« ŒIL POUR ŒIL, DENT POUR DENT » : UN MOINDRE MAL
Après les événements terrifiants qui se sont produits en Israël le 7 octobre à l’initiative du Hamas, il était normal que l’Etat d’Israël cherche à exercer des représailles.
Ce dont on pouvait rêver est qu’Israël se contente d’appliquer le vieux précepte biblique « Œil pour œil, dent pour dent » (Exode 21,23, Lévitique 24, 19-32).
Beaucoup de nos contemporains le tiennent pour l’expression de la barbarie des temps anciens. A tort. Il était certes naturel que, dans les guerres sans fin que se livraient à l’aube de l’histoire les tribus gauloises, les cités grecques, les Hébreux et leurs voisins, tout coup soit rendu, sauf à afficher une faiblesse qui pouvait menacer la survie de la tribu, impératif catégorique pour elle.
Mais, il faut bien le dire, la tendance naturelle après une agression est de rendre deux yeux pour un œil ou trente-deux dents pour une dent, et même bien pire.
C’est dire que la maxime biblique, prise à la lettre, représentait déjà un progrès de la civilisation.
Ne pas infliger à l’ennemi un préjudice plus grand que celui qu’il vous a causé est un signal de modération : nous nous battons mais nous sommes fondamentalement égaux, que le meilleur gagne ! C’est cet état d’esprit qui s’exprime entre Grecs et Troyens dans le récit de l’Iliade. A aucun moment Homère qui est grec, ni ses personnages ne tiennent les Troyens pour des animaux[1]. Ce ménagement peut seul rouvrir la porte du dialogue.
Or il faut bien le dire : il y a peu de cas dans les conflits du Proche-Orient où le principe biblique, quoique connu de tous, ait été suivi. Et rêver qu’il en soit ainsi cette fois relève du vœu pieux. D’ailleurs, il est déjà dépassé : Le 13 octobre, l’ONU annonçait 1400 morts du côté israélien et 1900 du côté palestinien. Pas de nouveau chiffrage depuis hors celui, invérifiable mais pas invraisemblable, de 5000 morts côté palestinien selon le Hamas (21/10). Si l’offensive israélienne se poursuit, on s’attend à bien pire.
Relire la Bible
Ceux qui envisagent une évacuation de tout le territoire de Gaza ont en vue le grand Israël (Eretz Israël), faisant leur le programme assigné à Moïse et Josué : « Tout lieu que foulera la plante de vos pieds, je vous le donne comme je l’ai déclaré à Moïse. Depuis le désert et le Liban jusqu’au grand fleuve, l’Euphrate et jusqu’à la grande mer, vers le soleil couchant, tel sera votre territoire. Personne, tout le temps de ta vie ne pourra te résister » (Josué 1, 3- 5). La poursuite de la colonisation s’inscrit dans cette logique. Elle avait inspiré l’assassinat du grand Itzhak Rabin (1995), fatal au processus de paix qui avait conduit aux accords d’Oslo (1995).
Les mêmes radicaux semblent ignorer cet autre passage, tiré du Livre des Juges : « La colère de Dieu s’enflamma alors contre Israël et il dit "Puisque ce peuple a transgressé l’alliance que j’avais prescrite à ses pères et qu’il n’a pas écouté ma voix, désormais je ne chasserai plus devant lui aucune des nations que Josué a laissé subsister quand il est mort, afin de mettre par elles Israël à l’épreuve, pour voir s’il suivra ou non les chemins de Yahvé comme les ont suivis ses pères. C’est pourquoi Yahvé a laissé subsister ces nations, il ne s’est point hâté de les chasser et ne les a pas livrées aux mains de Josué » (Juges, 2 20-23).
En d’autres termes, selon la Bible elle-même, le peuple juif devra toujours cohabiter avec d’autres peuples.
Le but de Netanyahou, officiellement, est seulement de détruire le Hamas et rien de plus. Mais comment y arriver sans infliger d’immenses dommages aux populations civiles ? Les chefs du mouvement islamiste sont déjà réfugiés dans d’autres pays, probablement au Qatar. Quant aux « soldats », aux exécutants, comment les distinguer de la population civile, dès lors qu’ils ne revêtent pas l’uniforme ? Les raids aériens ne les distinguent pas.
Légitimes hésitations
Le gouvernement israélien semble hésiter à lancer une offensive terrestre. Les soldats de Tsahal pourraient mieux choisir leurs cibles mais ils deviendraient eux-mêmes des cibles.
Même si le gouvernement israélien actuel veut aller jusqu’au bout, il est freiné par plusieurs considérations.
D’abord l’existence de 222 otages juifs, pas tous israéliens, retenus à Gaza et menacés de mort.
Ensuite le fait que Benjamin Netanyahou est très contesté par les Israéliens. Bien peu lui font encore confiance. Jamais les juifs d’Israël ne se sont sentis aussi peu en sécurité. Que le renseignement israélien, réputé le plus efficace du monde, n’ait rien vu venir, ou que l’armée n’ait pas réagi pendant plusieurs heures ouvre la porte à bien des soupçons. Sans doute la population israélienne est-elle , depuis l’offensive terroriste du Hamas, plus remontée que jamais contre les Palestiniens mais tous ne sont pas prêts à suivre le premier ministre où qu’il aille.
Les Israéliens peuvent craindre l’opinion mondiale : si prompte à les soutenir à la suite de l’action terroriste du 7 octobre, elle peut se retourner aussi vite contre eux si les bombardements de Gaza se prolongent. L’Occident et Israël, déjà détestés dans le « Sud global » le seront un peu plus.
Les Etats-Unis soutiennent sans réserve Israël, ayant amené deux porte-avions au large, mais le président Biden appelle à la modération : « Ne vous laissez pas entrainer par votre rage », dit-il. Comme presque tous les Occidentaux et le secrétaire général des Nations-Unies.
Les chefs d’Etat de la région, comme l’a constaté Poutine en tournée, ne souhaitent pas d’escalade. Mais les foules arabes ou musulmanes sont surchauffées. Face à des bombardements prolongés, il sera difficile aux responsables musulmans, à commencer par ceux du Hezbollah, de ne pas réagir. Les peuples pourraient pousser leurs dirigeants à la guerre. Nos banlieues ne sont pas non plus à l‘abri de nouveaux embrasements. C’est dire que la situation est pleine de risques.
Roland HUREAUX
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[1] Expression utilisée par le général Yoav Galant, ministre de la Défense israélien.