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Roland HUREAUX

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:22

L’EUROPE SELON CHARLES DE GAULLE

 et ce qu’elle est devenue après lui

 

Article publié dans la Revue politique et  parlementaire n°1094-1095, juin 2020

 

Interrogé  pour qu’il dise qui avaient été les grands Européens de l’après-guerre, l’archiduc Otto de Habsbourg, cita en premier lieu Charles de Gaulle[1]. Pour lui,  les grands  Européens   n’étaient pas ceux  qui avaient promu  telle ou telle forme d’organisation  du continent, mais ceux qui avaient relevé l’honneur de l’Europe après le désastre  des années trente et quarante, sur le plan non seulement  politique mais aussi et moral et intellectuel.

 

Pour la civilisation européenne

 

De Gaulle n’aurait pas  récusé une telle appréciation  qui, en un sens, correspondait à son dessein. Il  savait bien que la France qui lui tenait tant  à  cœur était, par sa géographie et par son histoire,  inséparable de  Europe dans son ensemble, « de l’Atlantique à l’Oural » « J’ai , de tout temps mais aujourd’hui plus que jamais, ressenti ce qu’ont en commun les nations qui la peuplent  (l’Europe) » [2].  De même qu’il ne  doutait pas que la place de la France était au premier  rang, il savait que la civilisation de l’Europe était inégalée, qu’elle avait et qu’elle devait  jouer encore un rôle essentiel dans l’histoire du monde. Au sens littéral, De Gaulle était tout le  contraire d’un « eurosceptique ».  Pour un Français,  servir la France, c’était, selon lui, la meilleure  manière  de servir l’Europe, voire d’épouser  « la seule querelle qui vaille, celle de l’homme ».  Pour lui, « ce que chaque peuple doit au monde, c’est d’abord lui-même. » 

Catholique, il ne passait pas son temps à disserter sur  la doctrine sociale de l’Eglise.  Il préférait  l’inspiration   de Chateaubriand ou de Péguy.  Il  sentait d’instinct le principe de subsidiarité dont une première application était  que l’Europe ne pouvait pas se construire  contre les Etats.  La participation et la promotion des régions qu’il proposa en 1969 avaient la même inspiration.  Certes,  aucun échelon ne devait écraser les autres mais l’Etat  demeurait pour lui  l’échelon majeur.    C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’Europe des Etats (il ne parlait guère de l’Europe des nations ) :    deux niveaux qui ne sont pas  en concurrence mais qui au contraire  se renforcent l’un l’autre. L’indépendance, valeur cardinale, valait pour lui  tout autant pour les nations européennes que pour l’Europe dans son ensemble: il ne pouvait y avoir d’Europe indépendante si  ses composantes  nationales ne l’étaient pas.

Cette culture européenne, il s’était très tôt appliqué, comme l’a montré le professeur Larcan, à bien  la connaître.   Familier de  la littérature française, il   s’efforça   très jeune d’ étudier  un  grand auteur par pays:  Goethe pour  l’Allemagne  ( mais il citait aussi Hölderlin), Shakespeare pour l’Angleterre, Cervantes pour l’Espagne,   Dante pour l’Italie; pour la Russie, probablement  Tolstoï.    Il ne chercha  pas en revanche comme Jacques Chirac  à  comprendre les civilisations orientales : il savait que l’européenne, la sienne,   suffisait à une vie;  pour le reste, il avait Malraux. 

Ajoutons que cet homme que les ignorants assimilent au   chauvinisme national le plus obtus, fut, avec Giscard d’Estaing, le seul chef d’Etat  de la Ve République à maitriser deux  langues étrangères[3].

Une telle approche  ridiculise  d’emblée ceux qui tiennent de Gaulle pour un homme du passé  qui, s’il était resté en vie aurait su évoluer , se serait rallié au fil des ans  à  l’Europe supranationale ou à la réintégration de  l’OTAN, comme les 306 députés UMP qui votèrent le traité de Lisbonne et les 329 qui approuvèrent celle-ci.

 

De Gaulle vs/ Monnet

 

Entre  les partisans  de l’ Europe de De Gaulle et celle des supranationaux, il n’y a pas  un  avant et un après, il y a une opposition fondamentale   qui  se fit jour à Londres  dès  juin 1940. Le 17  au soir, De Gaulle dîne chez Jean Monnet. Il lance son appel à  la radio de Londres le 18 au soir; le 19,  Monnet intervient auprès du cabinet  britannique pour qu’il cesse de parler. C’est en s’adressant directement à Churchill, dont la vision  de l’Europe n’était pas  très différente de la sienne, que De Gaulle retrouve le droit de s’exprimer  à la BBC.

A vrai dire, il n’y a jamais  eu   deux conceptions de l’Europe, il n’y en a qu’une, celle de De Gaulle. Celle de Monnet, qu’on lui oppose  - Monnet  que son père  avait envoyé vendre du cognac à Londres à  14 ans considérant que  les études ne servaient à rien -, était étrangère à la civilisation européenne; elle était   la section continentale de l’internationale mondialiste  dominée  par les Américains, le banc d’essai d’un Etat mondial,   comme il   le dit à la dernière ligne  de ses Mémoires: « la Communauté européenne n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain »[4].

Ce n’est pas par un attachement fétichiste  à la nation ou à l’Etat que De Gaulle refusait la conception supranationale , c’était par ce qu’il tenait pour la première qualité d’un homme d’Etat , le réalisme : « Je vois, dit–il,  l’Europe comme un ensemble de nations indestructibles. A quelle profondeur d’illusions ou de parti pris faudrait–il plonger pour croire que les nations européennes forgées au cours des siècles par des efforts ou des douleurs sans nombre, ayant chacune sa géographie et  son histoire, sa langue, ses traditions, ses institutions, pourraient cesser d’être elles-mêmes et n’en former qu’un seule ?[5]» .   

L’idée de confédération qu’il a opposée un temps aux projets fédéraux, n’était pour lui qu’ une perspective lointaine. Y croyait-il  seulement ? Il savait au moins, en bon politique,   qu’il fallait opposer projet à projet et ne pas rester sur le registre négatif.  Il croyait  en revanche à une collaboration étroite et permanente des principales puissances  européennes pour harmoniser leurs positions sur la scène internationale et y peser de  leurs  poids additionnés.[6] Et même « Il est conforme à leur nature qu’elles en viennent à former un tout ayant au milieu du monde son caractère et son organisation[7] ».

Autre marque de réalisme relatif  au projet européen : « là où il y a fédération, dit-il,  il y a toujours un fédérateur » ,  lequel , s’agissant d’Europe de l’après-guerre , ne pouvait être  que l’Amérique. De fait , sur toutes le querelles qui opposèrent De Gaulle aux Etats-Unis dans les années soixante ( et qui n’empêchèrent nullement  une union exemplaire dans les crises comme celles de Cuba et de Berlin) : la force multinationale, projet de Kennedy destiné à saborder la force de frappe française, l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun, l’étalon -or, le retrait de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN, le rapprochement avec l’URSS,  le  Vietnam, la guerre des Six jours, le Québec, les européistes à la Monnet, essentiellement   socialistes et démocrates-chrétiens, étaient du côté de Washington, comme si  les  deux causes, l‘Europe supranationale et l’allégeance atlantique, étaient indissociables.  Alors même que l‘entrée de Britanniques attachés à la souveraineté, qu’ils souhaitaient, aurait torpillé leur  projet.

Nous disons Europe supranationale : De Gaulle  ne disait jamais Europe  fédérale :  d’abord, parce que, maître du verbe,  il  évitait de donner un nom sympathique aux projets de  ses adversaires, ensuite parce  qu’il savait que  le projet de Bruxelles n’avait  rien de  fédéral.

 

De Gaulle, accoucheur de la Communauté européenne

 

Paradoxe : cette Europe institutionnelle qu’il n’aimait guère, De Gaulle contribua  plus que quiconque à ce qu’elle voie le jour. Il avait pourtant été  d’emblée     hostile à la  CECA et  à la CED, projets plus ou moins vite mort-nés et , s’il ne s’est pas  exprimé alors sur le  Traité de Rome instaurant le  Marché commun ou sur  l’Euratom,  on sait qu’il n’en était guère enthousiaste.  Et pourtant, revenu au pouvoir en 1958 , il mit tout son zèle à appliquer le traité de Rome et nul doute que s’il n’avait pas été là, ce traité  aurait fait aussi, pour les raisons que nous verrons,  long feu. Il tenait d’abord à  honorer  la signature toute fraiche de France, d’autant que la mise en œuvre  du traité apparaissait comme un défi  à relever: de 1959 à 1968, la France opéra, dans le cadre des Six et sous son égide,  le plus important  désarmement  douanier de son histoire.  Alors que les traités de la CECA et de la CED avaient été préparés sous l’égide  des Américains, ce ne fut pas le cas du   traité de Rome;   ils    n’acceptèrent jamais sa composante essentielle: le marché commun agricole.  Les Américains étaient  le  principal fournisseur de  céréales de l’Allemagne,  le  marché commun  devait permettre à la France de prendre leur place.  De Gaulle soutint d’autant plus  le traité qu’il    était favorable aux intérêts concrets des paysans  français, ce qui était, dans sa conception du leadership , important.   Monnet , assez naturellement,  avait  boudé lui  aussi le traité de Rome qui devait être pourtant la matrice de tous le développements institutionnels ultérieurs.

L’inféodation  des cinq autres membres de la Communauté économique européenne devait permettre aux Etats-Unis de faire avorter   le volet agricole. De  Gaulle  l’empêcha.  Il imposa  au forceps le 16 janvier 1962  le principe d’une politique agricole commune.  Mais le traité de Rome restait  ambigu :  derrière le volet technique , perçaient des arrière-pensées supranationales  que le général s’attacha à  mettre en veilleuse en abaissant la commission et notamment son président  Walter Hallstein, qui avait été impliqué dans le  projet paneuropéen  d’Hitler.  Il y parvint, après avoir fait la politique de la  chaise vide, au travers du compromis de Luxembourg  adopté  en janvier 1966  qui sauvegardait les droits des Etats sur leurs intérêts essentiels.    

Face aux prétentions  de la commission, le général de Gaulle tenta de promouvoir sa conception  de l’Europe, fondée sur une  étroite coopération politique des Six , respectueuse des droits  des Etats : ce fut le plan  Fouché (1962).  Ce plan  ayant été  refusé par une majorité d’ Etats – et les Etats-Unis -, le président français  se  rabattit sur le rapprochement franco-allemand, sorte de Plan Fouchet à deux, concrétisé par le traité du 23 janvier 1963, dit traité de l’ Elysée. Ayant dès le mois de septembre 1958 invité le chancelier Adenauer à Colombey-les-deux-Eglises, privilège dont lui seul eut l’honneur,  De Gaulle avait dès le départ vu  le partenariat   franco-allemand comme  la colonne vertébrale de la future Europe.  On  a trop dit que  ce traité avait été saboté par le Bundestag, qui lui adjoignit un préambule  tendant à le vider  de sa substance ; pas assez  que  ce coup de  poignard dans la réconciliation franco-allemande ( après un siècle de guerres)  avait été préparé par Jean Monnet, à l’instigation des Américains; pourtant   ce traité s’avéra, à long terme,   un relatif succès, plaçant le dialogue   franco-allemand  ( les  Allemands ont  horreur  que l’on parle de couple !) au centre   de la construction européenne.

De Gaulle  comptait aussi  sur l’application du traité de Rome pour obliger la France à se moderniser, au moins jusqu’à un certain point : lui  qui avait préféré en 1945 le plan Pleven au plan Mendès-France, plus exigeant, avait  assez de  réalisme politique  pour mesurer les limites de  cet exercice.  Il veilla  néanmoins , après la dévaluation de 1958, à ce que le franc ne décrochât  plus du  mark. La contrainte économique qui en résulta   est peut-être une des raisons de l ’explosion de Mai 1968. En dévaluant  le franc de plus de 20 % par rapport au mark à l’été 1969, Georges Pompidou  donna au contraire un coup de fouet sans précédent  à l’économie française dont la  magnifique croissance, de 1969 à 1974 permit de rattraper en partie notre retard.

Hors cela, on ne voit pas  de lien direct entre les  troubles qui entrainèrent, dix mois après,  le départ  du général et les enjeux européens; bien au contraire, la régionalisation qu’il soumit  à référendum de 1969 n’avait rien pour déplaire à Bruxelles.  A moins qu’on ne considère les questions  européennes que comme un simple volet de l’affrontement   franco-américain qui connut son climax en 1966-67,   et les  évènements de mai 1968 comme une revanche des forces sombres, principalement transatlantiques,  que  le général avait eu, comme nul autre avant et après lui, l’audace d’affronter.  Un affrontement qui n’avait rien de fatal  puisque les premiers mois de   1969, juste avant son départ, virent au contraire une belle lune de miel franco-américaine  dès lors que le général trouva à Washington   un interlocuteur à sa convenance en la personne de son admirateur Richard Nixon.  Mai 68 et ses suites économiques mirent  en tous les cas fin à toute  idée de retour à l’étalon-or  et de déstabilisation du dollar.

Depuis l’adoption du compromis de Luxemburg, un équilibre avait  été trouvé à six dans l’organisation européenne: les marathons agricole de fin d’année   donnaient l’apparence d’un affrontement permanent mais ils gardaient un caractère technique. On était loin cependant de  l’Europe dont le général de Gaulle avait rêvé: il n’avait  convaincu aucun de ses partenaires qu’elle  devait  prendre ses distances  vis-à-vis de la puissance américaine  et,   selon Alain Peyrefitte[8], le De Gaulle des dernières années pestait souvent contre  la machinerie de Bruxelles à laquelle il n’avait jamais adhéré qu’à contre-cœur. L’Europe gaullienne n’a  jamais vraiment  existé.

 

Après De Gaulle: Pompidou et Giscard d’Estaing  

 

C’est à  tort, selon nous, que l’on considère que Pompidou aurait trahi  l’héritage européen du général. S’il donna  le feu vert à l’entrée du Royaume-Uni dans  le marché commun, le général n’y avait pas opposé un refus de principe, seulement la nécessité d’un délai plus ou moins  long. Pompidou, il est vrai, précipita les choses. Si De Gaulle n’a jamais dit comme le veut la  légende « je veux l’Angleterre nue», il les aurait sans doute  fait trainer davantage. Le Brexit, 45 ans après,  a  montré combien il avait été lucide sur la difficulté d’intégrer  le Royaume Uni à une quelconque entreprise européenne.

Les accrochages mémorables entre  Michel Jobert et Henry Kissinger montrent que le France de Pompidou n’était pas encore inféodée  à l’Amérique. Cependant, la fructueuse coopération avec le gouvernement  Nixon se poursuivit.

Les personnalités   comptant autant que les doctrines, rien ne dit que De Gaulle aurait sympathisé plus que Pompidou avec Willy Brandt. Il reste que la  conséquence majeure de l’Ostpolitik, les accords d’Helsinki (1975), furent une   victoire posthume des idées gaulliennes.

Valéry Giscard d’Estaing   avait été ministre du général. Entre les gaullistes et les atlantistes, il fut un des rares  à  adhérer  sincèrement   à l’idée d’ une  Europe « fédérale » indépendante des Etats-Unis, alors  que   la plupart des supranationaux ne distinguaient guère  l’européisme de d’atlantisme le plus servile. Il s’exprima dans ce sens en promouvant  la création d’un  conseil des chefs d’Etat et de gouvernement  dont le concept était conforme à la  vision gaullienne,  et en instaurant avec  Helmut Schmidt un partenariat de haut niveau  relativement   égalitaire. Il se fourvoya cependant en pensant que  l’élection du Parlement   européen au suffrage universel allait favoriser l’émergence d’une Europe forte. Ouvert à  toutes les influences extérieures , ce grand corps  informe fut un des moyens de l’inféodation du continent.

La crise des euromissiles vit Giscard, ambigu par rapport aux Soviétiques, s’éloigner de l’atlantisme  sur un terrain que  n’aurait   pas forcement choisi  le général , intraitable quand les intérêts fondamentaux de l’Occident  étaient en jeu.   La France de Mitterrand apporta   au contraire   un soutien essentiel  à l’Amérique de  Reagan  en approuvant   l’implantation des euromissiles américains en Europe ( implantation  sans laquelle l’Europe occidentale se serait trouvée  assez vite   finlandisée ). Mais bien peu ont vu qu’il  ne put  le faire  que parce que  la   politique d’indépendance du général de Gaulle  avait conjuré durablement  la tentation pacifiste dans l’hexagone  - à la différence du reste de l’Europe. Kissinger avait d’ailleurs reconnu, dès 1973,  que la politique d’indépendance française avait plutôt renforcé qu’affaibli   l’Alliance atlantique. Voilà peut-être l’ultime contribution du général à l’équilibre européen et  même,  indirectement,   à la chute du communisme.

