pas compte tous les jours .

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

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3 octobre 2023 2 03 /10 /octobre /2023 14:34

L’ATTENTAT DE TROP

Un attentat qui pourrait cependant freiner l’escalade en Ukraine

 

Notre premier réflexe en apprenant l’attentat qui a mis hors d’usage les deux gazoducs reliant la Russie à l’Allemagne sous la mer Baltique, Nord Stream 1 et Nord Stream 2, a été l’horreur. Ceux qui ont commis un tel attentat sont prêts à tout et donc à l’escalade nucléaire, comme l’est, selon ses dires,  Liz Truss la nouvelle première ministre britannique .

Ajoutons la localisation de l’attentat: au large de la Suède, en plein milieu de l’Europe « civilisée » ou de semblables choses ne se faisaient pas, en tous les cas entre alliés.  Nous sommes aussi hors des lois de la guerre ordinaire, qui se déroule en Ukraine.

Les conséquences de cet évènement sont énormes : d’un coup la puissance allemande est mise à bas[1].C’est pourquoi la réaction des Allemands est très importante . Les dirigeants de ce pays, encore plus tenus que d’autres par l’Alliance atlantique   reste prudente.

Mais la population allemande, elle, n’est pas dupe .  Aucun Allemand n’imagine que l’auteur en soit la Russie comme ont tenté un moment de le faire croire les manipulateurs de l’opinion occidentale. Même les Américains ne le croient pas : 67 % d’entre eux pensent que le sabotage est d’origine américaine. Tous les regards se tournent vers Washington ou un de ses alliés proches – et doté de puissants moyens .

Pire, on peut , étant allemand, imaginer que c’est l’Allemagne qui est visée en premier chef et non la Russie pour qui la vente de son gaz en Europe occidentale n’est pas vitale, qui profite même de la fermeture du marché ouest-européen pour vendre  ses hydrocarbures en Asie à un prix élevé.

Mettons-nous à la place des Allemands de base : ils auront très froid cet hiver : pas de gaz et un climat plus rude que le notre.  L’inflation y est déjà plus importante que dans le reste de l’Union européenne  ; l’industrie s’effondrant, les usines vont fermer, le niveau de vie s’effondrer,  le chômage exploser. On peut déjà deviner que, à moins d’être complètement abrutis par la propagande,  ils ne porteront pas cet hiver le grand allié américain dans leur cœur.

L’Allemagne officielle est entièrement acquise la cause atlantique, spécialement les Verts dont est issue la jeune ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, 42 ans , young global leader [2].  Il y a , en face, à droite et à gauche, une Allemagne de la dissidence qui conteste le mondialisme , mais elle reste minoritaire . Entre les deux,  une opinion majoritaire hésitante qui, confrontée au réel,    n’est peut-être pas aussi malléable que l’on croit.

 

Refroidissement du zèle atlantique de l’Allemagne ?

 

Quoi qu’il en soit,   le gouvernement allemand ne pourra pas ne pas   tenir compte de l’écho dans l’opinion de cet acte terroriste dirigé contre le pays.  

Signe de temps nouveaux : le Bundestag vient de rejeter une demande de l’opposition CDU d’augmenter l’aide militaire à l’Ukraine, refusant en particulier l’envoi de chars s’assaut. La Pologne ne cesse de dénoncer l’insuffisance de l’aide de l’Allemagne qui fait, selon elle, le service minimum en Ukraine.

Il sera difficile à Berlin de refuser la proposition russe de réparer les gazoducs.  Il sera encore plus difficile de ne pas se servir des gazoducs s’ils sont   réparés. Dans six mois dit-on. Mais le gouvernement allemand a-t-il le dernier mot en la matière  ?

Même si l’Allemagne ne change pas de camp, son appui à l’Ukraine ne pourra être que mesuré.  

Les Américains aiment les grandes coalitions où aucune tête ne dépasse.  Ils comptent peu sur l’appui militaire de leurs alliés mais leur appui politique leur est nécessaire avant d’entreprendre une opération d’envergure comme le serait un élargissement du conflit en Europe de l’Est .

L’Allemagne qui s’est vue, au travers de l’opération de sabotage, traitée en ennemie , n’est sans doute pas prête à appuyer une telle escalade.  On peut espérer que, faute d’un tel soutien, les plus bellicistes des Américains y réfléchiront à deux fois avant de s’engager.

Les Américains peuvent craindre pire  : les Allemands et les Russes , également visés par l’opération , peuvent reprendre une coopération discrète comme ils l’avaient fait entre les deux guerres avec le traité de Rapallo (1922) , l’Allemagne restant sur le papier dans le camp occidental mais « finassant[3] » dans les coulisses. Mais la belle Annalena n’est pas Stresemann.

Si telle était l’évolution des choses, les super-faucons qui ont planifié l’attentat   auront de quoi être satisfaits. Si le premier but de la guerre en cours , comme certains le disent,  était de séparer définitivement l‘Allemagne de la Russie, ils auront réussi l’inverse.   Voilà ce qui arrive quand on pousse le bouchon    trop  loin. Un tel rapprochement ne serait pas forcément souhaitable pour la France, à moins qu’elle ne soit de la partie.

 

Roland HUREAUX

 

 

[1] A moins qu’un des  tubes  de Nord Stream 2 qui, parait-il n’aurait pas été atteint par l’attentat, limite les pertes .

[2] Un rapport de la Rand corporation, qui a récemment fuité, dit que pour affaiblir l’Allemagne , les Etats-Unis on un allié privilégié qui sont les Verts. Même si l’authenticité du rapport reste incertaine, cela ne correspond que trop à la réalité.

[3] Expression employée par Aristide Briand pour qualifier le double jeu de son partenaire Stresemann, officiellement pacifiste. .

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3 octobre 2023 2 03 /10 /octobre /2023 14:30

LES PENURIES DONT QUI VIENNENT RESULTENT ENTIEREMENT DE DECISIONS PRISES PAR NOS DIRIGEANTS

 

En 1972, un célèbre rapport du Club de Rome, ancêtre du Forum de Davos,  annonçait au monde la fin de l’abondance pour 2030 du fait de l’épuisement des ressources naturelles et des sources d’énergie. Rien de tel ne s’est à ce jour produit ni ne doit se produire à court ou moyen terme.  De nouvelles ressources ont été découvertes dans le sous-sol au fur et à mesure que les réserves connues s’épuisaient. Il y a aujourd’hui 50 ans de consommation de réserves prouvées de pétrole et de gaz, mais on en découvre toujours plus au fur et à mesure qu’on les consomme.

Les restrictions qu ‘on nous annonce, et même nous prescrit aujourd’hui, spécialement en Europe de l’Ouest, ont ceci de particulier qu’elles ne proviennent d’aucune limite physique ou naturelle. Elles résultent exclusivement de décisions humaines prises au cours des dernières années. Et elles n’auraient pas lieu d’être si ces décisions n’avaient pas été pises.

Cela est particulièrement vrai pour l’Europe occidentale.

Considérons ces décisions une à une.

 

Les pénuries d’énergie

 

La raréfaction des arrivages de gaz et , à un moindre degré,  du pétrole,  en Europe ne résulte d’aucune pénurie mondiale . Elle est , au premier degré,  causée  par les   sanctions prises à l’égard de Russie , un des principaux producteurs de ces énergies, dites fossiles .  Nous disons bien les sanctions que l’Europe a prises,  pas celles de la Russie !  Il était absurde de déclarer , comme l‘a fait le ministre français Bruno Le Maire,  qu’il allait livrer une « guerre économique totale » à celle-ci quand celui qui brandit le sabre a trois semaines de réserves et son adversaire  trois ans .

Il était aisé de prévoir que ces sanctions qui visaient à couler l’économie russe n’y parviendraient pas, la Russie disposant de nouveaux marchés en Asie,  et même que nous en seroons les premières victimes .    

Admettons que l’attaque de l’Ukraine par la Russie en février 2022 ait appelé une réaction forte.  Des sanctions auraient pu été justifiées si elles avaient des chances d’atteindre leur but : obliger la Russie à arrêter son offensive. Non seulement elles ne l’ont pas atteint mais elles ont frappé d’abord l’Europe occidentale – plus que les Etats-Unis qui ont des ressources énergétiques abondantes.   Une guerre totale est un grand mot qui ne devrait pas être employé à la légère  :  quand on n’est pas sûr de pouvoir la mener, les sanctions doivent être des signaux mais pas plus. Il est absurde de se punir soi-même plus qu’on ne punit l’adversaire.