 

Mitterrand et Chirac

 

Peut-être plus que De Gaulle,  François Mitterrand et Jacques Chirac, au fond d’eux-mêmes,  pensaient d’abord français.  Mais l’opportunisme politique  les conduisit à se rallier, l’un et l’autre,  à la construction européenne. Mitterrand , tout en protégeant un Chevènement  - comme Chirac ne sut jamais le faire  avec ses propres souverainistes ouvrant un boulevard  au Front national - , devait tenir compte de la  culture européiste profondément ancrée  au parti socialiste, surtout dans la deuxième gauche rocardienne, démocratie chrétienne  décolorée, qu’il avait habilement intégrée à ce  parti.   Chirac, suivant une arithmétique sommaire, pensait qu’il ne pouvait être  élu président sans  les voix  du centre.

 

La fin du communisme,  réalisation  de la prophétie gaullienne

 

Le tournant des années quatre-vingt-dix vit l’effondrement  du communisme , événement majeur pour  l’Europe, conforme aux prophéties du général de Gaulle.  En théorie, il ouvrait les  portes d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural mais la rivalité persistante des Etats-Unis et de la Russie l’empêcha.  Il permit seulement  l’ élargissement de l’Union européenne à l’Est et, par la multiplication des membres , le renforcement de la commission .  Il n’est pas sûr que De Gaulle aurait fait tant de difficultés que Mitterrand  à la réunification de l’Allemagne  qu’il  pensait  inévitable , ni que l‘élargissement de l’Union européenne au Sud et à l’Est aurait  suscité chez lui  les réserves qu’expriment   certains de nos « souverainistes »,  ignorants  des  liens historiques forts qui attachent la plupart de ces pays à  la France . Il reste  que,  dans le cadre institutionnel actuel, cela ne pouvait aboutir qu’à  donner une majorité à des  petits pays le plus  souvent  téléguidés de Washington.

 

La mutation de 1992

 

Au même moment l’Europe institutionnelle connaissait en 1992 une mutation importante, marquée par la réforme de la  PAC et l’instauration de la  monnaie unique : le cœur du réacteur     européen cessait  d’être  agricole   pour devenir monétaire.

L’Acte unique, enfant de Jacques Delors, négocié par la gauche,  était voté par la droite en 1987. Au motif  de  faire un marché  parfait  tel qu’en  rêvent les économistes en chambre, il centralisait  l’essentiel de la  législation économique et sociale à Bruxelles, affaiblissant autant  le fédéralisme allemand que le Parlement français, devenu dès lors  une chambre d’enregistrement de  la réglementation européenne, ce qui    ne devait pas peu contribuer au discrédit de la classe politique en France comme  en Europe.  En même temps, la politique  intégriste de la concurrence appliquée par Bruxelles privait les Etats, dont  la France, de toute possibilité de mener une politique industrielle active.

Le GATT, moteur  efficace de la mondialisation commerciale, avait depuis longtemps affaibli  l’identité  européenne en faisant baisser partout les  tarifs douaniers  industriels. Si l’Europe était ouverte au grand large, l’Union douanière n’avait plus de sens. Sauf en matière agricole où la PAC  première manière instaurait des  barrières  protectrices solides.  A force de   coups de boutoir, les Etats-Unis  obtinrent que l’agriculture, jusque-là exemptée,   entrât dans la mécanique du GATT : le principe en    fut concédé    par Mitterrand en tête à tête  avec Reagan en  1984, puis mis en œuvre par Chirac en 1986. Cette banalisation de l’agriculture qui passa par les étapes de la réforme de la  PAC  en 1992 et les accords de Casablanca en 1995,  devait faire perdre à la construction  européenne  d’origine, celle que précisément le général de Gaulle avait soutenue, une partie de  sa raison d’être.  

 

La monnaie unique

 

Au même moment, toujours sous l’égide de Mitterrand, puis de Chirac, l’Europe institutionnelle se cherchait  une nouvelle  identité au travers de la  monnaie unique instaurée par  le Traité de Maastricht en 1992. Il n’avait jamais  été question de monnaie unique dans les années soixante, mais qui  peut imaginer que  De Gaulle aurait donné son accord à l’abandon définitif     d’un des  piliers fondamentaux  de la souveraineté, le droit de battre monnaie, avec tout ce  qui allait avec comme la maîtrise de la politique économique ?     Si le général avait  voulu, sans succès,   que le franc  vogue  de conserve avec le mark, c’était bien évidemment sans contrainte  et non sous la  férule de Bruxelles.

Considérons aussi que le général connaissait l’économie : il s’y était   mis  tard,  à l‘école de Jacques Rueff,  mais  en était venu à la  comprendre très bien au point de susciter  l’admiration de son maître: les conférences de presse qu’il y consacrait  étaient d’une admirable clarté pédagogique.  Pompidou et Giscard la connaissaient aussi . A partir de  Mitterrand, jusqu’à aujourd’hui, l’ignorance règne.  Que l’euro tel qu’il a été conçu, c’est-à-dire le mark repeint, dut  être un frein considérable à la croissance et de la France et de l’ Europe, et donc un instrument  de leur  déclin,  il nous semble que lui  l’aurait compris.  

Au moins deux  autres évolutions récentes de la construction européenne  sont aux antipodes de  la pensée gaullienne: la perte sans précédent de l’indépendance  de l’Europe  et l’évolution du rapport franco-allemand .

 

Une Europe de moins en moins indépendante

 

On peut  dire que plus la construction européenne a avancé, plus l’Europe a perdu de son indépendance vis à vis de son allié américain,  au point d’épouser aujourd’hui aveuglément, sous la bannière d’une OTAN largement sortie de son rôle originel,    toutes les mauvaises causes  dans lesquelles les hommes qui commandent à Washington, spécialement les « néo-conservateurs », ont réussi à l’entrainer : guerre des Balkans,  regime change   au Proche-Orient,  guerre d’Ukraine, sanctions  à l’encontre de la  Russie ou  exercices militaires provocateurs dans les pays  baltes.  

Pensons qu’ en 1956, onze ans après la fin de la seconde guerre mondiale et avant la signature du  traité de Rome,  Guy Mollet et Anthony Eden purent se mettre d’accord sur une expédition militaire conjointe au Proche-Orient  contre le vœu de Etats-Unis  (qu’elle ait mal tourné  sur le  plan diplomatique est une autre question : ils avaient pu   l’entreprendre). Aujourd’hui, Bruxelles n’oserait même  pas dépêcher  un émissaire dans cette région sans l’aval du  Département  d’Etat [9]. Une étape de cette évolution a été  le traité de Maastricht qui  subordonne explicitement   la politique européenne de sécurité commune (PESC)  à  celle de l’OTAN (article J 4) .

Dernier à résister à l’imperium américain, Jacques Chirac refusa – avec l’Allemagne – de participer à  la guerre d’Irak de 2003.  On dit  alors à Washington que la France serait « punie » . Peut-être par l’élection de trois présidents tenus de Washington avec une laisse de plus en plus  courte.   La réintégration plénière de l’OTAN  que Sarkozy fit approuver  à la plupart des députés  dits « gaullistes », constitue une étape importante  du  processus d’asservissement  de l’Europe. Ainsi, loin de s’opposer, l’indépendance de l’Europe et celle des Etat européens, comme l’avait vu le général,  vont de pair : là où  celle des Etats  s’affaiblit, celle de l’Europe aussi.

Inséparable de l’indépendance est la démocratie. Le référendum du 29 mai 2005 qui vit les Français repousser le projet de constitution européenne préparé par Giscard  montrait les résistances croissantes que  l’Europe de Bruxelles rencontrait auprès des peuples. Qu’une copie à peine amendée de ce projet, dite Traité de Lisbonne,  ait pu, quelques mois après,  être ratifiée   par le Parlement, constituait une injure à  la doctrine   gaulliste si respectueuse de la souveraineté populaire.

 

France-Allemagne: un  déséquilibre dangereux

 

L’autre évolution totalement  contraire aux vues du général est celle de la relation franco-allemande : il ne la concevait  qu’égalitaire,  et encore,  en 1963, du fait de son poids personnel,  l’avantage   était-il à la France.  Ce n’est pas tant la réunification ( qui n’apporta à l’Allemagne que 5 % de PIB en plus avec une montagne de problèmes) que l’euro avec ses effets   dissymétriques, qui a  transformé peu à peu le partenariat    en un rapport de subordination de la France   à l’Allemagne.  Mais encore plus décisifs dans cette évolution furent les  complexes  de la classe dirigeante  française: à force de traiter  par le mépris  l’héritage du général de Gaulle, elle est retombée dans une sorte de néo-vichysme   corrosif pour la  relation franco-allemande.  Avec la guerre du Kosovo (1999),   la France  de Chirac se joignait à   une opération de destruction de son allié historique  serbe, au bénéfice de pays sous influence  allemande. La même année, dans  le  traité de Nice (1999), Chirac consentait   à ce que la représentation parlementaire de l’Allemagne soit supérieure à celle de la  France, au-delà même de ce qu’exigeait la démographie.  La domination économique de l’Allemagne  que le carcan de l’euro  empêche désormais de rééquilibrer comme Pompidou avait su  le faire dans les années soixante-dix, au lieu de  rapprocher le peuples, les éloigne dangereusement. Et encore la  germanophobie n’a-t-elle pas encore  atteint en France  le niveau  de l’ Italie,  pays fondateur de la construction européenne  traditionnellement  le plus europhile  devenu le plus europhobe. Elle a pour contrepartie le mépris croissant, quasi-raciste, de beaucoup d’ Allemands pour les PIGS[10].

Asservissement sans précédent de la politique  étrangère européenne  à celle des Etats-Unis, affaiblissement par rapport au reste du monde et récession, déséquilibres économiques croissants et   ressentiments réciproques  des  peuples:  nous sommes loin de l’Europe telle que l’ avait  voulue le général de Gaulle:  indépendante, prospère et fondée sur le  rapprochement de peuples restés  libres . Même s’il n‘en a jamais formulé l’idée, Charles de Gaulle  a eu l’intuition de ce qu’était  le fait idéologique;  il l’ appelait  « les chimères », antithèse du réalisme dont il faisait sa règle absolue. En devenant de plus en plus  idéologique, l’Europe ne pouvait que s’éloigner de l’idée  que s’en faisaient les  grands européens de l’après-guerre comme De Gaulle, Churchill ou  Adenauer. L’idéologie obéit à ce que Hayek a appelé   «  la  loi des effets contraires aux buts recherchés ». Nous y sommes. 

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] A l’occasion du 50e anniversaire du traité de Rome, mars 2007. 

[2] Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, tome 1, page 181 .

[3] Pompidou et  Mitterrand ne parlaient pas de langue étrangère. Chirac, Sarkozy et Macron ne savent  à notre connaissance , plus ou moins bien, que l’anglais .

[4] Jean Monnet, Mémoires,  tome 2 , page 794,  Livre de Poche

[5] Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, tome 1, page 200.

[6] Les pays européens de second rang ne tenaient pas  beaucoup  de place dans la vision européenne de Charles de Gaulle. Ils étaient , il est vrai,  les plus inféodés à Washington.

[7] Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, tome 1, page 181

[8] Alain Peyrefitte, C’était De Gaulle, tome 3

[9] C’est ainsi que l’UE confia une mission à Tony Blair au Proche-Orient en 2007.

[10] PIIGS : Portugal, Italie, Grèce, Espagne ( Spain).

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:20

Du péché originel au transhumanisme

 

La question du péché originel ne concerne pas seulement l’événement mystérieux de la chute  première  ni  ne se réduit  à la théorie scolastique  de sa transmission.

Elle touche une réalité existentielle plus fondamentale : l’état  moral lamentable de l’humanité depuis les origines de l’histoire  – et sans doute avant.

 

« Pire qu’une bête ! »

 

Il ne s’agit pas que  des « petites » fautes : mensonges, vols, parjures, adultères . Il faut avancer en âge pour mesurer  la profondeur abyssale du mal  que les hommes peuvent commettre : guerres , spécialement  guerres civiles affreuses,  cruautés sans nombre , notamment contre les femmes et les enfants  , souvent associées à d’inimaginables perversions sexuelles, injustices particulièrement odieuses et  cachées ( comme celles que décrit Balzac dans  ses romans). Des guerres qui causent d’immenses souffrances sont décidées par très peu d’hommes .

Si l’on considère  la parole, don si précieux,  l’ampleur de certains mensonges, individuels et surtout collectifs laisse rêveur  . Si l’on considère l’économie  monétaire, nécessité anthropologie irrécusable,   quels abus  inimaginables ne recèle-t-elle pas , surtout  aujourd’hui ? 

On pourrait évoquer aussi les dérives  de cette institution fondamentale qui porte le nom  d’une des vertus, la justice,  dérives contre lesquelles  l’Ancien testament lui-même ne cesse de nous mettre en garde ( Ps 72 ;  Is 1, 23  et  5, 23 ;  Mi 3,  11) .  

De telles turpitudes ne  se trouvent pas chez les animaux.   S’il est vrai qu’un animal comme le tigre  ( ou  le chat !) peut , dit-on,  pratiquer la cruauté gratuite, il ne  l’inflige  pas à  ses congénères

Certes les carnivores  n’ont jamais épargné les herbivores.  Bien avant le péché originel,  les dinosaures carnivores  mangeaient les dinosaures  herbivores . Mais leur cruauté n’allait jamais au-delà de leurs nécessités vitales.    Pas davantage les guerres , les perversions sexuelles, les massacres gratuits  internes à l’espèce n’existent dans le règne animal.  Chez les animaux, les violences se  limitent presque toujours à la recherche de la nourriture et, parfois , à la rivalité sexuelle, bref au seul souci de la perpétuation de l’individu  ou de l’espèce.

On pourrait aussi regarder les conséquences du  péché. Toutes ces turpitudes rendent les hommes  malheureux , pas seulement comme victimes mais aussi comme coupables . Il  est rare que les fautes ( par  exemple l’avarice extrême) rendent heureux. La culpabilité , le suicide sont   aussi le propre  de l’homme [1] . De l’homme seul,  on peut dire qu’il  lui arrive de gâcher sa vie et qu’il aurait pu, en se comportant autrement, être bien plus heureux qu’il n’est. 

 

Le passage à l’humanité

 

L’important est de voir  que ces turpitudes sans nombre  sont le corollaire de l’entrée en humanité,  de ce qui  fait le propre de l’homme  : l’intelligence, la liberté, le sens du bien et du mal  , la spiritualité, une augmentation considérable de ses  capacités  par rapport à celles de l’animal.

Le fait de l’évolution est difficilement  discutable mais l’entrée de l’animal en humanité reste problématique.  Selon les penseurs de la dialectique  ( Hegel, Marx), une évolution quantitative , par exemple la taille du cerveau, entraîne de manière automatique un jour ou l’autre une mutation qualitative.  Des singes , puis des anthropoïdes de plus en plus   intelligents  ( comme la paléontologie en suit les traces ) doivent nécessairement devenir un jour des hommes tels que nous les connaissons .

Si l’Eglise catholique  reconnait le fait de  l’évolution, elle  n’a cependant jamais renoncé à affirmer que, conformément  au récit de la Genèse, il  ne suffisait pas   que l’homme soit modelé  à partir de la terre ou « d’une   matière vivante déjà existante »  dit Pie XII [2].  Pour devenir tel  , il fallait  qu’il reçoive en sus  le souffle de Dieu ,  un supplément  d’âme ou plutôt une âme tout court , événement précis , situé dans le temps même si on ne sait absolument ni quand ni où.  

Face à ces deux thèses, la dialectique du passage du quantitatif au qualitatif  ou l’adjonction d’une âme  , il se pourrait que  nous soyons bientôt fixés. S’il est vrai que  les progrès exponentiels de l’intelligence artificielle  doivent permettre  de faire bientôt des robots dotés de la même capacité  neuronale   que l’homme ( qui n’est pas mince : environ deux cent milliards de neurones  interconnectés ), nous saurons s’ils sont  alors  automatiquement dotés d’ une âme  ou pas.   