Il est vrai que ces sanctions arrivent dans un contexte de pénurie mondiale. Mais elle ne vient nullement de la nature : si les nouvelles découvertes se font plus rares depuis quelques années , c’est que l’effort de prospection   s’est arrêté . Il s’est arrêté en raison du prix très bas qui fut longtemps celui des hydrocarbures mais aussi parce que les instances internationales  ( Davos, GIEC, Commission européenne etc. ) appelant à cesser à terme d’utiliser les énergies fossiles, les sociétés pétrolières ou gazières se sont demandé s’il valait la peine de continuer à prospecter.   Dans un tel contexte, la spéculation , anticipant des pénuries,  a  accéléré la hausse des prix .  La pénurie d’hydrocarbures résulte ainsi de facteurs entièrement politiques.   

En parallèle s’est répandue la mode de la voiture électrique .  Si les carburants fossiles doivent être    abandonnés au bénéfice de l ’électricité, l’industrie européenne de l’automobile , une de rares qui nous restait,  sera ruinée car les nouvelles voitures seront fabriquées à bas prix par les Chinois.  Le taux de carbone dans l’atmosphère se ressentira-t-il du passage à la voiture électrique ?  Pas forcément car le bilan complet d’une voiture de ce genre incluant la fabrication du véhicule,  la production d’électricité et le recyclage  de ses énormes batteries  est aussi lourd que celui d’une voiture à essence ou à gazole.  Elle exige en outre des métaux rares (lithium, cobalt, nickel,  terres rares). La voiture électrique exigera le maintien d’une production d’électricité d’origine nucléaire mais officiellement , il n’en est pas question :  le rapport Schwab qui spécule sur la disparition du recours aux carburants fossiles, se garde d’évoquer jamais le nucléaire. Si l’on compte alimenter les véhicules par des éoliennes, on sait que leur cycle produit encore plus de rejets carbone ( fabrication des assises en béton, construction, nécessité de centrales classiques pour les temps sans vent).

Particulièrement visée est la voiture au gazole dans la production de laquelle les Français étaient passés maitres :   grâce aux efforts des constructeurs,  le gazole pollue aujourd’hui moins que l’essence. Il coûte moins cher à produire et pourtant, il est plus cher à la pompe.  On veut le   faire disparaitre parce qu’ il  est un symbole, au mépris des classes populaires pour qui il revenait moins cher,  cela pour des raisons symboliques, pas techniques.

Il est vrai qu’une partie de nos réacteurs nucléaires (24 sur 56) est aujourd’hui en panne mais à qui la faute ? A un défaut d’entretien lequel est dû aux perspectives officielles de fermeture des centrales.

La pénurie et la hausse des prix subséquente ont été aggravées en France par le marché unique de l’énergie qui aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz. Résultat : la France premier producteur d’l’électricité à bon marché grâce à son parc nucléaire ne peut en faire profiter sa population puisque son prix est tiré par le haut par les mécanismes communautaires.

De la rupture avec la Russie résulte aussi la pénurie d’engrais dont nous avons abandonné la production au bénéfice de la Russie et de l’Ukraine et donc, à terme,  des denrées agricoles, alors que là aussi , rien n’imposait cette pénurie en dehors de la politique.  Elle entraine une hausse considérable du prix des céréales    qui va frapper de plein fouet les grands pays consommateurs d’Afrique dont les populations risquent de se trouver réduites à la famine, ce qui les poussera un peu plus à émigrer.   Là aussi, c’est la politique que l’on trouve au point de départ.

Disons aussi un mot sinon du covid , du moins des mesures autoritaires qui ont été prises pour y faire face,   à commencer par le confinement. Elles ont gravement perturbé les économies occidentales et se sont traduites partout par une baisse de la production . Nous ne discuterons pas des origines du virus ni des meilleurs traitements à lui appliquer   mais il y a de nombreux esprits dans le monde, et des meilleurs ,  qui pensent que la pandémie aurait pu être traitée sans que l’on bouleverse comme on l’a fait les circuits de production.  

 

L’ombre du réchauffement climatique

 

Par-delà les sanctions suicidaires prises par l’Europe occidentale, plane l’ombre du réchauffement climatique : c’est la première préoccupation du Forum de Davos si on en croit sa littérature[1]. L’oligarchie mondiale et les gouvernements à ses ordres comme le français pensent, sans preuves décisives,  que nous allons vers un réchauffement climatique catastrophique qui asséchera la terre, fera déborder les océans , dérèglera les saisons et menacera la vie sur terre.

Seuls sur la terre à prendre ces menaces au sérieux , les  Européens de l’Ouest   ( et en partie Nord-américains et Anglosaxons) ont décidé de prendre des mesures radicales  ( plan  vert pour l’Europe du 22  juin 2022 ) en vue d’atteindre  la neutralité carbone  ( c’est à dire l’absence de rejets de CO2 ) en 2050, ce qui suppose le disparition de la  quasi-totalité de notre industrie et de l’usage des  énergies fossiles , mais sans qu’on  nous dise ouvertement qu’elles seraient remplacées par le nucléaire. Comme les sanctions contre la Russie ont été décidées à peu près par les mêmes qui ont prévu de radicales restrictions écologiques, il y a sans doute là plus qu’une coïncidence.

Nous pouvons recommencer le raisonnement suivi plus haut sur ces choix écologiques qui débouchent sur des restrictions . Le réchauffement climatique est-il certain ?  Pour le moment,  la température du globe a cru de 1,5° environ depuis 1850 , soit 1 ° par siècle et ne voit même plus d’augmentation nette depuis   1997 . Admettons une hausse de   de 1 ° d’ici 2100 , : elle   ne devrait pas bouleverser l’écologie de la planète, sauf aux marges. Il est vrai qu’elle se double d’une hausse,  certaine elle, du taux de CO2, mais rendant les récoltes plus drues,  elle  n’a pas que des inconvénients [2].

Deuxième question : si réchauffement il y a , est-il dû à l’activité humaine – et notamment à l’augmentation du taux de CO2 ?  On ne saurait le dire non plus.  La réponse la plus probable est que non.

Enfin, si on admet que l’origine du réchauffement est humaine (anthropique comme on dit savamment) , les privations que l’on va infliger aux Européens , qu’on leur inflige déjà , peuvent-elles infléchir sérieusement l’évolution de la température terrestre. Sûrement pas car ils ne représentent que 10 % des rejets carbone de la    planète et la France 1 % . Et le reste du monde ? Presque personne n’y croit au réchauffement climatique et encore moins que les hommes puissent l’infléchir.  Seuls les Européens y croient et ils sont en train de couler leur économie et de faire chuter délibérément leur niveau de vie par des mesures tout aussi inutiles et suicidaires que les sanctions prises à l’encontre de la Russie.

Curieusement les sanctions l’encontre de la Russie arrivent au moment où le Forum de Davos préconise des restrictions énergétiques drastiques , qui doivent commencer par la suppression de énergies fossiles.    Question :  les sanctions contre la Russie n’ont-elles pas  été poussées au maximum pour réaliser plus vite le Great reset programmé à Davos ?   

 

L’inflation

 

Le hause des prix de l’énergie entraine toute l ‘économie occidentale dans l’inflation . Elle réduit donc le niveau de vie. Là encore on dira que l’inflation avait commencé avant la guerre. Mais elle résulte elle aussi de décisions politiques ; le déficit de la balance des paiements américaine a multiplié le nombre de dollars en circulation .  La monnaie unique européenne a multiplié les euros   par un mécanisme bien simple :  l’impossibilité de dévaluer ou de réévaluer les monnaies des pays de la zone euro, puisqu’ils ont tous la même, oblige les pays excédentaires à consentir des crédits importants    aux pays déficitaires . Le crédit,  on le sait, crée la monnaie et c’est ainsi que l’euro qui, au départ,  se voulait un mécanisme vertueux,  est devenu un mécanisme vicieux encourageant l’inflation. Ce que Hayek appelle « la loi des effets contraires aux buts poursuivis ». Là non plus, il n’y avait au départ aucune fatalité.

L’inflation entraîne   une déprécation des monnaies : n’était-il pas normal que les   producteurs   internationaux, ceux  de matières premières et d’énergie, dont l’offre réelle n’a pas cru à la mesure du gonflement considérable de la masse monétaire possédée principalement par leurs clients haussent leurs prix ?  

Il ressort de cette revue que parmi les privations en cours ou annoncées que l’on présente de manière biaisée comme une évolution irréversible de l’humanité , le châtiment divin de modernes trop riches ,  il n’y en ait aucune qui ne résulte de décisions politiques et par delà ces décisions,  des idéologies hostiles à la croissance. Châtiment de l’Occident , peut-être,  mais pas par des pénuries réelles, par la folie des dirigeants : quos vult perdere Jupiter dementat. Hostilité à la croissance ou décroissance, cela ne peut manquer de se traduire par une baisse de l’emploi , du niveau de vie et de la consommation,  par l’extension de la grande pauvreté dans les pays avancés et par la chute de la valeur de l’euro . C’est ce qui est en train de se passer  en France et en Europe et si ces pénuries suscitent des révoltes, c’est avec raison que les nouveaux gilets jaunes s’en prendront à leurs gouvernants quand on leur opposera une prétendue fatalité.