 

Election  de l’homme

 

Il reste  que cette    intervention de Dieu   sur un animal   donné,  pour lui  conférer son  souffle , ressemble bien à une élection.   Un acte  gratuit du Créateur  qui, à un moment donné,  choisit un animal , certes plus évolué que les autres mais qui  aurait peut-être pu continuer son petit bonhomme de chemin comme hominidé,   pour en faire   infiniment  plus : un être  doté de liberté  , de sens moral et dont  on pourra dire  pour cela  qu’ il est  fait à l‘image et à la ressemblance de Dieu, promis à   la vie éternelle.

L’élection divine  va ainsi de pair , dans l’espèce humaine,  avec la déchéance morale le plus extrême. – et  cette  autre forme de déréliction qu’est le   malheur, comme s’il y avait un lien consubstantiel entre élection divine et déchéance, non certes  un lien de principe  puisqu’il faut faire la part  de la bonté de l’acte créateur et de la liberté humaine,  mais  un lien de fait.   

Les  guerres affreuses du XXe siècle , les massacres immenses comme la  Shoah montrent que , malgré la montée des  bons sentiments et des institutions issus de la civilisation  chrétienne ou  de  son prolongement,  les Lumières : l’ONU, l’essor du droit international, la défense des  droits de l’homme, la  suppression de la  peine de mort ,   la chronique criminelle de l’humanité   n’est pas terminée.  Moins qu’à un progrès continu , il semble qu’on ait affaire à une croissance parallèle du bon grain et de l’ivraie , du bien et du mal, telle que la  décrit  l’Evangile.

 

Vicissitudes du peuple élu

 

Il en va de même   dans cette  autre élection que nous rapporte la Bible : celle du  peuple de Dieu, le peuple hébreu qui bénéficie non seulement d’une protection divine particulière , l’Alliance,  mais aussi  du don de la  Loi  à Moïse , rappel  de la loi naturelle, destinée  à  en clarifier  les obligations . Le médiateur de l’Alliance est   le Grand prêtre assisté par  un clergé dédié  dont la mission est  d’assurer  le culte de Yahvé mais aussi de maintenir  cette loi , afin que le peuple hébreu ne   la perde jamais de vue comme d’autres peuples   ont  pu le  faire – et comme l’avaient fait, selon la Genèse,  presque tous  les hommes avant  le Déluge .

Ce n’est pas   tomber dans l’antisémitisme mais suivre tout simplement  ce que dit l’Ancien testament  que de rappeler que l’élection divine  non seulement  n’a pas rendu le peuple élu meilleur mais au moins aussi mauvais   : Ps 14 ; Is , 6,  9 ;  Am 3,2 . Il est le peuple « à la nuque raide » que Yahvé est souvent tenté d’exterminer (Ex 33, 3) mais qu’il aime quand-même .

Dès le temps des  patriarches, les frères de  Joseph  se mettent d’accord pour le mettre à mort, puis pour le vendre. A peine sortis du « pays d’Egypte » et avoir bénéficié de la  révélation de la  Loi sur le mont Sinaï , les Hébreux au désert se mettent  à fabriquer et adorer  un  veau d’or. La situation  ne cesse de se dégrader au temps de Juges :  les Hébreux qui ont trouvé la terre promise  y multiplient pourtant les infidélités, au point que Dieu les prive  de l’usage exclusif de cette terre (Juges,  2 20-23).   Le premier roi d’Israël , Saül , tourne mal. Les rois David et Salomon , pourtant hommes éminents,  très proches de Dieu , tombent  dans des  fautes graves : mise à mort d’ Uri , mari  de Bethsabée pour le premier, idolâtrie sous l’ influence de  ses  nombreuses épouses pour le second. En punition des péchés de David, son fils  Absalom se révolte et s’unit, une à une,  aux  femmes  de son père ;  en punition des péchés de Salomon, le royaume est divisé en deux . Les rois qui se succèdent alors  sont en partie idolâtres  en Juda et le sont tous en Israël. La sanction tombe : la prise de Jérusalem par les Babyloniens  ( - 587) et la déportation.

Dieu  envoie les  prophètes aux Juifs ( nouveau nom de Hébreux, par référence à la seule tribu de Juda), pour leur rappeler sans cesse leurs devoirs  négligés,  leur reprocher leurs  turpitudes ( en premier lieu l’oppression des  pauvres : Is 5,8  et 11,4 ; Jr 34 8-22 ; Mi 2,2, Ne 5 1-13  ) et les avertir  des châtiments qui s’annoncent . Les  passages des Psaumes ou des prophètes condamnant le peuple élu pour  ses fautes  sont très nombreux.  Jésus Christ rappelle que ce  peuple, irrité d’entendre leurs  admonestations, a régulièrement  mis à mort les prophètes que Dieu lui envoyait , sa propre mort se situant  dans la continuation de ce rejet.

Aux fautes contre les commandements de base  ( idolâtrie, meurtres, vols, adultères,  faux témoignage, injustice  pour les pauvres  etc.), les Juifs de la basse  Antiquité ajoutent une  nouvelle perversion, que nous avons appelée le pharisaïsme qui, prend , elle , les  apparences de la vertu .  Péché au second degré, il  consiste    à prendre la loi comme une fin en soi sans accomplir  ce qui en est  la raison  d’être : l’amour de Dieu et du prochain . Une perversion que  ne devait pas être, est-il nécessaire du dire ?  le propre des Juifs .

L’histoire  du peuple hébreu et sans doute l’expérience de  la perversion pharisienne  qu’il connaissait pour avoir été lui-même   pharisien   ont  conduit saint Paul  à donner un nouveau sens à  la Loi. Il dit presque ouvertement cette chose choquante  qu’elle n’avait pas pour  but  de rendre  les Hébreux  meilleurs mais au contraire de les  rendre pire ( ou en tous les cas de leur faire prendre pleinement conscience qu’ils étaient mauvais )   afin qu’ils ressentent  mieux  , dans leur déchéance,  la nécessité d’une rédemption. 

« La loi, elle est intervenue pour que se multipliât  la faute » ( Rm 5, 20).  

 « La loi ne fait que donner connaissance du péché » (Rm 3, 20).

« Qu’est-ce à dire ? Que la Loi est péché ?  Certes non ! Seulement , je n’ai connu le péché que par la Loi.  Et de fait, j’aurais ignoré la convoitise si  la Loi ne m’avait dit : Tu ne convoiteras pas ! Mais saisissant l’occasion, le péché, par le moyen du précepte  produisit en moi toute espèce de convoitise : car sans la Loi  le péché n’est qu’un mort (Rm 7, 7-8) .

« Ah ! Je vivais jadis sans la Loi mais  quand le précepte est survenu,  le péché a pris vie tandis que moi je suis mort , et il s’est trouvé que le précepte fait pour la vie me conduisit à la mort »  ( Rm   7, 9-10).  

Ainsi selon saint Paul, la loi est cause de péché . Et il  se passe avec le peuple juif la  même chose qu’avec l’humanité dans son ensemble : le commandement du jardin d’Eden de ne  pas toucher au fruit défendu a provoqué la chute de l’humanité, la loi de Moïse précipite dans la déchéance une grande  partie des Hébreux.

 

Et l’Eglise !

 

Nous  en arrivons à une troisième élection, quoique beaucoup de  chrétiens la considèrent comme  la continuation de la précédente  : celle de l’Eglise.

Là aussi la sainteté  que l’on pouvait attendre de la nouvelle communauté issue du sacrifice du Fils  est loin d’être  au rendez-vous.

Les fautes imputées à  l’ Eglise  sont bien connues , dénoncées à satiété par  la propagande antichrétienne. On lui reproche l’usage de la  violence ( Croisades, guerres de religion), l’intolérance ( Inquisition ) ou l’injustice de ses tribunaux, voire leur obscurantisme ( affaire Galilée),   les obstacles mis à certains progrès  , sa passivité relative face à l’esclavage ou aux situations d’oppression de toutes sortes, la corruption  et la cupidité de certains prélats, l’hypocrise de ceux d’entre eux qui vivent dans  le  luxe ou la volupté, le népotisme. Et n’oublions pas des reproches scabreux plus proches de nous.  Qu’il y ait des  exagérations  dans ces accusations  n’empêche pas qu’ il y ait aussi du   vrai.

Ne sont pas concernés que le clergé mais aussi l’ensemble des fidèles : « ils vont à la messe mais ils ne sont pas meilleurs que les autres ! »

Parmi les griefs particuliers faits aux Eglises chrétiennes figurent leurs divisions séculaires,   mais aussi  le pharisaïsme qui n’est pas en définitive une perversion plus juive que chrétienne , notamment  au travers du durcissement de la loi de type janséniste ou rigoriste , qui a suscité en matière sexuelle la réaction libertaire  que l’on sait, tout aussi  perverse. 

Le procès contre l’Eglise, qui est d’abord un procès contre le clergé  ou les fidèles  de premier rang ,   s’ étend  aux nations  chrétiennes dans leur  ensemble .

Il n’est certes pas question de  nier les  apports incontestables de la civilisation  chrétienne  ; elle est sans nul doute la première de la terre  par ses accomplissements. Le progrès scientifique et technique, la  démocratie  et les droits de l’homme    se situent dans sa filiation , légitime ou non . On peut y ajouter des réalisations artistiques inégalées comme l’art roman ou gothique, voire baroque et  la musique polyphonique.

 

Les débordements de l’Europe chrétienne

 

Il reste que cette supériorité a son revers.

Le premier est que se trouvant à partir du XVe siècle plus forte que le reste du monde, elle a tendu à  déborder sur lui , généralement par la force, pour le meilleur et pour le pire. Il n’est pas sûr que les Occidentaux aient  commis plus de  massacres ou d’atrocités  que d’autres cultures hégémoniques dans la passé,  ni que ceux qu’auraient   commis les autres si c’était eux qui avaient été en avance .  Les  sociétés  traditionnelles ont cependant  été bouleversées par la colonisation,     épreuve  cruelle pour beaucoup. Savoir si    ces bouleversements  furent  pires   que ceux que suscite aujourd’hui   la mondialisation   , laquelle  touche aussi l’Europe chrétienne   et tend à la détruire  à son tour, demeure une question ouverte . Certaines des cultures antérieures présentaient des  tares qui les feront peu regretter : sacrifices humains  massifs au Mexique, anthropophagie dans les Caraïbes   ou l’Océanie. Mais , sans donner dans   l’angélisme, il semble bien que d’autres cultures  « premières » y ont perdu au contraire une certaine innocence.  L’Eglise ne reconnait certes pas la notion de « bon sauvage » à cause du péché originel . Il reste que  certains peuples ( pas tous)  présentent  dans  leur état  natif  une vertu collective qui a frappé les observateurs  : ainsi les Indiens des Grandes Antilles , aujourd’hui disparus, ou certains groupes  de Pygmées.  Plus vulnérables , ils ont été aussi  plus durement frappés, y compris par d’autres groupes indigènes.  Ce sont ces vertus préchrétiennes, ( rappelées par saint Paul : « quand les païens privés de la Loi  se tiennent  à  eux-mêmes lieu de loi , ils montrent la réalité de cette loi inscrite en leur cœur » ( Rm, 2, 14) que le pape François a  voulu  honorer dans le dernier  synode sur l’Amazonie.

L’autre effet pervers de la culture européenne , lié non point tant au christianisme lui-même  qu’à  sa dégénérescence contemporaine est le fait idéologique . « Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles (Chesterton). »  Même s’il s’est ultérieurement  répandu dans  le reste du  monde ( Chine, Cambodge) , le fait idéologique qui se trouve  à la racine des pires  crimes contre l’humanité,   tel qu’il a été décrit par Hannah Arendt et d’autres , trouve  son  origine dans la culture occidentale ( la Révolution française, Marx) .

Quoique dans la théologie  catholique , l’Eglise , « épouse  du Christ »,  demeure pure et sans tache  ,  sa réalité sociologique et  historique ne fut guère plus brillante que celle du peuple  juif  telle que l’ont décrite les prophètes . Il est classique de distinguer la personne de l’Eglise de son personnel  . Cela est certes moins visible du fait qu’un  chrétien renégat[3] n’est plus considéré  comme un chrétien, alors qu’un  juif en rupture  reste  , dans l’opinion commune, un  juif, mais n’en  reste pas moins vrai.

Il est d’ailleurs fréquent qu’on l’on applique  aussi  à l’Eglise  ( au sens large, pas seulement  la hiérarchie mais l’ensemble des baptisés ) l’image que le  prophète Osée applique au peuple d’Israël : celle d’  une prostituée que le prophète  épouse pour la purifier de ses  vices et continue  d’aimer malgré ses infidélités  , comme  Dieu  fait alliance  avec un peuple  rebelle et impur. Le regretté Maurice Clavel ne parlait il pas de « Notre putain  de mère l’Eglise »,   que le Christ réépouse chaque  jour pour la purifier ?   

 

Election, déchéance, rédemption : le mystère de la Croix

 

Il fait ainsi partie du mystère , non seulement du peuple élu et  de l’Eglise, mais,  au travers de   la  doctrine du péché originel  et de son histoire  entière , de l’homme lui-même,  que l’élection y soit  inséparable de la corruption, voire de la  déréliction.

Considérer le mystère du péché originel sans ses   prolongements dans l’histoire serait  donc très réducteur.

Les turpitudes de  l’ humanité vont avec son élection et tout ce que celle-ci apporte : la liberté, la responsabilité, le sens du bien et du mal.

On voit ainsi quels risques ferait courir au monde la réussite du projet transhumaniste, du projet   d’élever de manière artificielle les capacités de l’homme : dans la lignée de ce que nous voulons de dire , au supplément de pouvoir  correspondrait sans doute un supplément de malfaisance . Le premier projet transhumaniste , ne fut-il pas le national-socialisme dont l’ambition avouée  était   de créer une  surhumanité par la lutte pour la vie ( et donc la guerre) et la génétique, sur la base d’une science il est vrai sommaire  ?   

Pour revenir à  l’humanité ordinaire,  la  perte de   dignité qui semble intrinsèque à ses capacités a  trouvé , dans la vision chrétienne, son comble  dans la passion de   Jésus Christ  qui est l’aboutissement  de l’histoire juive dans la mesure où Jésus est juif et que  la responsabilité  de sa mort, historiquement partagée entre les Juifs et les Romains,  est aussi celle de l’Eglise et , au-delà,  de toute l’humanité.  Le  Concile de Trente  le rappelle :    « Si  l'on veut chercher le motif qui porta le Fils de Dieu à subir une si douloureuse Passion, on trouvera que ce furent, outre la faute héréditaire de nos premiers parents, les péchés et les crimes que les hommes ont commis depuis le commencement du monde jusqu'à ce jour, ceux qu'ils commettront encore jusqu'à la consommation des siècles.(…) Les pécheurs eux-mêmes furent les auteurs et comme les instruments de toutes les peines qu'il endura. (…)  Et il faut le reconnaître, notre crime à nous dans ce cas est plus grand que celui des Juifs. Car eux, au témoignage de l’Apôtre, s’ils avaient connu le Roi de gloire, ils ne L’auraient jamais crucifié. Nous, au contraire, nous faisons profession de Le connaître. Et lorsque nous Le renions par nos actes, nous portons en quelque sorte sur Lui nos mains déicides. »  (Catéchisme 1e partie, chapitre 5 - 3).

 Non seulement les juifs mais aussi les chrétiens et,  au-delà,   tous les hommes portent donc  la responsabilité  d’avoir mis  mort le Fils de Dieu venu à la rencontre de ces mêmes hommes  pour leur dire qu’il les aimait à l’infini.

Election, déchéance et rédemption sont le trois moments qui, de manière si l’on peut dire homothétique s’appliquent  au peuple juif, à l’Eglise chrétienne et à l’humanité entière.

Parmi ces turpitudes, la Croix est le crime suprême et,   par un retournement que seul permet la puissance de Dieu, le moment suprême de la Rédemption, rédemption qui est une  nouvelle création et aussi une nouvelle élection. « Là où le pêché a abondé , la grâce a surabondé » ( Rm 5, 20) .

 

Roland HUREAUX

 

 

 

  

 

 

[1] Comme l’avortement qui  a  souvent cet effet.  

[2] « Le magistère de l'Eglise n'interdit pas que la doctrine de l' " évolution ", dans la mesure où elle recherche l'origine du corps humain à partir d'une matière déjà existante et vivante - car la foi catholique nous ordonne de maintenir la création immédiate des âmes par Dieu - soit l'objet, dans l'état actuel des sciences et de la théologie d'enquêtes et de débats entre les savants de l'un et de l'autre partis »  Pie XII, Humani generis, 1950 . 

[3] Par exemple Hitler ou Staline .