 

Roland HUREAUX

 

  

 

[1] Klaus Schwab et Thierry Malleret , The Great reset, 2020.

[2] Christian Gérondeau, Le CO2 est bon pour la planète, L’Artilleur, janvier 2020.

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3 octobre 2023 2 03 /10 /octobre /2023 14:27

A été soumise au Parlement une proposition de loi tendant à inscrire le « droit » à l’avortement dans la Constitution. Quoique le Sénat l’ait rejetée, elle reste dans le circuit.

Notons d’emblée que cette proposition est rigoureusement contraire à la position de Simone Veil, laquelle a répété à plusieurs reprises que l’avortement ne saurait être un droit, seulement un recours d’exception pour faire face à certaines situations notamment « de détresse ».  La loi qu’elle avait fait voter le 17 janvier 1975 affirmait le droit à la vie à l’article 1 . La gauche a depuis lors largement dénaturé cette loi, en supprimant toute mention du droit à la vie, la notion de détresse et le délai légal  a été  remonté à la sauvette par la loi du 2 mars 2022 , promue par Macron, de 12 à 14 semaines. Ce qui restait du délai de réflexion, 48 heures, a été  abrogé par la même loi.   Il ne suffit pas d’élever de statues à Simone Veil, encore ne faut-il pas tourner le dos à ses idées

Derrière la constitutionnalisation, on voir poindre la suppression de toute condition, jusqu’au 9e mois  (avec l’horrible chirurgie à laquelle il donne lieu quand l’enfant est à terme,   qui ont a longtemps pratiquée et continue de l’être aux Etats-Unis. ) . On peut aussi craindre  la suppression de la clause de conscience du personnel hospitalier, comme elle a été supprimée pour les pharmaciens.  

 

Une campagne mondiale

 

Ces projets : constitutionnalisation, remise en cause toute restriction et de la clause de conscience n’ont pas été inventés par les Français.  Ils figurent dans l’agenda de différentes organisations internationales comme l’ONU (division de la population) ou l’OMS, noyautées par des groupes de pression comme le Planned Parenthood World-Population et appuyées par des   magnats comme George Soros ou Warren Buffet, qui partagent les objectifs malthusiens de tous ceux qui veulent réduire la population mondiale.   C’est sur l’ impulsion des mêmes que Macron a instauré en 2018,  en catimini,  des séances d’éducation sexuelle    (on se doute laquelle) aux enfants du primaire. Sur ces sujets, les Français ne sont plus que des exécutants.

Ce courant a été profondément atteint par la récente décision de la Cour suprême des Etats-Unis qui remet entre les mains des Etats le droit de règlementer à leur guise l’avortement, comme c’était le cas avant 1973. Il se peut que la proposition en débat  ( bien entendu inspirée par Macron)  ait été  sous-tendue par le désir de prendre leur revanche sur   la décision de la Cour suprême en prenant pour cible   un pays significatif comme la France.

Quand promoteurs de la loi, parlent de faciliter l’accès à l’avortement, ils brandissent des restrictions qui existeraient encore.  Encore le spectre de   la morale classique, dite naturelle , dont les promoteurs sont présentés comme de méchants souriciers à la Walt Disney dont la bigoterie le disputerait à la méchanceté.  Cette image, vieux fantasme d’un féminisme obsolète, n’a plus aucun sens depuis presque cinquante ans.

 

Une majorité d’avortements sous pression

 

Dans une société « libérale avancée » comme la France, c’est exactement le contraire : on peut penser que la majorité des avortements n’y sont pas volontaires .

La femme enceinte est rarement bien vue surtout si elle a déjà des enfants.  Un modèle de couple à un ou deux enfants s’est imposé. Ceux qui s’en écartent semblent des excentriques, voire des irresponsables.

Il est rare que des femmes enceintes ne fassent pas l’objet de pressions ou de reproches .