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:17

LA POLITIQUE ETRANGERE  DE TRUMP EST PLUS RATIONNELLE QU’ON NE CROIT

 

Seule sa réélection peut garantir la paix en Europe

Ecrit en 2019

Les Européens, qui ne font que suivre les idées dominantes  dans  la presse américaine, se trompent complètement sur la politique étrangère de Donald Trump : il serait, dit-on, imprévisible, incompétent  et   ne songerait qu’à mettre la planète à feu et à sang. Les journaux publient toujours la même photo où il apparait comme un furieux capable des pires extrémités.

La vérité est à l’opposé : la politique étrangère de Trump, compte tenu des contraintes qu’il subit, est parfaitement rationnelle et elle est même une garantie de paix, bien plus que ne le serait celle de son rival démocrate Biden, tributaire des réseaux les plus bellicistes,  ceux qui soutenaient le  couple Obama-Clinton.  

Disons-le tout net : sa politique a fait beaucoup pour favoriser la   paix au Proche-Orient : il est le premier président depuis Ronald Reagan, à n’ avoir commencé aucune guerre, alors que son prédécesseur est responsable de quatre (Libye, Syrie, Ukraine, Yémen), ce qui ne l’a pas empêché de recevoir le prix Nobel de la Paix . Ajoutons que grâce à lui, la Syrie et l’Irak sont sur la voie de la pacification. Il a engagé en outre un dialogue inédit avec les talibans d’Afghanistan et la Corée du Nord. 

Dès sa campagne électorale, Donald Trump avait affiché ses objectifs proche-orientaux et , pour l’essentiel, s’y est tenu  :  mettre fin aux regime change, à la doctrine qui voulait démocratiser les pays arabes par tous les moyens , au besoin en les bombardant ou en  y appuyant les islamistes les plus fanatiques, soutenir d’avantage  Israël, ce qui passait  par la rupture que l’on peut juger regrettable de l’accord  de Vienne avec l’Iran ou, plus symbolique,  le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem.

Par derrière, un objectif inavoué : apaiser les relations avec Poutine, que Trump , poursuivi en justice par ses adversaires sur un soupçon de collusion avec Moscou , n’a pu atteindre qu’en partie . Il a néanmoins instauré une certaine détente  tout en maintenant une forte pression sur la Russie.

 

Un virage stratégique essentiel

 

Dans le triangle Amérique-Russie-Monde musulman, on peut dire en simplifiant que Trump a mis fin à l’alliance malsaine remontant au pacte du Quincy (1945) entre les Etats-Unis et l’aile la plus rétrograde de l’islam, notamment les mouvements terroristes actifs en Syrie, financés par les monarchies pétrolières.  Il a tenté de lui substituer une alliance avec le Russie contre le terrorisme islamique qui s’est traduite d’emblée  par la destruction de Daech. Dans la première configuration, qui était celle d’ Obama et  Clinton , l’Europe n’avait à attendre  que   des dommages collatéraux : terrorisme, immigration. Dans la deuxième, elle peut respirer.  

Ce changement, même entravé, devrait susciter chez les Européens une immense gratitude : ils avaient tout à perdre des scénarii   démocrates fous qui prévoyaient une guerre ultime contre la Russie dont l’Europe serait le théâtre, décrits  par George Friedman[1], président de Stratfor.  Nous devons sans doute aussi à Trump le recul du terrorisme en Europe, désormais privé de ses bases.

Derrière cette logique, une approche pragmatique : Trump défend les intérêts de l’Amérique d’abord (America first) et non point un projet mondialiste de démocratisation universelle, passant    par l’extension indéfinie du libre-échange, des migrations et de la théorie du genre.

Sans doute Donald Trump n’est-il pas un humaniste : il a opéré en 2018 des bombardements très spectaculaires en Syrie (tout en prévenant Poutine), il ne fait rien pour lever les sanctions inhumaines qui pèsent sur la Syriens  ni celles qui frappent la Russie, d’autant que leur levée profiterait   plus à l’économie européenne qu’à l’américaine.

Surtout, Trump subit des contraintes qui l’obligent à multiplier les leurres. La principale est celle d’une oligarchie médiatique, militaire et administrative, peut-être bancaire, ultranationaliste dont une partie ne songe qu’à en découdre avec Moscou. Les leurres : l’augmentation de crédits militaires, le mise en avant de faucons comme Pompeo ou Bolton qui ne sont pas les ultimes décideurs en matière de diplomatie, ce que le dernier nommé, vite retiré, a bien compris. Dans cette société belliciste qui se figure   dans un grand western planétaire, Trump, homme de communication comme l’était Reagan, a compris qu’il était moins dangereux de confier le rôle du bandit à l’Iran qu’à la Russie. L’assassinant de général Soleimani s’inscrit dans ce scénario ; après tout, il est moins grave de tuer un homme que de déclencher comme l’on fait ses quatre prédécesseurs, des guerres qui en tuent des centaines de milliers, ce que Téhéran a sans doute compris.

L’autre contrainte de Trump est son isolement intérieur qui le conduit à s’appuyer sur les réseaux sionistes les plus engagés, pas forcément juifs , comme les évangélistes qui forment sa base électorale.

Sur le scène extrême-orientale, Trump avait au départ envisagé de s’entendre aussi avec le président Xi. L’agressivité nouvelle de ce dernier, notamment dans la question de Taïwan, le rend difficile. D’autant que la guerre commerciale entre les deux puissances tend leurs relations, sans qu’à notre sens cela seul puisse être cause de conflit armé. La volonté de Trump d’opérer un rééquilibrage des échanges des Etats-Unis avec le reste du monde et singulièrement avec la Chine, si longtemps réclamé par les Européens, est pourtant légitime.

 

Roland HUREAUX  

 

[1] George Friedman, The emergent crisis in Europe, New York, 2015

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:16
LES REPENTANCES DE MACRON SONT AUSSI OFFENSANTES  POUR L’AFRIQUE QUE POUR LA FRANCE
11/02/2021
Il devient insupportable d’entendre le président Macron, chaque fois qu’il va en Afrique ( trop souvent à notre gré) cracher sur le passé de la France .  « Le colonialisme  , s’est-il cru obliger de dire à Abidjan , a été une erreur profonde et une faute de la République » .
Nous ne reviendrons  pas sur les arguments bien  connus qui réfutent ces propos sommaires : où en seraient ces pays s’il n’y avait  pas été colonisés  ?  D’autres, comme Driss Ghali dans Causeur [1], ont rappelé tout ce que la France avait  apporté à ses colonies africaines.
Macron s’abîme-t-il chaque  jour dans les affres de la culpabilité nationale ? Non . Au fond, il s’en fiche. Il dit cela parce qu’il se croit obligé de le dire. Ce faisant, il commet plusieurs  erreurs.   
D’abord il montre son ignorance. 
A une connaissance précise de l’histoire de nos anciennes colonies, prises une à une,  il substitue de poncifs   sur le  colonialisme en général   qui témoignent    de sa connaissance superficielle de la question. Sait-il qu’il fallut  en 1960 « pousser dehors » la Côte d’Ivoire qui aurait préféré rester  un département d’outre-mer ? Il est vrai que Houphouët Boigny avait été un ministre particulièrement en vue de  la  IVe République, un honneur  qu’aucune autre puissance coloniale n’avait accordé  à ses sujets.  

Sait-il que les  présidents de l’ancienne Afrique équatoriale française se sont cotisés pour ériger à Brazzaville  un mausolée à Savorgnan de Brazza qui avait fondé la colonie?

Sur le sujet de la colonisation  Macron ne  fait que répéter ce qu’on dit   dans les Universités américaines, gangrénées  par le politiquement correct  anticolonialiste . Il fut et reste le meilleur élève de Richard Descoings qui ne fit rien d’autre qu’américaniser  l’enseignement  des Sciences Po.   Il serait temps qu’il renouvelle sa culture  !

Chacun des pays que Macron visite est attaché à sa singularité . En leur appliquant  des clichés  passe-partout , il montre que, au  fond,  il ne s’intéresse pas vraiment    à eux.

 

Il est temps de traiter les Africains comme des gens normaux

 

Sent-il par ailleurs ce que peut avoir de blessant pour ses interlocuteurs  l’évocation du passé colonial ?   Rien de plus ambigu que la victimisation.  On ne rappelle  pas aux gens qu’ils ont été vaincus ou dominés, même sur le mode du repentir.  Dans le monde dur où nous vivons, être ou avoir été une victime n’a rien de glorieux.  Il faut    traiter  les Africains comme des  interlocuteurs  normaux . Que dirait-on si tout  président  italien ,  chaque fois qu’il visite  France,  venait  nous rappeler que nous avons été vaincus à Alésia , puis dominés,  fut-ce sur le mode de la  repentance?  Ces  subtilités échappent   à Monsieur Macron dont l’éducation ,  pour  avoir été bourgeoise,  ne comportait sûrement pas  ces délicatesses.

En clamant  que la colonisation a été   une « erreur » , il montre aussi  son absence de réflexion historique.  Erreur ? Tout au long de l’histoire ,  les civilisations   qui ont  pris de l’avance sur les autres  ,   ont été d’une manière ou d’une autre impérialistes vis-à-vis de leurs voisines  en retard . Les Perses, Grecs, les Romains, les Arabes, les Mongols  et pour finir les Européens.  C’est ainsi. Il n’y a pas à  pas avoir de repentance . Il faut seulement  savoir tourner la page .

Tous les guerres  africaines de la France ont d’ailleurs  fait bien moins de victimes que l’invasion du Congo-Kinshasa  par les troupes rwandaises de Paul Kagame entre 1997 et 1999, soit plusieurs millions. Non seulement  Macron n’a demandé  aucune repentance à ce personnage mais il ne manque  aucune occasion de  lui rendre les  honneurs , allant jusqu’à  l’inviter   au sommet du G7 de Biarritz et à promouvoir sa protégée à la tête de la francophonie. 

Il est vrai que certains  chefs d’Etat   africains usent ou  abusent de  l’alibi du mal que leur aurait fait la colonisation pour justifier leurs erreurs et  leur corruption. C’est particulièrement vrai de ceux de l ’Algérie. Le jeunes générations , tout aussi ignorantes que Macron de ce  que   fut    la colonisation , ne sont que trop promptes à  écouter ces discours . Il   ne sert qu’à entretenir  une  haine idéologique très éloignée de ce que  ressentaient  leurs pères colonisés  et qui est totalement stérile.  Macron rend un mauvais service à la jeunesse africaine  en l’entretenant. D’autant que ces sentiments sont transportés dans nos banlieues.          

Nous pourrions aussi rappeler qu’en  jouant  les coqs  quand il va en Afrique, il n ’ a pas pris la mesure du déclin de l’influence  française sur  ce continent  – dont la cessation du franc CFA dont il a l’air de se glorifier est un symbole . Seuls les dominants peuvent se payer le luxe de s’autodénigrer . Or la France ne domine plus rien sur  ce continent,  surtout  depuis son enlisement au Mali.  

 

Ne pas paver les  voies de la Chine

Mais comme là aussi les discours  oiseux risquent être  pris au sérieux,  à quoi sert désormais de vilipender  la colonisation    française sinon  à donner de la légitimité   aux entreprises concurrentes de la Chine,  de la Russie, des Etats-Unis , de l’Arabie saoudite bien moins respectueuses  de l’identité africaine que nous  ne l’avons été .

Ajoutons que les  pays africains   sont  des  pays  normaux , dont les chefs d’Etat , même corrompus,   savent ce qu’ils doivent à leurs peuples : ne pas les insulter, ne pas insulter leur histoire , les  rendre fiers de leur passé, soit les principes éternels  du leadership, exactement le contraire de ce que  fait Macron.  C’est dire que les rodomontades auto-flagellatoires du président français apparaissent aux Africains, comme  aux Asiatiques,  pour ce qu’elles sont : à la fois une bizarrerie et   le symbole de la décadence européenne.  L’intéressé n’en  récolte aucune estime, bien au contaire.   

Inculte, indélicat, pernicieux  et antinational, tel apparait Macron quand il fait ses virées  en Afrique. Il ferait  mieux  de rester chez lui.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

[1] https://www.causeur.fr/macron-colonisation-afrique-maroc-170537

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:12

DE TURC A MORE

https://www.bvoltaire.fr/dijon-de-turc-a-more/

11/02/2021

De Turc à More : c’est à cette vieille expression française, que l’on trouve chez Molière,  que font penser les règlements de compte entre Tchétchènes et Maghrébins qui ensanglantent la ville de Dijon.

Rappelons en l’origine : au XVIIe siècle, l’Empire turc contrôlait l’ensemble du monde arabe, de la péninsule arabique à l’Algérie, en passant par tout le Proche-Orient à l’exception du Maroc. Le traitement infligé aux Arabes par les Turcs a laissé un souvenir cuisant, moins médiatisé que celui de la colonisation européenne  mais autrement  plus cruel que ne le fut jamais celle-ci.    

Les Tchétchènes, comme les Turcs , quoique musulmans, ne sont pas des Arabes ; ils n’ont certes  pas été sous le contrôle de l’Empire turc, sauf passagèrement,  mais sous son influence, y compris sans doute dans l’idée qu’ils se font des Arabes . Ils sont, comme les Turcs, originaires d’Asie centrale. C’est pourquoi nous rappelons cette expression .

Là où d’autres se laisseraient impressionner, les Tchétchènes, présents sur le territoire  français, quoique beaucoup moins nombreux qu’eux,  n’ont, à la différence de l’Etat français,  apparemment pas peur des Maghrébins.

L’irrédentisme tchétchène  fut le principal problème qu’ait eu à affronter Poutine depuis qu’il est à la tête de la Russie. Il l’a résolu , après une guerre très dure, en mettant en place  à la tête de la Tchétchénie , restée membre de la Fédération, un gouvernement à sa botte , celui du dictateur  Ramzan Kadyrov ; mais les Tchétchènes constituent aussi une importante diaspora à Moscou  et maintenant en France, encadrée par une des mafias les plus redoutables qui soient. Le FSB (ex-KGB) suit , n’en doutons pas,  de près  les activités de cette diaspora. Il est probable que Poutine été informé en amont de l’expédition punitive  de Dijon.  A-t-il donné le feu vert ? Qui sait ?   Il n’est pas impossible en tous cas qu’il  y voie un pied de nez au  gouvernement   dévirilisé  ( à son gré)   de la France .

En tous les cas, les affrontements de Dijon envoient aux Français indigènes (c’est à dire de  souche) un message que beaucoup  auront entendu : si la montée des Arabes vous inquiète, les Russes, Tchétchènes ou pas, eux  n’en ont pas peur. Ils seront si nécessaire à vos côtés.

Ainsi la France serait ramenée à ce qu’était l’Empire byzantin à la fin de ses jours : un noyau historique de moins en moins majoritaire  dont le pouvoir ne se survivait qu’ en opposant entre elles les différentes communautés allogènes qui l’assiégeaient  pour qu’elles se neutralisent.  Avec un ministre de  l’ intérieur comme  Castaner  qui organise le désarment moral et juridique de la police, et donc de l’Etat ,  nous y arriverons  vite.

 

Roland HUREAUX 

 

 

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:09

 

COMMENT WASHINGTON OUVRE LES PORTES DU PROCHE-ORIENT A LA CHINE 

11/02/2021

S’il fallait  un témoignage du vent de folie qui souffle aux Etats-Unis à la suite de la guerre de Syrie,  on le trouvera dans  la loi intitulée « Caesar Syria Civilians Protection Acta ». Ce texte voté il y a un an par la Chambre des représentants mais qui vient d’être confirmé dans un texte plus large permet  de sanctionner tout gouvernement ou toute entité privée qui contribuerait  à la reconstruction de la Syrie. Quoique d’origine démocrate, il  aurait récemment le visa du président Trump.

Cette loi est particulièrement  inhumaine quand on sait l’ampleur des destructions dont  la Syrie a souffert – et qui font obstacle au retour des quelques millions de réfugiés .

Napoléon qualifiait l’Angleterre et aurait encore mieux qualifié les Etats-Unis de « nation de   boutiquiers » .  L’idée chevaleresque que quand la guerre est terminée ,  vainqueur ou vaincu, on tourne la page et on s’entraide  à reconstruire ensemble étrangère  la mentalité anglo-saxonne. Loin aussi l’esprit du plan Marshall qui vit les Etats-Unis aider massivement l’Europe détruite de 1945.

Mais cette intransigeance  s’explique aussi  par la dimension idéologique qu’a prise cette guerre. Les Américains ne conçoivent pas qu’une guerre qu’ils mèneraient ne soit pas une guerre du bien contre le  mal –  comme tous les idéologues.  Pour se conforter dans ce sentiment  ils ont construit  au fil des ans une machine de propagande colossale qui peut persuader  la terre entière que l’ennemi qu’ils combattent à un moment donné est  le pire  de monstres qu’ait connu l’humanité : hier Milosevic, puis Khadafi, , aujourd’hui Assad et pourquoi pas un jour Poutine ?  Et ce faisant , ils arrivent à s’en convaincre eux-mêmes . Nul  doute   que les membres de la   Chambre des représentants qui ont voté ce texte inique n’en soit convaincus.

La troisième explication    est que les Etats-Unis ne se remettent pas de ce qu’il faut  fait bien appeler un échec  an Syrie : ils ont soutenu militairement  les djihadistes pendant huit ans, de concert  avec les Européens, dans le but de renverser le président Assad,  et il est toujours en place. Nul doute qu’une partie des cercles dirigeants américains ne s’y résigne pas et  attend  la première occasion de  reprendre  le guerre pour  en finir avec  Assad. Dans son immense arrogance, la superpuissance ne conçoit pas l’échec. Ce n’est  pas le moins inquiétant.

Que sera le résultat de cette loi absurde ? Forcer le président  syrien à la démission ?  Après avoir résisté pendant huit ans à la coalition de la  première puissance du monde et du terrorisme international ,  il est peu probable qu’Assad abandonne la partie ; d’autant que s’il a résisté, c’est qu’il avait l‘essentiel de la population syrienne avec lui et que les sanctions ne vont faire que renforcer son loyalisme. Un retour immédiat à la paix  et la levée des sanctions normaliserait   la situation en Syrie : il est possible  que les Syriens envisagent alors  , hors de toute pression extérieure, de  remplacer Assad par un  gouvernement démocratique . Mais du fait du  Congrès, ce ne sera pas le cas .

L’autre  conséquence de la loi Caesar concerne plus directement la reconstruction du pays.  N’en doutons pas , il sera reconstruit,  mais par d’autres que les Occidentaux  . Par qui ? Les Russes ? Ils fournissent déjà l’aide militaire. Il est douteux qu’ils aient   le moyens de mener seuls ce  ce vaste chantier. On voit bien par  contre les Chinois   s’engouffrer  dans la brèche ainsi ouverte  comme ils savent le faire. Ils n’ont pas sûrement pas oublié, que la Syrie était au Moyen Age le débouché de route de la soie sur la Méditerranée . La Syrie reconstruite par les entreprises chinoises, à quelques jours de caravane des immenses gisements  de pétrole dont ils ont plus que quiconque ( plus que les Russes en tous  cas ) besoin , n’irait-on pas vers  la mainmise de la  Chine sur le Proche-Orient ? Ne serait -il as logique que des rejoignent le premier pays importateur  d’hydrocarbures et la première région exportatrice ?   Israël qui est obligé , depuis la calamiteuse guerre de Syrie, d’aller chercher  des garanties de   sécurité à Moscou , ira-t- il demain les chercher à Pékin  ?  Est-ce vraiment que l’on cherche   à Washington ?

 

Roland HUREAUX

 

                                        

 

 

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:07

A propos des élections américaines

LES RICHES GAGNENT TOUJOURS

05/02/2021

Le vieux  Marx,  qui aura bientôt 200 ans , nous avait prévenus : les sociétés sont gouvernées par une classe dirigeante et en attendant une hypothétique révolution prolétarienne, la vie politique n’est qu’un théâtre d’ombres où  cette  classe dirigeante impose ses volontés aux politiques.

La classe dirigeante, ce n’est pas le pharmacien du coin, ce sont les quelques dizaines d’immenses fortunes, aujourd’hui propriétaires de tous les grands médias de l’Occident, et qui décident seuls de  ce qui est politiquement correct ou ne l’est pas. On le savait dès le XIXe siècle : quand les intérêts de la bourgeoisie sont en jeu, la démocratie n’est pas pour elle une valeur absolue : elle s’était ainsi  ralliée à  Napoléon III parce qu’il était garant de l’ordre . Elle avait  applaudi  la  répression féroce de la Commune. La République n’a pu s’installer que parce qu’ elle « serait  conservatrice ou ne serait  pas » (Gambetta).

Les  événements  présents des Etats-Unis s’inscrivent dans la  même  logique. Donald Trump, malgré l’ image d’homme de droite que lui a faite une presse aux ordres,  avait la quasi-totalité des   plus grands milliardaires américains contre lui. Et cela lui a été fatal.

Si l’on regarde son électorat : en gros, dans ce pays où les choses sont simplifiées, parmi les Blancs, la moitié la plus riche a voté Biden, la moitié  la plus pauvre a voté Trump.

Si l’on regarde la géographie électorale, les grandes métropoles,  à commencer par celles de la côte Est et la Californie ont voté Biden, les zones d’habitat dispersé : Amérique des villages , peu nombreux, et des  petites et moyennes villes, spécialement dans les Etats de l’intérieur, où les revenus sont moins élevés, ont  voté Trump.  Les Noirs à cause du souvenir de Kennedy, hostile à la ségrégation,  et d’Obama  ont continué à voter  démocrate mais nettement moins que la dernière fois,  confirmant que le clivage de classe est plus pertinent que celui de la  race. Les Latinos aussi.

Pourquoi ce clivage électoral brutal ? La politique économique, déterminante en dernière instance, l’explique.

Nous l’avons oublié en Europe où le libre-échange   passe pour progressiste.   Le protectionnisme profite au peuple et le libre-échange, généralement le dessert. Il en va de même du contrôle l’immigration.

Le protectionnisme promu par Donald Trump a  protégé  les entreprises américaines et donc l’emploi  contre la concurrence étrangère, principalement  chinoise. Il a permis d’ouvrir ou de réactiver de nombreuses usines ou activités qui avaient dû fermer en raison des délocalisations.

En fermant les frontières aux immigrés latino-américains, Trump a mis fin à la pression à la baisse qu’exerçaient les nouveaux venus,  à commencer sur les salaires des  ouvriers non qualifiés noirs  ou latinos ; cette relation  de cause à effet est moins  visible en Europe en raison des minima sociaux de toutes sortes ;  elle apparait à cru en revanche aux Etats-Unis : toute  entrée de nouveaux immigrants fait baisser les salaires et  monter le chômage de ceux qui sont déjà là, surtout les moins qualifiés , souvent de couleur.  C’est ce qui explique la pénétration que certains trouvent surprenante de Trump dans l’électorat noir ou latino. Il n’a pas pris de posture antiraciste comme ses adversaires démocrates mais, en créant des millions d’emplois non-qualifiés, il a facilité l’accès à l’emploi des jeunes noirs. Et c’est cela qu’ils attendent :  Jobs not words.

Cette conjoncture économique, résultat direct de la politique de Trump,  lui aurait permis une réélection facile si l’arrivée, très opportune pour ses adversaires, du Covid-19, l’année de l’élection, n’avait mis fin à  ce retour d’une  prospérité partagée.

Mais n’importe comment, il est très difficile  de se maintenir au pouvoir contre la classe dirigeante des super-riches.

Pourtant la  politique « populiste » , c’est-à-dire favorable au peuple, ne semble  pas avoir affecté les bénéfices colossaux des oligarques  américains, en premier lieu les patrons des Gaffas, ses plus coriaces adversaires. Pas plus que le contrôle de l’immigration n’a empêché le président du Mexique d’être un des derniers à  soutenir  Trump. Alors pourquoi tant de haine ? Pourquoi tant de fanatisme chez les anti-Trump ?  Au point de les amener à  violer toutes les  règles de la démocratie : nous ne parlons pas tant de la fraude électorale dont la réalité est acquise  mais  dont  l’ampleur reste débattue que de la position unanimement hostile de  l’ensemble des médias au cours du mandat  et surtout de la campagne électorale : Trump fut en permanence privé d’accès aux médias, ce qui l’obligea à user de tweets pour communiquer, vecteur dont il est même aujourd’hui privé , et à vie !   Nous parlons des  oukases inouïs du patron de Facebook, première fortune mondiale,  annonçant à l’avance que c’est lui  et lui seul  qui désignerait  le vainqueur de la présentielle et qui se permet  d’interdire à vie le citoyen Trump et 70 000 de ses supporters  de tout  accès aux réseaux sociaux.  Toutes les spéculations de Marx sur le pouvoir de l’argent sont dépassées : désormais les très riches dirigent directement.

Trump lui-même milliardaire mais très en dessous de ses ennemis des Gafas (dans la ploutocratie américaine,  il n’aurait pas même pu se présenter en  2016 s’il n’avait pas été  doté de quelques moyens personnels) , n’a jamais manifesté son désir de subvertir le  capitalisme. Il n’est ni Lénine ou Trotsky. Mais ça ne suffisait pas : les milliardaires qui ont dirigé l’offensive contre lui ne supportaient pas qu’il ne  soit pas entièrement aux ordres, qu’il ait mené une politique qui ne va pas dans le sens de leur idéologie : libre circulation de marchandises et des hommes, perspective d’un gouvernement mondial  se substituant à terme  à celui des Etats-Unis. Le grand capital ne pardonne pas à ceux qui ne lui sont pas entièrement inféodés. Et généralement il gagne.

 

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:05

JOE BIDEN, OU LE FASCISME   LIBERAL

05/02/1921

Quand les observateurs auront quelque recul, ils ne manqueront pas de s’étonner que ce qui suscite l’enthousiasme de la gauche américaine et européenne, ce soit l’élection  d’un personnage comme Biden

Les sots qui peuplent une certaine droite disent : ne nous inquiétons pas, en réalité, il est plus à droite que Trump. Comme s’il suffisait d’être inhumain ou corrompu pour être de droite !  

Le palmarès du personnage est impressionnant : en Europe, on le qualifierait de fasciste (ce qui, pour les gens civilisés, n’est pas du tout la même chose que la droite).

Elu depuis presque un demi-siècle, il est facile de tracer son parcours :  il s’était  opposé en début de carrière à la déségrégation, en continuité avec la composante sudiste du vieux parti démocrate, avant que celui-ci ne vire au gauchisme sociétal. Il a fait l’éloge de son collègue sénateur de Caroline du Sud, Stroma Thérond, proche du Ku Klux Klan, qui s’était présenté à la présidence en 1949. Il a soutenu un projet de loi qui conduisait à l’incarcération à vie de petits dealers, sans doute en liaison avec le complexe industriel carcéral avide de main d’œuvre pénitentiaire à bon marché. Il soutenu la croissance sans frein de Wall Street, le Big Pharma (on le voit toujours avec son masque, comme Joe Dalton à la banque), les projets des Gafas et du Big Tech de créer un état de surveillance sanitaire et civique généralisé.  Fascisme   de droite, celui de la surenchère sécuritaire et fascisme de gauche, celui du contrôle généralisé des personnes par les réseaux numériques, se rejoignent en lui.

 

Le Delaware, un Etat spécial

 

Ajoutons que Biden a soutenu toutes les interventions militaires américaines à l’étranger depuis un demi-siècle, y compris les plus hasardeuses comme l’Irak ou la Syrie. Comme Hillary Clinton, il a apporté un soutien décisif au Sénat à George W. Bush, pourtant républicain,  pour envahir l’Irak, une équipée que Trump au contraire n’a pas  manqué  une occasion de dénoncer.

Question argent, il a été sénateur du Delaware pendant quarante-cinq ans. C’est un tout petit Etat contrôlable avec un bon réseau mais très spécial : situé non loin  de Wall Street, il en est la soupape de sécurité, ayant le statut de paradis fiscal au sein même des Etats-Unis. Le lieu idéal pour blanchir les transactions douteuses, sous le contrôle des réseaux mafieux.

On ne sait pas encore tout  des turpitudes financières de son fils Hunter Biden, révélées grâce au malencontreux oubli par ce dernier de son ordinateur chez un réparateur, mais on commence à savoir que le père y était associé. Encore avide d’argent à 78 ans, ses activités financières, à base de trafic d’influence, s’étendaient sur la planète : Ukraine, Russie, Chine. 

Qu’il aille à la messe le dimanche fait tressaillir de joie certains prélats des deux côtés d’Atlantique ; pensez : un second président catholique après Kennedy : catholique mais favorable à l’avortement sans contrôle (comme c’est le cas aux Etats-Unis), aux droits les plus étendus des LGBT, tous dossiers où il   suit les tendances les plus libertaires. Signal fort : il vient de nommer un ministre de la santé transgenre.

Il est facile de voir par quel mécanisme il est arrivé là où il est : quand le parti démocrate, appuyé par la haute finance qui voulait rendre l’image des Etats-Unis dans le monde plus sympathique au travers d’un président de couleur, a investi Obama, il fallait un vice-président venu de l’extrême-droite pour rassurer l’électorat réactionnaire.  Vice-président pendant huit ans, il est  connu et supposé compétent. Il est donc ce que le parti démocrate a trouvé de mieux à opposer à Trump, un choix qui   témoigne   du rétrécissement du vivier de compétences politiques dans la jeune génération. Il a été aussi jugé assez affaibli mentalement pour  être dirigé par les forces sombres qui gravitent dans les hautes sphères démocrates, à commencer par les    Gafas et le complexe militaro-industriel qui lui apporte un tiers de son cabinet. D’aucuns espèrent sans doute qu’il se retirera vite au bénéfice de sa suppléante Kamala Harris, ni mâle, ni blanche,  et dont l’accession à la Maison baluche serait donc on ne peut plus  politiquement correcte.

Mais par-delà ces raisons politiciennes, l’accession d’une personnalité  d’un tel   profil   au sommet est l’expression emblématique de ce qu’est devenu le libéralisme centriste, libertaire, écologiste, universaliste si prégnant aujourd’hui dans  l’opinion des deux côtés d’Atlantique.  Il n’a rien à voir avec le libéralisme bourgeois classique, dépourvu d’esprit de système et tolérant :  son durcissement idéologique en a fait au fil des ans le vrai danger fasciste, comme le dit plus franchement que nous l’extrême gauche américaine . Du fascisme, on peut avec Biden cocher presque toute les cases :  impérialiste et militariste - voir les neufs guerres entreprises ou soutenues au Proche-Orient, en Europe et en Afrique depuis trente ans  qu’il a toutes soutenues ; Trump, lui, n’en a déclenché aucune .   Antilibéral : voir la discipline croissante du langage, les projets de contrôle des communications mondiale par les Gafas qui le soutinrent totalement, et, comme en Europe, la vigilance judicaire toujours plus serrée à l’égard de tout écart dans les médias et bientôt dans la rue. Antidémocratique, puisque le pluralisme de la presse indispensable à la démocratie n’existe presque plus : Trump avait 90 % des médias contre lui. Les dissidents ne vont plus au goulag, au moins pas encore[1] ,  mais une implacable chasse au politiquement incorrect les marginalise dans leur profession ou l’opinion. Ajoutons que cette chasse se fait sur le fond d’une intolérance telle qu’elle fait de   ces idéologues le vrai « parti de la haine. » Que le directeur du magazine Forbes  , celui du grand capital par excellence,  ait annoncé qu’il détruirait l’image de  toute entreprise qui embaucherait un pro-Trump montre dans quels temps sombres nous entrons. 

Espérons seulement que la mise en avant d’un tel personnage, oxymore à lui tout seul, dont le déclin mental est inquiétant, sera le chant du cygne d’une idéologie mortifère qui est devenue, à la place du communisme, la menace principale contre la liberté.

 

Roland HUREAUX

 

 

 

 

 

[1] Attendons pour en être sûr de voir ce qu’on fera des rebelles à la vaccination universelle.

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:02

LES TROIS MODELES FAMILIAUX (2)

Suite de l'article

29/01/2029

Au sein du bloc qu’offre la chrétienté fondé sur la monogamie stable et l’exogamie,   la typologie introduite par Emmanuel Todd, après Frédéric le Play,  autour de deux principaux critères : coexistence de plusieurs générations ou famille nucléaire, égalité ou inégalité des enfants, n’amène, au sein de la  famille du troisième type  que des nuances,  porteuses néanmoins de signification. 