Si elles ont moins de vingt ans, on leur dira qu’elles sont trop jeunes. Spécialement les parents (d’où l’absurdité des bien-pensants qui s’indignent qu’une autorisation parentale ne soit plus requise )  ; devant l’annonce d’une grossesse qu’elles n’auront pas planifiée elles-mêmes, certaines mères ou belles-mères peuvent être féroces

Les plus portés aux pressions sont cependant   les pères de l’enfant à naître ,  maris ou concubins, affolés par la nouvelle responsabilité que la grossesse implique et à laquelle rien ne les a préparés : plus que de la liberté des femmes , l’avortement est, en bien des cas, l’indicateur de    la lâcheté des hommes.

Aussi féroce est le monde du travail.   Quoiqu’un licenciement pour motif de grossesse soit illégal, il sera rarement affiché comme tel mais la jeune femme pourra , plus que d’autres, craindre de se trouver dans le prochain train de licenciements , voire de faire l’objet d’un harcèlement professionnel . Les pressions ne viennent pas que des employeurs mais aussi des collègues qui peuvent craindre une surcharge de travail pendant le congé de maternité et qui supportent mal un comportement qui parait de plus en plus déviant. Ces pratiques montrent le caractère obsolète de la devise  «  Travail, famille-patrie ». Dans le monde réel,   le travail ( disons l’entreprise) est bien souvent le principal ennemi de la famille – et de l’enfant.  Chez certains grands consultants, une femme cadre , au mépris des lois, n’est reçue comme partner que si elle s’engage à ne plus avoir d’enfants .

Pour se donner bonne conscience, les harceleurs diront que les femmes enceintes mettront au monde un pollueur de plus et agissent donc contre l’intérêt de la planète. Sans considérer que ce n’est pas vraiment la natalité qui menace l’Europe.  

Si les pressions directes sont exceptionnelles il y aura des remarques déplacées, des moqueries, des pointes sournoises qui feront craindre à certaines femmes s’avouer leur grossesse, voire de s’y engager .

Le monde médical qui devrait protéger la femme enceinte est souvent le lieu où on la décourage surtout si la femme est trop âgée , a déjà , juge-t-on, trop d’ enfants ou a un enfant qui pourrait être handicapé.  

Une anecdote récente : une aide soignante enceinte descendant l’escalier d’un grand hôpital parisien. Derrière elle deux pontes qui disent assez fort   pour qu’elle entende : « Les femmes enceintes, il faudrait les pousser dans l’escalier, pour quelles ne viennent plus perturber les tableaux de service ». On se permet aujourd’hui à l’égard des femmes enceintes, ce que la société ne permet plus vis-à-vis des homosexuels, des gens de couleur, ni de personne. Un renforcement de la protection juridique des femmes enceintes est plus qu’urgente.  

Les comportements que nous dénonçons sont d’autant plus lâches que la femme enceinte est dans une période de vulnérabilité physique et morale.

Il est absurde faux d’opposer les pro-life et les pro-choice car la décision d’avorter, ne résulte pas dans bien des cas d’un choix libre mais de la pression, de l’entourage ou de la nécessité financière.  Toutes les femmes n’ont pas la capacité de résister à des pressions indiscrètes.

 

L’importance de l’entourage

 

Une femme dont tout l’entourage accepte la future naissance n’avortera pas et , à l’inverse, bien peu auront la force de résister si tout leur entourage désapprouve leur grossesse.  Ce genre de pressions est sans doute une des pires violences faites aux femmes que l’on se garde bien de dénoncer.

Ce dont nous parlons, ce sont des réalités, de la femme réelle, de l’enfant réel.

Pour les ultraféministes (distinctes des féministes qui se préoccupent vraiment du bonheur des femmes), la femme est une entité purement idéologique. La liberté qu’elles revendiquent est purement abstraite.  Le résultat est, selon l’expression de Hayek qui vaut pour toutes les démarches idéologiques : « un effet contraire au but poursuivi ». Des femmes plus libres en principe, moins libres et souvent soumises à d’odieuses contraintes dans la réalité.

Cela vaut pour tout ce qui est idéologique. Un grand malheur de notre temps est que les réformes, en tous domines, sont faites à partir d’idées abstraites : par exemple en matière d’éducation, le projet d’une égalité abstraite qui conduit à une plus grande inégalité concrète.

N’hésitons pas à le dire, la proposition de loi que soutient le  gouvernement sur l’avortement, à mille lieux du pragmatisme de la loi Veil, est contraire aux intérêts des femmes, des femmes réelles.

 

Roland HUREAUX

 

 

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