Rappelons cette typologie

Famille autoritaire

Plusieurs générations ensemble

Droit d'ainesse

Allemagne, Pays basque, Gascogne, Sud du Massif central

Famille communautaire

Plusieurs générations ensemble

Egalité des enfants

Russie, Toscane, Nord du massif central

Famille nucléaire égalitaire

Famille nucléaire

Droit d'ainesse

Angleterre

Famille nucléaire inégalitaire

Famille nucléaire

Egalité des enfants

France (Bassin parisien)

Ces variantes ne sont  pas neutres. Notre hypothèse est que la famille communautaire, laquelle,   à la polygamie près, se rapproche de la famille du second type,  conserve un caractère archaïque. La famille autoritaire aussi mais avec une plus grande facilité d’évolution : d’abord parce que la force  du lien  hiérarchique lui  garantit une plus grande  efficacité, ensuite parce qu’elle  aboutit à l’expulsion des cadets,   obligés d’aller  chercher fortune ailleurs : on connait le rôle des Basques dans la colonisation de l’Amérique latine. Ce modèle de famille autoritaire et inégalitaire n’est pas seulement lié à certaines régions ; il est celui de la  plupart des aristocraties européennes jusqu’à l’époque moderne.

Entre la famille nucléaire égalitaire et la famille nucléaire inégalitaire, il est plus difficile de déterminer quelle est   la plus avancée, si tant est que la question ait un sens. La  famille nucléaire combinée à  l’inégalité des enfants (soit par l’exercice du  droit d’ainesse, soit par la pouvoir discrétionnaire du  de cujus) a jeté, selon Emmanuel Todd, les fondements de l’individualisme anglo-saxon dont on connait la brillante destinée, au travers de l’essor du capitalisme. Mais le droit d’ainesse y est un héritage ancien dont la  raison d’être dans l’aristocratie anglaise, comme dans toutes les aristocraties européennes, était le maintien des lignages.

On ne saurait en dire autant de la famille nucléaire égalitaire dont le terreau d’élection fut la moitié nord de la France. Le sort des patrimoines lignagers lui importe peu. L’égalité non seulement formelle mais réelle des hommes lui parait plus importante. Son expression emblématique fut la Révolution française,   triomphe,  au moins sur le plan des principes,  à la fois de individualisme et de l’égalité.

Mais avant de déboucher sur le phénomène révolutionnaire, la famille nucléaire égalitaire  avait été  aussi l’aboutissement le plus achevé de l’idéal catholique.

Famille nucléaire : « Tu quitteras ton père et ta père » est un des premiers commandements de la Bible. Il favorise le libre  choix des conjoints préconisé par l’Eglise (à moins que la famille nucléaire n’en soit la conséquence) ;  

Famille égalitaire : l’égalité de dignité des enfants – et même des époux – prime toute considération lignagère. Ce modèle assure la meilleure place à la femme, égale dans l’héritage et donc dans le couple.

Les guerres de religion ont opposé  en France au XVIe siècle un parti huguenot dont le terreau principal  était la noblesse du Midi, très attachée au modèle de la famille autoritaire  et un parti catholique   autour de la ville de Paris et de   la  France du Nord  ayant depuis longtemps adopté le modèle individualiste égalitaire. Par  un paradoxe qui n’est peut-être qu’apparent, cette France, moderne par les structures familiales, soutint le  parti de la Ligue férocement attaché au catholicisme. Sa victoire finale (concrétisée  par la soumission  d’Henri IV à Rome) garantit le maintien, non seulement de  la France  mais de  la majorité de l ’Europe dans le camp du catholicisme romain. Si ce parti avait perdu, l’Eglise catholique  serait sans doute devenue marginale.  

 

Les trois modèles familiaux que nous avons décrits  ne se sont pas strictement succédé dans le temps, puisque l’expansion de l’islam a  fait revenir  le modèle patriarcal polygame dans des régions où il avait disparu (Egypte, Maghreb, Asie mineure).

Mais des  structures différentes peuvent aussi coexister dans la même société. La famille du premier type caractérisée  par la promiscuité et une forme de matriarcat, présente   à l’aube de l’histoire, demeure, mais  en situation subordonnée,  dans une partie des sociétés antiques et même modernes.

Il  est probable que la moitié de la société romaine tenue par le joug  de l’esclavage ne connaissait pas d’autre forme de famille. Non seulement parce que la condition propre de l'esclave : acheté,  vendu, pouvant être impitoyablement séparé de ses parents, de ses  frères et sœurs ou de ses enfants,  ne favorisait pas la stabilité familiale, mais aussi parce que la discipline sexuelle  (qui implique des lieux adaptés , suffisamment spacieux) était d’abord le propre des classes dirigeantes, organisées en   lignages ; elle était plus stricte là où les intérêts patrimoniaux ( et la transmission de titres essentiels comme celui de citoyen romain ou de sénateur) étaient les  plus importants. La promiscuité de l’ergastule conduisait  sans doute à des unions de rencontre où les liens de filiation demeuraient incertains. D’ailleurs, dans le monde romain, seuls les citoyens pouvaient se marier en bonne et due forme et porter un nom de famille.    

Il en est sans doute de même pendant une partie  du  Moyen-Age.

D’abord parce que la rudesse  des conditions de vie  a,   à la fin l’Antiquité, réduit au servage ( une forme d’esclavage à peine tempérée par l’ éthique chrétienne) la majorité des hommes libres ; ensuite parce que la christianisation est longtemps restée de surface. Ce fut vrai au niveau de prêtres, dont le célibat consacré, qui  devait donner aux masses baptisées l’exemple de la discipline  sexuelle et donc  pousser à la chasteté conjugale (ce que l’Eglise catholique appelle la chasteté  conjugale n’est nullement la continence mais la fidélité et  la stabilité), quoique précoce,  était peu  respecté. Les conciles du Moyen-Age ne cessent de dénoncer le « nicolaïsme » dans le  clergé, une expression savante  qui recouvre tout simplement le concubinage et parfois le mariage non canonique.  Il est probable qu’une grande promiscuité sexuelle a longtemps continué de régner dans l’Europe chrétienne  au niveau des masses populaires lesquelles  vivaient, sur le plan matériel, dans la plus grande déréliction. La précarité des  conditions de vie, où la plupart des familles, voire plusieurs familles, étaient entassées dans une masure à  une  seule pièce, ne permettait guère de garder les distances requises. L’Eglise, dans ce contexte, se faisait le témoin   compréhensif de l’immense miséricorde de Dieu, à condition que les masses lui  reconnaissant à travers les rites et le paiement de la dîme une autorité théorique. Même l’Inquisition, apparue au XIIIe siècle pour garantir  la  rigueur doctrinale n’a jamais prétendu    inculquer la vertu. 

Le peuple chrétien du Moyen Age ressemblait à ces populations africaines  ou polynésiennes d’aujourd’hui dont la licence sexuelle demeure  grande (comme en atteste par exemple la propagation du sida) mais qui accueillent le pape avec un enthousiasme délirant. Dans cette mentalité d’évangélisation récente,  la religion et la morale sexuelle ne sont pas perçues,  à la différence de  chez nous,  comme liées.

Tout change à la Renaissance : la réforme protestante d’abord, la réforme catholique ensuite (dite tridentine car  l’impulsion en fut donnée au Concile de Trente), avec une efficacité démultipliée par la création d’ordres nouveaux  soucieux d’efficacité,  comme les Jésuites, ont eu l’ambition, non seulement de répandre l’Evangile, mais aussi de réformer en profondeur les mœurs, d’abord celles de clercs, ensuite celles de l’ensemble du peuple chrétien.  Un premier changement, propre à cette époque,    ne nous concernerait pas  s’il  n’avait entraîné  les autres : ce fut, permise par l’imprimerie, l’alphabétisation populaire, dont la courbe partie au plus bas  vers 1500  monte sans discontinuité jusque vers 1900 et   dont le but premier  fut l’apprentissage par tous, au travers du  catéchisme, des bases de la doctrine chrétienne. Mais au-delà, c’est l’ensemble des comportements  que les réformateurs ont voulu   rectifier. Un instrument puissant de cet effort de moralisation   fut la peur de l’enfer (déjà répandue au Moyen-Age mais avec moins d’effet qu’à  l’époque moderne).

De la fin du  XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, l’Eglise catholique, en parallèle avec les Eglises réformées, accomplit  ce qui ne s’était  jamais fait auparavant dans l'histoire : un immense effort pour élever au forceps le niveau moral de l’ensemble de la population, spécialement en matière   sexuelle. Les résultats vinrent au bout de quelques années : en France,  où cet effort, soutenu par la monarchie, fut mené avec une rigueur particulière,  d’après les registres  paroissiaux de la  fin du XVIIe siècle (l’inscription des naissances, de mariages et des sépultures sur des registres fait partie de cette  mise en ordre, qui fut non seulement morale mais administrative), on ne trouve dans certaines régions  pas plus de 1 à 2 % de conceptions antérieures au mariage, résultat d’autant plus méritoire que le mariage est tardif et l’avortement quasi-inconnu. Malgré l’expansion des Lumières dans l’aristocratie, l’élan donné à cette œuvre se poursuit,  au niveau du peuple,  tout au long du XVIIIe siècle: jamais l’assistance à la   messe dominicale n’avait été aussi élevée que dans la France  de 1789 !

Le monde protestant est à l’avenant : ayant  commencé le premier, il ne dispose certes pas, comme le monde catholique, d’ordres religieux dynamiques spécialement dédiés à l’évangélisation en profondeur – jésuites mais aussi oratoriens, sulpiciens, carmes, lassaliens, sans compter des ordres plus anciens, récemment réformés comme les dominicains et les franciscains. Mais l’apparition en son sein  de  sectes dissidentes en Angleterre au XVIIe siècle (puritains, baptistes, quakers, méthodistes), largement répandues aux Etats-Unis ensuite, permet  un effort parallèle de diffusion de la discipline chrétienne dans les profondeurs de la population.

Au moins    officiellement, les Eglises ne se préoccupent pas de rationaliser la société mais seulement de  sauver les âmes de    l’enfer. Si cet effort rencontre des résistances (dont l’essor de la sorcellerie aux XVIe et XVIIe siècles pourrait témoigner), on aurait tort d’y voir une nouvelle forme d’oppression populaire par les classes dirigeantes, comme l’ y a vu, de manière tout à fait erronée, la gauche internationale à partir du XIXe siècle.

Bien au contraire, ce qu’accomplit alors l’Eglise (les églises), c’est une vaste tentative de démocratisation de ce qui avait été jusque-là  l’apanage des seuls  grands de  ce monde (à tout le moins de  leurs femmes) : une vie familiale régulière, fondée sur un idéal élevé de fidélité  et d’amour réciproque et exclusif de l’homme et de la  femme, moyen d’assurer une éducation des enfants, passant notamment par une bonne instruction.

Elever le niveau moral de la population, ce n’est pas  seulement répandre le  moralisme dans sa sécheresse, c’est diffuser des vertus qui jusque-là n’étaient guère exigées  du peuple : la stabilité, la sobriété, la  sagesse et,   pour les femmes,  l’honneur.

Ce faisant,  la réforme des mœurs répand aussi  dans le peuple ce qui avait jusque-là le privilège des castes dirigeantes : appartenir à une maison ( nouveau nom de la gens romaine), avoir une généalogie, transmettre un héritage , sinon de biens ( mais en Europe,  toute famille bien née tend à en avoir au moins un peu  ),  du moins de bonne éducation, de respectabilité etc. ; par-là , la majorité de la population se trouve  avoir des racines : un lieu d’origine, un père une mère identifiables, une culture  ( principalement chrétienne) transmise de père en fils. Si un homme cultivé est « un homme qui se situe », grâce  à l’effort gigantesque de la  Réforme tridentine et des réformes protestantes, une partie importante du peuple, désormais, se situe, et par là accède à un minimum de  culture.

L’esclavage moderne, fondé sur la  traite des Nègres, s’est sans doute traduit, à ses débuts, par une grande promiscuité, d’abord parce que  les peuples déportés vivaient , au départ,  sous  le  régime du premier type, ensuite parce que, tant le transport que la vie à la plantation  ne se prêtaient  guère à la constitution de familles stables ; le clergé  a cependant entrepris très tôt  de régulariser les mœurs de cette population et, par-là, d’élever  sa conscience de soi et de sa propre dignité.

Si le mouvement de réforme des mœurs  est aussi ardent en pays catholique qu’en pays protestant, le monde orthodoxe, lui, y  échappe en partie : la Sainte Russie est plus sensible à l’insondable miséricorde de Dieu pour les pécheurs qu’à l’obligation de ne pas pécher d’autant que la croyance à l’apocatastase la tient  à l’écart de la  terrifiante mais stimulante  « peur de l’Occident ».

Dans l’ensemble  l’effort de normalisation des mœurs  est resté, qui s’en étonnerait ? inachevé.   La société européenne d’Ancien régime, ne comprend pas seulement la noblesse, le clergé, la bourgeoisie et une paysannerie libre (toutes   catégories qui bénéficient désormais des progrès de l’instruction et de la formation   morale  qui en résulte) : une moitié de la population vit  encore dans des conditions très précaires : paysans sans terre, journaliers, colporteurs, mendiants. Ce sont là  les  plus  touchés par les dernières grandes  famines des XVIIe, XVIIIe et même (au moins en Irlande) XIXe siècles. Même si l’Eglise les a baptisés, souvent mariés, leur christianisation demeure sommaire. Autour des grandes  fermes du Bassin parisien, tenues par des familles paysannes stables  et  parfois riches, soucieuses de respectabilité, gravite une  population d’ouvriers saisonniers, dormant dans les granges ou en plein air. La promiscuité des sociétés primitives ou des esclaves de l’Antiquité, se  perpétue chez eux. Les naissances hors mariage, les abandons d’enfants, y sont  importants. C’est cette population  qui fournit les premières vagues de l’exode rural et  vient constituer, dans les villes du XIXe siècle,  la nouvelle  classe ouvrière. Germinal n’est pas loin.

La démocratisation d’un  modèle familial au départ élitiste, avait eu son pendant  dans le monde arabe (et aussi perse, turc etc.) au travers de l’expansion de l’islam. Religion universelle, l’islam s’était évertué de répandre dans toutes les couches de la société  le modèle de famille stable qui lui était  propre : des hommes libres mais pauvres avaient les mêmes  droits sur leurs femmes que  les plus riches, les esclaves s’y trouvaient encadrés dans des ensembles patriarcaux où  ils avaient leur  rôle. Mais cette démocratisation s’était  faite dans  un modèle familial plus proche de la société traditionnelle, notamment par la polygamie. Si les mœurs des femmes (et même des  hommes) s’en trouvaient  mieux réglées, c’était  au prix d’un recul,  si on la compare à celle de l’Antiquité tardive et des débuts du christianisme, de la  condition de la femme,  tenue  à une fidélité plus forcée que volontaire. Mahomet a d’une certaine manière  rationalisé,  systématisé et durci le cadre familial offert par les sociétés archaïques de type patriarcal. Ce durcissement en a rendu très difficile l’évolution – même si la monogamie tend aujourd’hui à se répandre dans le monde musulman.

Loin d’être un regain d’oppression, l’extension du modèle familial chrétien à partir de la  Renaissance a offert aux peuples d’Europe occidentale – et singulièrement à celui qui a profité du modèle le plus avancé,  celui du Bassin parisien, véritable épicentre de  l’Europe nouvelle, un cadre structurant qui a , en dépit de son origine chrétienne, été le creuset du citoyen moderne, tel qu’il  s’est exprimé lors de la Révolution française.

Un homme ou une femme à qui des parents clairement identifiés ont transmis des valeurs et des traditions fortes, a de quoi préserver son autonomie intellectuelle face aux  pouvoirs quels qu’ils soient,  même ecclésiastique. C’est par la transmission familiale que les huguenots purent survivre,  en France, à un siècle de persécution – et, en Angleterre, les catholiques à des persécutions non moins  sévères. C’est parce qu’ils avaient  déjà appris à  devenir des hommes libres à partir de familles charpentées, que les descendants des Ligueurs devinrent des sans-culottes.  Pas de liberté sans point d’appui en  dehors du pouvoir : comme la barre fixe est nécessaire à l’artiste qui veut  effectuer les mouvements les plus  variés, des axes de coordonnées forts  sont nécessaires au citoyen qui   veut faire valoir son droit de « résistance  à l’oppression»   ou à tout le moins jouer son  rôle  avec  esprit citrique. 

Que, paradoxalement, l’impulsion donnée par le  Concile de Trente ait  atteint son effet maximum, en tous les cas dans le peuple,   en 1789,   permet de comprendre comment, au rebours de toutes les idées reçues, la Révolution française est héritière  de la réforme tridentine. En donnant une structure familiale forte au peuple  ou à tout le moins à une partie significative de ce peuple : gros paysans, artisans, commerçants,  la réforme tridentine faisait  des citoyens.

De manière très étonnante, c’est au moment où s’épanouit la famille du troisième type, issue du christianisme dans sa version qui est sans doute la plus achevée, le type parisien, que ce dernier commence à être remis en cause.

La Révolution française laïcise l’état-civil sans changer son contenu. Elle institue  provisoirement le divorce ; abrogé en 1816, il est rétabli en 1884. Mais le modèle de famille qu’elle  établit reste globalement  stable jusqu’au troisième tiers du XXe siècle : il faut en effet attendre jusque-là pour qu’explose  la vague libérale libertaire que nous connaissons et qui  se traduit par une remise en cause des structures familiales de l’Europe jamais vue auparavant. Le modèle familial, jugé traditionnel, en fait pas si traditionnel que cela comme on l’a vu,  est  vivement critiqué parce qu’il  apparait  oppressif,  spécialement pour la femme (on sait qu’il l’était beaucoup  moins  que les autres), lié au fascisme, ce qui est absurde, et qu’il serait un obstacle à la jouissance sans entraves qui est désormais instaurée en norme.

La conséquence est, à partir des années soixante,  l’explosion du nombre de divorces, puis la multiplication des couples de fait, plus ou moins stables, corollaire du discrédit du mariage, religieux d’abord, puis civil et la réduction générale  du nombre d’enfants qui pose à  la  vieille Europe un grave problème de survie de sa population.

Les racines  de cette remise  en cause sont complexes. Elles sont liées au succès même de la famille du troisième type. Alors  même que ce modèle  s’épanouit dans le peuple comme jamais auparavant,    la tradition chrétienne qui constituait sa base fait l’objet d’une critique radicale par la philosophie des Lumières. S’opère alors une sorte de renversement. Alors que la régularité des mœurs, la constitution de  lignages stables avait été  le propre de l’aristocratie et que le peuple vivait au contraire dans une relative anomie, après deux siècles de réforme tridentine, la situation se trouve inversée. Le modèle aristocratique du lignage stable a, grâce à la discipline de l’Eglise, pénétré profondément une partie importante du  peuple tandis que  les classes dirigeantes commencent à le remettre en cause. Mise en cause très théorique pendant longtemps : le moralisme d’inspiration chrétienne, un moment ébranlé par les Lumières, revient au premier  plan avec la Restauration et n’est jamais désavoué par la société bourgeoise, y compris dans son versant républicain et  laïque,  jusqu’à l’orée du XXIe siècle. Le Code Napoléon renforce même l’autorité de l’homme sur la femme. Les mœurs populaires gardent un socle tridentin  solide et ce n’est pas avant deux siècles de travail de sape qu’elles commencent   à être  ébranlées.

Le point de départ des nouvelles tendances, qui s’en prennent d’abord plus à l’héritage chrétien qu’au modèle familial  qu’il a porté,    est naturellement Paris, la ville des révolutions, celle d’où partent les tendances nouvelles.

Face au Paris émancipé, la religion catholique a trouvé, pendant les deux siècles qui suivent la Révolution, de manière  paradoxale, ses bases  de repli dans les régions de famille autoritaire  à forte structure, les mêmes qui avaient au XVIe siècle soutenu la Réforme contre un Paris catholique et ligueur.  Le Pays basque, le Béarn,  l’Aveyron, la Savoie, la Basse-Bretagne sont jusque vers 1970   terres de pratique religieuse et de vocations, plus que le reste de la France, beaucoup plus que les plaines du Bassin parisien . Exception : la Vendée, très catholique elle aussi,     mais  dont le  particularisme  vient plus d’une histoire tragique que de son modèle familial, le même  que celui du  Bassin parisien.

Pourtant l’histoire avance, inexorable, avec le progrès de l’industrialisation et de l’  urbanisation. Elle  voit s’effacer les différences entre  les modèles familiaux en France et  en Europe. La cohabitation des générations, rendue difficile par la vie urbaine, cesse ; les principes d’égalité progressent ; se répand le modèle nucléaire égalitaire  de type parisien, mais qui perd, surtout à partir du troisième tiers du XXe siècle,   sa stabilité en raison de l’effacement des freins religieux qui faisaient obstacle au divorce. Le divorce lui-même, tend à se démocratiser. Apanage des classes les plus aisées au XIXe siècle (du moins après qu’il eut été autorisé), il se répand dans les classe populaires à partir de 1960 au point d’y être aujourd’hui plus fréquent.  Tout se passe comme si les élites, qui avaient, sous les auspices de l’Eglise tridentine, répandu dans la peuple le modèle de la famille structurée et stable, y avaient trois siècles après, diffusé le  venin de l’instabilité familiale, se réservant au contraire le privilège d’une stabilité relative.

Loin d’être  la conséquence directe de la Révolution française, l’instabilité familiale  n’apparait vraiment qu’après la seconde guerre mondiale et même à la fin du baby-boom,   au  moment de l’exode rural massif. Les modèles de l’ instabilité issues des hautes classes se sont d’autant plus vite répandus  que, grâce à l’essor des mass média, ils ont été  amplifiés et mis en valeur par la presse dite « people »  donnant le maximum d’audience, au point  de les rendre normatives,  aux  aventures sentimentales des familles royales et des artistes de la scène. Ces derniers, cantonnés  aux marges de la société au  temps de Molière, qui était celui de la Contre-Réforme, car on craignant que leur  exemple ait un effet dissolvant,  sont devenus  aujourd’hui, pour ce qui est des modèles familiaux (ou de désagrégation familiale),  la référence principale  des masses populaires.

La revendication d’un mariage  homosexuel qui aurait paru incongrue sous tous  les régimes que nous avons passés en revue, est absente des  folles années de la libération sexuelle, soixante et soixante-dix. Elle n’apparaît que dans les années quatre-vingt. Ce n’est pas un hasard : c’est à ce moment que sont remis  cause les idéaux sociaux de la  gauche traditionnelle et que s’impose un peu  partout, à la place,   la philosophie libérale libertaire. Pour l’esprit du temps, les barrières douanières ou  celles de la circulation des capitaux, reposant sur la distinction des nations,  sont dans la même  ligne  de mire que la distinction des sexes.

Loin de former  une association de circonstance,  la philosophie libérale et la philosophie libertaire sont  consubstantielles. La liberté sexuelle délivre, sur le plan privé,  le fort  de  l’obligation de fidélité et de protection à l’égard du  faible ; elle   remet en cause  la stabilité au bénéfice d’une société atomisée, composée de « particules élémentaires »,  selon l’expression  de Houellebecq, s’associant librement, de manière précaire, pour constituer des molécules instables.  Les relations entre hommes et femmes, puis  entre hommes et entre femmes, apparaissent comme un marché. De la loi du marché, on passe vite à la loi du plus fort, à la lutte pour la vie où les mieux armés et les moins  scrupuleux  sont gagnants, les faibles perdants. Comme, à ce jeu,   les faibles sont souvent (pas toujours) les femmes,  la condition féminine, exaltée en théorie,  est loin  d’y trouver son compte en pratique,  comme en témoignent par exemple  le nombre bien supérieur de femmes seules après cinquante ans ou l’essor des violences familiales libérées des interdits chrétiens.

Inspirés par une vision caricaturale  de la famille du troisième type, chrétienne et bourgeoise,  qui pourtant  garantissait aux femmes le meilleur statut qu’elles aient jamais eu dans l’histoire, les mouvements féministes ont généralement  associé leur cause à  celle de la libération des  mœurs. Comme toutes les démarches idéologiques, cette position aboutit à l’effet inverse du but  recherché : au lieu d’une promotion de la femme,  une sensible dégradation de sa  condition :   l’univers libéral libertaire transforme la société en terrain de chasse sexuel où, quoi qu’on  prétende,  la  plupart  d’entre elles  constituent le   gibier.

Mais nul n’ignore que ceux qui revendiquent l’instauration d’un mariage homosexuel  ne le conçoivent que comme une première étape avant la subversion complète du mariage. Ultérieurement, c’est l’obligation de fidélité et de résidence partagée  qui doivent, selon  eux,  être abrogés. En travestissant le mariage de toujours au travers d’une institution , le prétendu mariage homosexuel, sans aucun précédent dans l’histoire – et qui, n’importe comment, ne concerne  qu’un nombre très limité de personnes, c’est son abolition que l’on vise.   Une abolition qui est d’ailleurs déjà effective pour une portion importante de la population qui n’éprouve pas le besoin d’un rituel ou d’un engagement pour cohabiter.

Les institutions peuvent favoriser ce modèle de société : ainsi la générosité de certains Etats pour les mères de familles isolées tend à forcer l’instabilité des ménages, économiquement plus avantageuse. Les mères    ont ainsi  le plus souvent la charge exclusive de l’éducation des enfants. C’est le cas par exemple  dans la communauté noire aux Etats-Unis, ou dans les  milieux   sociaux les plus défavorisés  en France. 

Pour autant,  ce qu’il est convenu d’appeler la révolution  sexuelle représente-t-il l’irruption d’un nouveau modèle de famille ?  Pas vraiment.

A certains  égards, on pourrait y voir le retour au  modèle  de  premier type, celui qui prévalait dans les sociétés agraires protohistoriques  méditerranéennes, dans le milieu des esclaves antiques et  modernes, et prévaut encore dans  les parties les plus pauvres de la population et une partie de l’Afrique sub-saharienne : une institution du mariage ( ou de l ’accouplement) peu rigoureuse, ouverte  à l’infidélité, instable, sans que ces comportements  entrainent des sanctions sociales lourdes, une identification par la mère et donc un caractère matriarcal, la déresponsabilisation des pères et le développement de l’agressivité des jeunes mâles.

Même si le  contexte économique et social dans lequel s’effectue ce retour à la famille du premier type est évidemment très différent dans l’Europe urbaine  du début du XXIe siècle  après Jésus-Christ  de ce qu’il était dans  les sociétés agraires du   Xe siècle avant, les analogies ne sont pas négligeables.

 Mais il ne faut pas pousser trop loin le  parallèle.  Une instabilité croissante des couples est une chose, la promiscuité généralisée en est une autre. Même  si les divorces ou les séparations sont plus fréquents, le mariage formel plus rare, l’héritage de la  famille stable du 3e type est loin d’être épuisé.  En témoigne par exemple le fait que la propagation du sida  par la voie  hétérosexuelle  est aujourd’hui  beaucoup plus faible en Europe et en Amérique du Nord qu’en Afrique subsaharienne. Cette faible conductivité de nos sociétés aux maladies sexuellement transmissibles montre que l’empreinte du  mariage   chrétien est toujours là.

 

La modernité n’ébranle d’ailleurs pas seulement ce dernier. L’immigration arabo-musulmane a  amené en Europe la famille du 2e type, patriarcale. Ce modèle s’y trouve en apparence renforcé du fait notamment que le mode de distribution des prestations familiales facilite le retour à la  polygamie, devenue économiquement difficile dans les pays d’origine.  Mais l’instabilité frappe tout autant le modèle patriarcal où les familles sans père se  multiplient avec des  effets encore plus  délétères que dans les familles monogames. La tentation islamiste, qui vise le retour au modèle patriarcal pur et dur, exprime la crainte de beaucoup d’  immigrés, marqués par l’effacement  du père,  de sombrer dans une  promiscuité du premier type et leur incompréhension du modèle chrétien, lui-même en crise.

Si la  révolution sexuelle qui a marqué le troisième tiers du XXe siècle a  eu des effets profondément déstabilisants, elle n’a pas complètement  remis en cause les modèles de base.  Au moins pour le  moment. Il reste que le retour à une forme de lien familial  que l’on croit  moderne mais qui est en réalité archaïque confirme  que, loin d’être illimités, les modèles familiaux entre lesquels  peut évoluer l’espèce humaine sont en nombre restreint  et que le prétendu progrès ne  porte au mieux que la possibilité d’un  changement  de case dans  une sorte de tableau de Mendeléieff des modèles familiaux.

   

Roland HUREAUX

 

 

 

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:00

LES TROIS MODELES FAMILIAUX (1)

29/01/2021

Il est de bon ton de dire aujourd’hui que les modèles familiaux sont innombrables, que chaque époque invente les siens (on dit cela en particulier pour justifier le « mariage entre personnes du même sexe ») et qu’en définitive  tout est relatif en matière d’organisation  familiale.

Nous ne le pensons pas : quand on examine l’histoire de l’Europe depuis trois ou quatre millénaires – et même en jetant un coup d’œil, nécessairement rapide,  sur les civilisations extra-européennes,  trois modèles de famille se dégagent, lesquels sont loin d’être équivalents.

Dans ce recensement, nous mettrons pour le moment entre parenthèses certains critères auxquels les travaux d’Emmanuel Todd font souvent référence : cohabitation ou non  des générations, égalité ou inégalité des enfants devant l’héritage et même endogamie ou exogamie, pour  nous centrer sur un socle familial encore plus fondamental : qui a  des relations sexuelles avec qui ?

Du  premier modèle que nous appellerons libertaire et  matriarcal, nous n’avons que des échos très lointains dans l‘histoire de l’Europe qui l’a très tôt refusé : c’est le modèle, autant qu’on puisse   le connaitre, des sociétés agraires  primitives de la périphérie méditerranéenne : les Sicanes en Sicile,  les  Pélasges en Grèce, les Cananéens en Palestine, peut-être les Etrusques.  Ces sociétés ont été en général détruites par des envahisseurs de type familial différent : Juifs,  Grecs, Latins,  Arabes.  Nous les connaitrions mal si nous ne  retrouvions aujourd’hui des  modèles analogues  dans une partie de l’Afrique noire ou chez certaines peuplades primitives d’Océanie  et d’Amérique.

Ce modèle n’exclut pas le mariage monogame ou polygame assorti d’une obligation de fidélité et de stabilité mais cette obligation est mal respectée sans qu’il y ait de véritable sanction.

Si l’infidélité des hommes n’est pas propre à ce modèle, celle des femmes y est plus spécifique, non pas qu’elles y soient plus portées vers le plaisir sexuel mais, semble-t-il, du fait qu’elles ne sont pas éduquées à dire non aux sollicitations d’un homme, pour peu qu’il se fasse insistant  ou ait quelque prestige. « Marie, couche-toi là »  est un impératif auquel elles ne savent guère objecter.  La promiscuité relative qui en résulte fait que les enfants  sont souvent incertains de  l’identité de leur père  et que  leur référent principal est donc  la mère. C’est en ce sens que l’on peut parler de sociétés matriarcales, même si en définitive l’homme commande à la femme et si l’autorité est souvent  exercée  par le frère de la mère plutôt que par la mère elle-même. Le climat de vagabondage sexuel et l’absence d’autorité directe sur des enfants pas toujours reconnus  encourage une certaine irresponsabilité des hommes jeunes et moins jeunes. Irresponsabilité accusée, selon la  logique freudienne, par le brouillage de l’image du père et la dépendance quasi-exclusive à l’égard de  la mère qui non seulement est mieux reconnue mais qui, le plus souvent,  pourvoit à tout : agriculture, élevage, soins domestiques  et éducation des enfants (tandis que les hommes sont à la guerre, à la chasse ou en palabres). L’instabilité des rapports sexuels favorise la rivalité des jeunes mâles, ferment de discorde  et de fragilité  de ces sociétés,   caractérisées semble-t-il,  par une forte   violence interne.

L’adultère (notion largement dédramatisée)  y est particulièrement le fait des jeunes hommes  non encore mariés et des jeunes épouses des vieux chefs ou autres notables qui s’appuient sur leur pouvoir politique ou économique pour ajouter aux femmes de leur jeunesse des épouses  plus  jeunes.    

Ce modèle familial est généralement associé par les historiens anciens et  modernes à la pratique de l’agriculture et à la sédentarité.  Dépendance de la récolte, sexualité facile et importance de la mère, ce  type  familial est également  associé au culte des déesses-mères et de la Terre et aux  rituels de   fécondité, parfois orgiaques. Ces sociétés sont le lieu d’  élection des cultes dits  chthoniens. Dans le monde grec, ces cultes, tout en cessant   d’être exclusifs, ont laissé des traces dans le Panthéon : Déméter, déesse des récoltes,  Artémis  aux multiples seins, les mystères d’Eleusis.  Dans le monde juif et arabe après la venue de l’islâm, ces cultes  sont farouchement combattus  comme la tentation, toujours rémanente,  de l’idolâtrie, laquelle se manifeste en particulier  par des symboles phalliques  comme les pierres dressées, associés à un rituel chtonien.

Dans l’Afrique subsaharienne, ce modèle  subsiste largement, malgré l’expansion de l’islam et du christianisme : la promiscuité relative qui l’accompagne  suffit à expliquer que le sida y soit beaucoup  plus répandu que partout ailleurs et qu’il y soit transmis principalement par les relations hétérosexuelles.

 

Le second modèle familial, que nous appellerons patriarcal,  trouve son expression accomplie dans  le monde juif  vétérotestamentaire et dans le monde arabo-musulman.  La Grèce et la Rome antique en offrent une expression atténuée.

Il se distingue du  premier modèle par l’affirmation de l’autorité des hommes ( au moins de certains), par l’extension de la polygamie et le « bouclage » des femmes , désormais contraintes , sous menace de mort, généralement par lapidation, à une fidélité stricte. Les puissants, qui disposent d'un harem,  les mettent même sous  la garde d’eunuques  aussi athlétiques qu’inopérants  pour empêcher les intrusions des jeunes hommes sans attaches.

Ce qui ne change pas par rapport au modèle précédent, ce sont les  facilités qu’il offre aux hommes les plus à même de s’attacher plusieurs épouses.

Ne change pas non plus l’éthique de référence des femmes dont on ne suppose pas qu’elles seront des jeunes filles chastes ou des épouses fidèles volontairement. 

Ce qui change : les hommes,  et particulièrement les chefs de clan,  se préoccupent de contrôler  leurs épouses. Comme on ne  les considère  pas comme naturellement  vertueuses  et surtout  qu’elles se trouvent toujours dans une culture de la soumission  à l'homme quel qu'il soit, le seul moyen pour le mâle dominant de les garder pour lui seul  est de leur éviter toute  tentation et donc de les « boucler »,  vivant recluses et sortant voilées.  La question de la préservation de la vertu des  jeunes filles  est, quant à elle,  réglée par le mariage pubertaire, voire pré-pubertaire.

Le pater familias hébreu ou arabe est plus sûr de ses épouses que ne l’est  le chef africain (et sans doute que ne l’était le chef pré-indo-européen)  non pas parce qu’elles seraient plus vertueuses mais parce qu’un arsenal répressif, public et privé, particulièrement féroce, a été mis en place.

Aujourd’hui, le sida se répand peu dans ce type de société.

La situation est moins confortable pour les jeunes gens non mariés (d’autant plus nombreux que la  polygamie et  donc l’inégalité sexuelle sont  répandues). Ils sont eux aussi sévèrement punis en cas d’adultère. L’homosexualité, tolérée,  au moins dans l’islam,  mais non reconnue,  a pu être dans certains cas un exutoire.  

Cohérente avec cette affirmation de l’autorité du père sur ses femmes, est l’affirmation de l’autorité du père sur ses enfants, tenus en minorité par le chef de clan, mariés de force avec une proche cousine et gardés jusqu’à un âge avancé sous dépendance.

L’équilibre ainsi instauré étant fragile, l’endogamie permet de limiter les risques de dissolution, le contre-exemple biblique du roi Salomon montrant ce qui peut  advenir à  qui ne se méfie pas assez des femmes étrangères.

Comme dans la société du premier type, la femme est d’abord un objet de plaisir, voire, dans le peuple, une bête de somme. Le maintien tardif de la femme en situation de  minorité et   l’habitude de ne pas la respecter en  tant que personne (à l’exception de la mère) maintient aussi  une  grande partie des hommes en situation d’immaturité affective.

C’est ce qui permet à des femmes ayant eu de nombreux enfants, de s’imposer peu à peu  et de trouver  au fil des ans, comme dans  les sociétés du premier type, une certaine autorité sociale, toute relative au demeurant. 

Les sociétés du second type ordonnées sur le pater familias tout puissant et la relégation des femmes, se prêtent aux   cultes dits ouraniens, fondés sur la primauté des divinités célestes et mâles, éventuellement un  Père tout-puissant « qui est au ciel »,  allant dans le cas du peuple juif et des Arabes  islamisés jusqu’ au culte du Dieu unique.

Le type patriarcal  convient mieux  aux sociétés nomades, pratiquant l’élevage ou le commerce même si ces sociétés gardent largement leurs pratiques familiales et leurs cultes une  fois sédentarisées.

Puisque les sociétés du premier type ont disparu à l’aube de l’histoire et que les secondes existent encore, comment est-on passé de premières aux secondes ?  En d’autres termes, comment les hommes (ou  certains  hommes)  ont-ils pris le pouvoir, un pouvoir quasi-absolu, qu’ils n’avaient pas dans les sociétés matriarcales et libertaires plus originaires   ? Il est difficile de le dire. Il est peu probable que la même société soit passée du premier au second type. Le plus probable est  que les deux types de sociétés ayant coexisté en des temps anciens, les secondes se sont révélées mieux armées que les premières  dans la struggle for life : plus hiérarchisées, plus ordonnées, elles ont exterminé ou réduit en servitude les secondes, à la fois   dissolues et plus divisées ; ainsi les Grecs ont éliminé les Pélasges, puis les Sicanes, les Juifs les Cananéens etc. 

Si Juifs et Arabes offrent les prototypes des sociétés du second type, on en trouve aussi certains  caractères dans les sociétés indo-européennes dans leurs phases primitives, du moins là où elles sont les mieux connues, en Grèce et à Rome.

La situation  de la femme est cependant meilleure, ne serait-ce que parce que la monogamie  y est en principe  la règle. Cette monogamie n’exclut pas les facilités sexuelles des hommes, soit dans les lieux de plaisir, soit grâce aux esclaves, même mâles, facilités qui sont généralement interdites aux  femmes, au moins autant que la  fortune politique n’a pas entrainé l’émancipation des mœurs. La femme athénienne est cloitrée dans le gynécée, tandis que l’homme vaque aux affaires publiques sur l’agora. Dans les premiers temps de la Rome républicaine, l’autorité du pater familias n’a rien à envier à celle du patriarche hébreu[1]. L’adultère féminin est sévèrement puni.

Ces contraintes se relâchent au fur et à mesure que la puissance, la richesse entrainent une dissolution des mœurs, qui se manifeste par exemple par l’extension de l’homosexualité dans l’élite athénienne ou la licence, désormais impunie,  de certaines  femmes de l’aristocratie romaine,  au Ier siècle après JC. 

Les autres sociétés indo-européennes  à leur stade primitif, sont moins connues. La monogamie y semble  la règle au moins théorique. Mais  chez les Gaulois, le divorce – ou à tout le moins la répudiation - est relativement facile.

Compte tenu de leur panthéon, qui mélange les divinités ouraniennes et chtoniennes, et de leur type familial  mixte, on peut sans doute dire que les sociétés  indo-européennes (comme avant elles la société égyptienne du temps des pharaons) sont un intermédiaire entre le premier et  le second type familial. Ce syncrétisme fit peut-être leur force.

 

La famille du troisième type est la famille chrétienne, au moins dans ce qu’elle a  d’idéal.

A la différence du premier type, elle pose un idéal de fidélité strict tant pour l’homme que pour la femme (même si l’adultère masculin y  a largement perduré) et on peut dire, d’une façon générale, que la vie sexuelle, surtout celle des femmes,  y est, comme dans la famille patriarcale, strictement réglée.

Deux différences importantes distinguent le type chrétien du second type, patriarcal : d’abord une monogamie stricte, assortie d’une indissolubilité du lien matrimonial. Surtout le fait que la fidélité de la femme ne repose plus d’abord sur la crainte du châtiment et l’enfermement mais sur une contrainte librement acceptée.

La famille du troisième type, à la différence du second type, fait confiance à la femme : non seulement, elle n’est plus  cloitrée mais elle peut sortir  à visage découvert.

Ce n’est pas d’abord à sa vertu supposée qu'on fait confiance, mais à sa capacité à dire non au solliciteur importun. Pas  seulement par chasteté  mais  par un sens nouveau de l’ « honneur »  féminin et    parce qu'elle est socialement fondée à  refuser les avances d’un homme,  même si elles prennent la forme de l’ordre d’un supérieur. Le droit pour une femme  d’administrer une  paire de claques au solliciteur importun est un des fondements de la culture occidentale !

Les grandes initiatrices de ce nouveau statut de la femme sont les « vierge et martyres », au moins celles qui ont préféré se faire tuer que sacrifier leur virginité ou leur  vertu. Elles sont nombreuses au calendrier des saints de l’Eglise catholique, principalement  aux premiers siècles, et c’est assez logique compte tenu de ce qui fut leur fonction anthropologique.

On aurait tort cependant de fixer au christianisme l’apparition de ce nouveau type de femme.  Inconnue du monde musulman  et même grec,  la femme qui protège sa vertu au risque de sa vie  est présente dans l’histoire romaine (Lucrèce) et  dans l’ histoire juive tardive : le plus bel exemple en est l’histoire de Suzanne  dont les  vieillards lubriques qui la convoitent   n’obtiennent pas qu’  elle abandonne sa vertu même en la menaçant de l'accuser faussement, ce qui devait la  conduire à la mort. Bien avant elle, le patriarche Joseph avait également  refusé de céder à la femme de Putiphar qui exerçait sur lui un chantage  analogue. Mais Joseph était un homme, Suzanne est une femme. La figure  éminemment moderne de Suzanne n’apparait que dans un écrit tardif absent de la Bible juive ou protestante, quoiqu’authentique.

Mais c’est le christianisme qui a fait de ce type de femme – et par là du type de famille qu’elle instaure – une réalité normative.

Sans doute la femme chrétienne n’est-elle pas l’égale de homme, au moins si l’on suit saint Paul pour qui l’homme est « le chef de la femme » mais qui ajoute immédiatement que l’homme doit l’aimer et prendre soin d’elle  « autant que Christ aime son Eglise »  (c’est-à-dire infiniment). Cependant  la femme lui est égale en dignité (« il n’y a plus ni  Juif ni grec, ni  homme ni femme »), l’inégalité n’étant que   fonctionnelle. Contrairement aux allégations absurdes de certaines doctrinaires féministes,  que la femme ait une âme  n’a jamais été remis en cause dans l’Occident chrétien : le culte, relativement précoce, de la Vierge Marie,  suffit à l’attester.  On alléguera que sa sexualité ne semble pas reconnue mais quel progrès par rapport aux sociétés des premiers et second type où elle n’était reconnue que comme objet de jouissance de l’homme !  Au demeurant, saint Paul ordonne aux conjoints de « ne pas se refuser l’un à l’autre », sans distinguer l’homme de la femme. L’impossibilité de la répudiation, passée dans le droit positif au IVe siècle, constitue une autre avancée.

Le nouveau modèle familial fondé sur l’ouverture à un autre qui est un partenaire ne craint pas l’exogamie. Le mariage consanguin au-dessous du  cinquième degré de parenté fut même interdit par l’Eglise à partir du VIe siècle. La bataille n’était  pas gagnée d’avance : jusque tard  dans le   Moyen-Age, l’Eglise s’opposa sur ce sujet  à la noblesse, marquée par les coutumes germaniques endogamiques et qui, pour des raisons  dynastiques ou patrimoniales, préférait  se marier entre  soi. La Bible ne se prononce pas clairement  ce sujet : tantôt imposant l’endogamie entre juifs, si possible de la même tribu, tantôt condamnant une endogamie excessive. Mais un texte  de saint Augustin préconise  l’exogamie comme marque de l’ouverture  à l’autre, de la charité et de l’universalité de l'Eglise ; ce texte prit assez  vite force de loi. Comme le dit Emmanuel Todd : l’Europe est le seul continent où le choix du  conjoint demeure relativement ouvert. Presque partout ailleurs  la préférence endogame le restreint a minima.

Lié au mariage du troisième type est la dot versée, on le rappelle, en terre de chrétienté par la famille de l’épouse  à celle de l’époux. Trop de gens la confondent encore avec le tribut qui,  dans les sociétés patriarcales du second type et peut-être les sociétés archaïques du premier type est  versé à la famille de la femme par celle de l’homme. Ce tribut est un véritable paiement pour acquisition d’une sorte d’esclave   domestique, alors que la dot est exactement l’inverse : elle est supposée permettre à l’épouse de connaitre une certaine autonomie matérielle au sein de sa nouvelle famille, en tous les cas d’y recevoir une reconnaissance économique.

De l’exogamie au libre choix du conjoint, et donc au mariage d’amour, il y a un pas. Inconnu de la famille du deuxième type, il  n’apparait que peu à peu dans la famille du troisième type. Dans l’aristocratie mais aussi dans une partie du peuple, les mariages sont depuis les origines arrangés en fonction des intérêts patrimoniaux, politiques ou de lignage. Ils n’excluent pas l’amour  au vu de  nombreux témoignages que nous en avons, mais l’amour vient après le mariage,  non avant.  Certes la théologie chrétienne  du sacrement de mariage a toujours reposé sur le libre consentement des conjoints exprimé publiquement le jour de la cérémonie. La contradiction entre cette théorie et la pratique sociologique n’est apparue que peu à peu. Elle éclate au XVIe siècle quand l‘Eglise catholique revendique  le droit  de marier  des fiancés majeurs consentants même sans l’accord   de leurs parents. Cette pratique heurte les lois du royaume de France (et des autres) : les rois soucieux d’ordre, requièrent l’accord des parents quel que soit l’âge des conjoints. Il heurte aussi de personnalités comme Luther, Calvin ou Rabelais, prompts à épouser les intérêts des  pouvoirs en place. Plus tard Fénelon , au diapason de Molière, fulmine  contre les mariages arrangés spécialement entre vieillards riches et jeunes filles, qu’il tient, non sans raison, pour un encouragement à l’adultère, une théorie que reprend Balzac dans sa Physiologie du mariage. Le mariage moderne fondé sur le libre choix  des époux et donc l’amour  ne se généralise que dans le courant du XXe siècle. Il n’existe encore que dans les sociétés  chrétiennes ou postchrétiennes. Curieusement, il est contemporain d’un affaiblissement sans précédent du lien matrimonial.

De même que le principe du  libre consentement n’entra dans les faits que très tardivement, le nouveau statut de la femme instauré par le christianisme ne se concrétisa que très progressivement. Ce statut est certes ambigu : égalité de  dignité, monogamie, relation de confiance, répudiation  impossible mais autorité, au moins  fonctionnelle de l’homme, avec il est vrai l’obligation pour celui-ci de chérir sa femme « comme son propre corps » : il marque de toutes les façons un progrès considérable par rapport aux deux autres modèles familiaux, même celui que nous avons qualifié de matriarcal. Le retour du modèle patriarcal, sous sa forme la plus dure, à partir de la conquête musulmane (VIe siècle) entraina  partout une forte régression du statut de la femme.

En terre de chrétienté traditionnelle, l’adultère féminin est généralement puni plus sévèrement que le masculin . Cependant, en souvenir de la femme adultère sauvée par Jésus, ce châtiment n’est jamais la mort,   il est au minium  le déshonneur. L’adultère masculin, non seulement n’est guère  puni  (sauf si l’époux est plus puissant que l’amant), mais il est, dans certains milieux aristocratiques, source de gloriole : « Les hommes mettent un point d’honneur à  déshonorer les femmes » (Marguerite de Navarre). Dans les familles régnantes, la vigilance sur la fidélité de la femme est particulièrement étroite : chez les Capétiens, les cas de reine adultère sont rares : Marguerite de  Bourgogne, femme de Louis X le Hutin,  surprise à la tour de Nesle mourut de froid  ou étranglée en prison (mais son amant fut encore  plus sévèrement châtié !), Isabeau de Bavière, épouse d’un roi fou, Charles VI, resta, elle, impunie. On ne connait guère d’autre cas d’adultère avéré parmi les reines de France alors que les rois fidèles se comptent sur les doigts d’une main. Moins que par une inégalité métaphysique, cette surveillance plus stricte de la vertu des femmes résulte,  dans une société politique où l’hérédité joue un rôle fondamental, de  la plus grande difficulté  d’attester le lien du sang du côté du père que du  côté de la mère.  

L’infériorité du rôle de la femme ne l’empêcha pas,  sauf en France,  de régner, au moins à partir du second  millénaire, dès lors que les conditions étaient réunies : absence d’héritier mâle en ligne directe ou, même en France,  d’exercer la  régence.  Cela  n’était jamais arrivé dans le monde grec  (à la seule exception de la reine Cléopâtre), romain et byzantin (à l’exception de l’impératrice Irène) ni naturellement en pays musulman.

 

 

 

 

[1] On peut même dire qu’il n’est pas,  à la différence du peuple juif, limité par la Tora

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